Inscrites depuis 1985 et 1975 par l’Unesco au Patrimoine Mondial de l’Humanité, les médinas de Fès et de Marrakech sont deux joyaux d’urbanisme… en perdition. Les aides internationales se succèdent, la spéculation va bon train mais les résultats sont contrastés.
Bâties respectivement au 8ème et 11ème siècle, les deux médinas souffrent de l’accroissement de leur population, ne sont pas suffisamment équipées en électricité et en eau, ne répondent plus aux nécessités de transport actuels et manquent d’espaces verts. Quand elles ne deviennent pas carrément dangereuses à force d’insalubrité et de vétusté, comme cette triste année 1997, doublement endeuillée, à Marrakech d’abord, à Fès ensuite à une semaine d’intervalle : les fondations de certaines maisons étant trop humides, les bâtiments s’écroûlèrent sur leurs habitants.
Depuis presque un quart de siècle, l’Unesco a inscrit les médinas de Fès et de Marrakech sur la liste du Patrimoine Mondial (1975 pour Fès et 1985 pour Marrakech). L’organisation internationale faisait ainsi passer deux messages en un acte symbolique : ces augustes cités contiennent des trésors architecturaux et historiques (8 000 édifices de valeur à Fès d’après l’Office du tourisme marocain!), mais il convient de les entretenir, restaurer et réhabiliter. Rapidement.
Les atouts de Fès
L’Unesco apporte son parrainage et son expertise, la Banque Mondiale 44 millions de FF et l’Agence Française de Développement 125 millions de FF. Des crédits destinés à Fès, qui jouit de l’attachement et du soutien des Fassis aisés installés à Rabat ou Casablanca, exprimé en mécénat et lobbying au niveau national et international. La création depuis 1990 de l’Agence de dédensification et de réhabilitation de la médina de Fès (Ader-Fès) est un autre atout déterminant. Reconnue par les autorités, elle concentre les informations, donations et savoir-faire, agissant tant dans l’urgence (programmes de transfert et de relogement) que dans la durée (restauration des monuments, formation aux métiers traditionnels du bâtiment).
Marrakech en danger
Pour Marrakech, par contre, la Banque Mondiale n’a reçu aucune demande de crédit. Un paradoxe quand on réalise que le développement spectaculaire du tourisme ces dernières années au Maroc est en partie dû à l’attrait qu’exerce cette médina. Or, les revenus du secteur, de l’artisanat aux nuitées, glisse doucement mais sûrement en périphérie de ce site historique. Les classes moyennes et aisées s’installent dans les nouveaux quartiers, interrompant ainsi la tradition de melting-pot social de ce centre historique et mettant en péril sa tonicité économique… quand ce n’est pas son âme. Les petites échoppes d’artisans sont peu à peu remplacés par des bazars généralistes, aux produits industriels.
Les intérêts des investisseurs étrangers
Seuls les investisseurs étrangers ont saisi la manne » marrakchie « . Pour exemple, la société Marrakech-Médina qui propose, après restauration, des locations ou achats de ryads, ces maisons traditionnelles luxueuses. L’affaire va bon train au point que l’entreprise garde jalousement secrète l’étendue de sa réussite… Mais elle n’a pas, localement, bonne presse. En France, les annonces pleuvent et les magazines de décoration regorgent d’idées marocaines. Et pour cause : même un maigre budget initial (300 000 FF), est amorti en deux ans. Un petit aménagement des lieux en chambres d’hôtes et, exemption de la taxe professionnelle aidant, le tour est joué… par et pour les touristes.
Et ce type d’offres génère une inflation des prix que les Marrakchis à faibles revenus subissent de plein fouet. Ce qui accentue le phénomène de morcellements abusifs et surélévations forcenées des espaces habités, accélérant la dégradation rapide de l’habitat et des conditions de vie. Face à quoi les autorités locales manifestent au mieux, un désintérêt. Ou bien leur cécité serait-elle désintéressée ? C’est ce que n’hésitent pas à murmurer certains habitants…