Mehdi Dehbi ? Ce n’est autre que le jeune comédien belge qui donne la réplique à Antoine de Caunes dans le dernier film de Jean-Jacques Zilbermann, La Folle histoire d’amour de Simon Eskenazy, en salles ce mercredi en France. Son interprétation d’un travesti algérien est plus vraie que nature. Mais la performance est ailleurs. Elle est celle d’un comédien talentueux. Entretien.
Mehdi Dehbi a été un comédien précoce. A 12 ans, il commence le théâtre à l’Académie Grétry à Liège, sa ville natale, tout en poursuivant ses études secondaires. Son premier rôle au cinéma arrive alors qu’il n’a que 16 ans. Il obtient l’un des principaux rôles dans Le Soleil assassiné d’Abdelkrim Bahloul, tourné en 2002, et qui sortira en salles en France en 2004. Après le bac, Mehdi Dehbi rentre au Conservatoire Royal de Bruxelles (2003-2005), puis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris (2005-2008), avec une césure en 2006 qui le conduit à la London Academy of Music and Dramatic Art. A Bruxelles, Paris, Londres ou ailleurs, la future carrière de Mehdi Dehbi, sélectionné pour concourir dans la catégorie Meilleur espoir des prochains César, s’annonce des plus prometteuses. Surtout quand on le voit sur Grand Ecran dans la peau de Naïm. Il incarne un travesti musulman qui devient l’amant de Simon Eskenany, célèbre interprète de musique traditionnelle juive. La Folle histoire d’amour de Simon Eskenazy de Jean-Jacques Zilbermann est le deuxième volet des tribulations amoureuses d’un homosexuel juif, découvert dans L’Homme est une femme comme les autres. Le jeu de Mehdi Dehbi, dans la peau par exemple d’Habiba ou d’Angela, deux des alter ego féminins de Naïm, est juste et subtil. Assez en tout cas pour apprécier l’universalité de cet élan amoureux qui la porte vers Simon et qui, souvent, le remplit de doutes. En dehors des salles obscures, on pourra retrouver Mehdi Dehbi sur scène à l’affiche du spectacle de Marcel Bozonnet, un conte arabe intitulé Baïbars, le mamlouk devenu sultan.
Afrik.com : Comment avez-vous entendu parler du rôle de Naïm ?
Mehdi Dehbi : Quand mon agent m’en a parlé, j’étais en dernière année de conservatoire à Paris. J’ai rencontré Jean-Jacques (Zilbermann) en novembre 2007. Nous nous sommes revus plusieurs fois en décembre et en janvier, avant les premiers essais en février. Jean-Jacques avait déjà rencontré 350 comédiens et il ne restait plus que sept candidats en lice. Au final, nous n’étions plus que trois en mars à faire des essais avec Antoine de Caunes qui est venu nous donner la réplique. J’ai préparé ce personnage pendant près d’un an.
Afrik.com : Incarner un travesti homosexuel musulman, ce n’est pas anodin comme personnage…
Mehdi Dehbi : Comme le dit Antoine, et j’aime bien la formule, quand on lit le postulat, il est énorme. Mais quand on prend le rôle par petits bouts, tout devient plus simple.
Afrik.com : On fait très rapidement fi du travesti pour s’intéresser à la vérité du personnage. Quelle a été votre approche de ce rôle ?
Mehdi Dehbi : Très juste. Le fait que Naïm soit un travesti n’est pas une porte d’accès au personnage. Bien au contraire. Avec Jean-Jacques, nous avons beaucoup travaillé sur les situations. Quand on est concentré sur les enjeux d’une séquence, ce qui importe c’est ce qui se passe dans la tête du personnage. Pourquoi a-t-il besoin de se transformer, de devenir quelqu’un d’autre ? Simplement pour parvenir à ses fins et montrer à Simon Eskenazy qu’il l’aime.
Afrik.com : Comment prépare-t-on de façon pratique un tel rôle ?
Mehdi Dehbi : J’ai rencontré Jenny Bel’ Air (célèbre transsexuel parisien, ndlr), la reine de la nuit dans les années 80, qui m’a donné des conseils. J’ai observé la féminité naturelle d’actrices comme Sophia Loren, par exemple dans Une Journée particulière. J’ai aussi la chance d’être entouré de femmes. Je me suis notamment inspiré d’une amie comédienne, Gina Djemba, qui m’a beaucoup soutenu. Pour moi, Gina est un modèle de féminité. Après avoir planché sur mon apparence extérieure, il a fallu trouver cette féminité à l’intérieur de moi. Les quatre personnages – un homme et trois femmes – que j’interprète ont été pensés d’abord de façon distincte. On a ensuite fait le lien pour obtenir ce personnage unique qui joue à être un autre.
Afrik.com : Naïm existe dans la vraie vie….
Mehdi Dehbi : J’avais demandé à Jean-Jacques de le rencontrer. Il n’a pas accédé à ma requête et je le comprends. J’ai rencontré Naïm à l’avant-première (lundi) et il m’a félicité pour ma prestation. C’est toujours délicat de jouer quelqu’un qui existe mais il faut garder à l’esprit que c’est du cinéma, de la fiction.
Afrik.com : Avec Antoine de Caunes, le courant est semble-t-il bien passé ?
Mehdi Dehbi : J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec lui. C’est quelqu’un d’une grande humilité, toujours disponible, qui donne des bons conseils. Antoine est très présent, très à l’écoute. Le fait qu’il ait pris la peine de venir nous donner la réplique pendant les essais m’a dit beaucoup de choses sur la personne. C’est un grand Monsieur. Je suis très content d’avoir été son partenaire, tout comme d’avoir fait la connaissance de Judith Magre. Ils m’ont tous deux permis de jouer avec eux. Cela n’arrive pas souvent de travailler avec des acteurs aussi disponibles.
Afrik.com : Votre carrière démarre et votre prestation est tellement convaincante que l’on pourrait craindre qu’on ne vous enferme dans ce type de personnage ?
Mehdi Dehbi : Si je recommence, ce sera avec Almodovar. J’ai encore beaucoup de choses à jouer.
Afrik.com : Vos parents vous ont toujours soutenu. Qu’ont-ils pensé de ce rôle assez iconoclaste ?
Mehdi Dehbi : Quand on est comédien, on vous dit souvent que vous avez de la chance à cause des rencontres que vous faites. Mais la plus grande chance est d’avoir un papa et une maman qui vous font confiance et qui vous disent « Vas-y mon fils ! ». C’est eux qui me donnent la force de faire mon métier. Ils verront le film jeudi à Bruxelles. Mais je leur ai montré les photos. Mon père était mort de rire et ma mère très fière. Tout comme ma sœur. Tout cela, c’est surtout beaucoup de travail. Je me suis plongé dans un univers que je ne connaissais pas pour m’imprégner du rôle.
Afrik.com : On vous retrouvera bientôt au cinéma dans Sweet Valentine et dans Alter ego…
Mehdi Dehbi : J’ai une petite partition dans Sweet Valentine, alors je peux dire que c’est un beau film d’Emma Luchini (la fille de l’acteur), une grande réalisatrice. On y découvrira une merveilleuse actrice, Vanessa David. Dans Alter Ego de Mehdi Ben Attia, qui parle d’une certaine manière d’identité nationale, j’incarne un jeune étudiant de Sciences Po, français d’origine arabe qui est en lutte avec sa propre identité. Le financement d’Alter Ego n’est pas encore bouclé. Il y a des sujets qui dérangent. La Folle histoire d’amour de Simon Eskenazy a connu les mêmes difficultés.
La Folle histoire d’amour de Simon Eskenazy de Jean-Jacques Zilbermann
Avec Antoine de Caunes, Mehdi Dehbi
Durée : 1h30 mn
Sortie française : 2 décembre 2009