Médiation RDC-M23 : João Lourenço jette l’éponge, et de bon droit


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Le Président angolais, Joao Lourenço
Le Président angolais, Joao Lourenço

Le Président angolais, Joao Lourenço, a annoncé, ce lundi, son retrait de la médiation entre la RDC et le M23. Une décision à laquelle on pouvait s’attendre au regard des événements de la semaine écoulée.

La décision du Président angolais, médiateur désigné depuis plus de deux ans par l’Union africaine, entre la RDC et le M23 dans le conflit qui les oppose à l’est du pays, est tombée ce lundi. À travers un communiqué posté sur les réseaux sociaux de la Présidence angolaise, João Lourenço a jeté le manteau de médiateur chargé de trouver une solution à la guerre qui déchire l’est du Congo. « Près de deux mois après son accession à la présidence intérimaire de l’Union africaine, l’Angola considère la nécessité de se libérer de la responsabilité du médiateur de ce conflit dans l’est de la RDC », lit-on dans le communiqué

« Se consacrer davantage aux priorités globales fixées par l’organisation continentale »

La raison avancée par le dirigeant congolais, c’est sa nouvelle fonction de Président en exercice de l’Union africaine où il veut disposer de plus de temps « afin de se consacrer davantage aux priorités globales fixées par l’organisation continentale, qui se rattache avec la paix et la sécurité du continent dans son ensemble, aux infrastructures, au libre-échange continental, à la lutte contre les épidémies, les endémies et les pandémies, au développement économique et social et à la justice pour les Africains et les descendants d’Africains à travers des réparations ».

João Lourenço annonce par ailleurs que les diligences nécessaires seront faites au niveau de l’union africaine pour que « dans les prochains jours », un autre chef d’État africain soit désigné pour prendre le relais de la médiation avec le soutien des organisations régionales comme la SADC et l’EAC. Le communiqué de la Présidence angolaise n’a pas manqué de rappeler les différentes démarches entreprises par João Lourenço en sa qualité de médiateur et les avancées obtenues. « Depuis que l’Union africaine a attribué au Président João Lourenço la responsabilité de mener la médiation du conflit entre la RDC et le Rwanda, l’Angola n’a ménagé aucun effort pour s’engager de manière sérieuse, énergique et aussi en termes de ressources, en vue d’obtenir la paix définitive à l’est de la RDC et à chercher de normaliser les relations entre les deux pays voisins », précise le texte.

Et d’ajouter : « À la fin de successives rondes de discussions, d’importants progrès au niveau ministériel ont été obtenus au mois de décembre 2024 ». Il indique par exemple que la RDC s’est engagée à neutraliser les éléments de FDLR et le Rwanda à procéder au retrait de ses Forces de défense du territoire congolais jusqu’aux limites des frontières entre les deux pays. « Tenant compte de ce que ces préalables étaient les principales revendications des parties, avec cet engagement, poursuit le communiqué, les conditions pour le sommet du 15 décembre de l’année passée, qui devrait se tenir à Luanda, étaient créées. Mais, malheureusement, ceci n’a pas eu lieu vu l’absence du Rwanda à la rencontre ».

Autre avancée majeure soulignée : les négociations directes entre la RDC et le M23 que la médiation angolaise a fini par obtenir après d’âpres discussions entre les deux parties. Mais, les efforts ont été une fois de plus noyés en raison du renoncement in extremis du M23 à faire le déplacement de Luanda.

L’Angola humilié

En réalité, la raison avancée par João Lourenço pour abandonner son rôle de médiateur n’est qu’un alibi. En principe, en tant que Président en exercice de l’Union africaine, c’était pour lui le moment plus que jamais de maintenir l’engagement qu’il a toujours affiché depuis le commencement de son rôle de médiateur où il faisait feu de tout bois pour réussir sa mission afin d’accomplir ladite mission. Ce qui marquerait d’une pierre blanche sa mandature à la tête de l’Union africaine. Mais, c’est justement le moment choisi par le Président angolais pour se retirer. Pourquoi un tel désengagement précisément maintenant ? Plusieurs raisons peuvent justifier ce choix de João Lourenço.

Tout se passe dans la crise comme si les efforts du médiateur angolais étaient sabotés. D’abord en décembre 2024, la rencontre annoncée entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame n’a pas eu lieu. Le premier avait bien fait le déplacement, mais pas le second. Paul Kagame exigeait à ce moment que son homologue congolais accepte de dialoguer directement avec le M23, ce que Félix Tshisekedi refusait de toutes ses forces. Trois mois plus tard, le Président congolais finit par céder et les pourparlers entre les deux parties devaient s’ouvrir à Luanda, le 18 mars. Mais, à la veille de la rencontre, alors que tout le monde s’attendait à voir les deux délégations dans la capitale angolaise, le M23 se rétracte, évoquant les sanctions européennes prises contre plusieurs parmi ses dirigeants.

Tous les efforts consentis par l’Angola pour en venir là étaient à nouveau noyés. Mieux, le mardi 18 mars, jour où devraient débuter les négociations à Luanda, Félix Tshisekedi et Paul Kagame s’étaient réunis à Doha autour de l’émir du Qatar. Ceci, sans avoir visiblement pris la peine d’avertir celui qui, depuis plusieurs mois, se démenait pour les réunir. Là-dessus, la partie angolaise n’avait point fait mystère de sa surprise. Le Président Lourenço avait fait part de son étonnement lors d’une rencontre avec le président de la Commission de l’Union africaine à Luanda. Son ministre des Relations extérieures, Téte António, s’était aussi exprimé, allant jusqu’à souhaiter que l’on privilégie des solutions africaines aux problèmes africains « Tous les efforts pour résoudre les conflits sont les bienvenus, mais il est essentiel de privilégier des solutions africaines aux problèmes africains », avait-il déclaré.

Au regard de ces éléments, on comprend aisément la décision du Président angolais qui s’est tout simplement senti humilié dans cette affaire.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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