Macky Sall a remporté l’élection présidentielle face à Abdoulaye Wade qui a aussitôt reconnu sa défaite et félicité son adversaire. Le pays conforte sa longue tradition démocratique. Mais le plus dur reste à faire. Le nouveau chef de l’Etat va devoir redresser l’économie, augmenter le pouvoir d’achat, résorber le chômage des jeunes et les coupures d’électricité… Mbay Diouf analyse la situation.
Agé de 60 ans, Mbay Diouf, anthropologue sénégalais et ancien journaliste du mensuel Africa International, a fréquenté Abdoulaye Wade dans les années 70. Il a participé à la mise en place du Parti démocratique sénégalais (PDS) qu’il a quitté après avoir compris que « Wade n’avait pas la carrure d’un chef d’Etat ». Secrétaire général de l’Assemblée des Sénégalais de l’extérieur (ASE), Mbay Diouf vit en France depuis de nombreuses années.
Afrik.com : Les résultats de l’élection présidentielle étaient-ils prévisibles ?
Mbay Diouf : Effectivement, ces résultats étaient prévisibles comme le laissait déjà entrevoir le premier tour. Macky Sall obtiendrait plus de 60% des suffrages selon les premières estimations. Il a été soutenu par la quasi-totalité des perdants du premier tour, auxquels il faut ajouter Youssou Ndour qui a particulièrement mouillé sa chemise pour le départ de Wade. Du point de vue arithmétique, la victoire de Macky Sall était donc prévisible. La dynamique unitaire ainsi créée autour de lui a amplifié sans doute la défaite de Wade.
Afrik.com : Pouvait-on s’attendre à ce que l’ancien Président reconnaisse sa défaite et félicite aussitôt son adversaire avant même la proclamation officielle des résultats ?
Mbay Diouf : La sanction populaire ne lui a pas laissé le choix. Cette élection prouve la maturation citoyenne et civique des Sénégalais. C’est l’enseignement majeur de cette élection qui vient confirmer tout ce que la sociologie électorale laissait penser depuis bientôt vingt-cinq ans. Le peuple sénégalais est resté sur la même ligne pour approfondir le processus démocratique dans le pays. La victoire est d’abord la sienne avant d’être celle de Macky Sall. Il a montré qu’il était dorénavant maître de son destin. Et il me semble que Wade ne l’avait pas suffisamment mesuré.
Afrik.com : Le Président Wade avait-il vu venir sa défaite ?
Mbay Diouf : Depuis le début, je crois que Wade s’est trompé sur sa représentativité dans le pays. Cela faisait déjà très longtemps qu’il n’avait plus la majorité. Il n’a pas vu venir cette évolution de l’électorat. Parce qu’il a toujours « oublié » son score de premier tour lors de son accession au pouvoir en avril 2000. Car, rappelons-le, si Wade a remporté cette élection avec environ 53% des suffrages contre 47% pour Abdou Diouf, c’était essentiellement dû au soutien significatif de l’opposition et notamment de Moustapha Niasse qui est arrivé en troisième position. C’est toute cette dynamique qui lui a permis de gagner. Pour ce qui concerne Macky Sall, il gagnerait à bien comprendre la signification réelle de sa victoire électorale. A savoir que le peuple a d’abord voté pour se débarrasser de Wade et non pour le plébisciter. N’oublions pas qu’il a eu moins de 27% au premier tour. Macky Sall a intérêt à bien comprendre cela. Sous ce rapport, je ne crois pas qu’il bénéficiera de l’état de grâce que Wade a eu après son élection en 2000. Sa présidence sera placée, dès le début, sous le signe de la vigilance citoyenne.
Afrik.com : Quelles vont être les principales difficultés auxquelles Macky Sall sera confronté ?
Mbay Diouf : D’abord, il convient de préciser que ce serait illusoire de penser que Macky Sall et son parti peuvent redresser seuls le pays. Les défis sont énormes et nécessitent la participation de toutes les forces vives politiques et civiles. Ensemble, elles doivent se mettre autour de la table pour définir les décisions politiques, économiques et sociales nécessaires pour sortir le Sénégal du sous-développement endémique dans lequel il végète depuis l’indépendance. Il faut savoir que les difficultés du Sénégal, à l’instar de celles de l’Afrique post-coloniale, sont structurelles. Il faut procéder à une rupture politique articulée à une refondation républicaine. Autrement dit, opérer la sortie du cycle post-colonial ouvert depuis 1960 marqué par un modèle étatique prédateur, foyer de la corruption quasi institutionnalisée qui empêche tout développement possible pour le pays. Il faut tendre vers une Troisième République, après la Première que je qualifierais de République éthique sous l’égide du Président du Conseil, Mamadou Dia (1960-62) et la Deuxième de Senghor-Diouf-Wade qui a généré le modèle étatique prédateur (de 1963 à nos jours).
Le second cinquantenaire de nos indépendances que nous entamons, ne doit pas être une réplique du premier qui a maintenu l’Afrique dans le sous-développement endémique. Pour cela, il y a nécessité absolue de procéder aux ruptures incontournables tant au plan institutionnelle qu’économique pour accoucher d’un Etat de bonne gouvernance démocratique. N’oublions pas que des difficultés prioritaires telles que l’insuffisance alimentaire, la santé publique et l’éducation nationale demeurent irrésolues. Au regard de tout ceci, l’élection de dimanche était emblématique à plus d’un titre puisqu’elle inaugurait le deuxième cinquantenaire de notre indépendance.
Afrik.com : Quelles sont les principales attentes des Sénégalais vis-à-vis de leurs nouveaux dirigeants ?
Mbay Diouf : Les Sénégalais attendent que leurs élus règlent les trois grandes priorités que sont manger à sa faim, se soigner correctement et éduquer dignement ses enfants. En somme les trois préalables à tout processus de développement. L’autre difficulté explosive est constituée par le chômage des jeunes pour un pays qui en compte tant. A ce niveau, le désenchantement est énorme au sein des familles qui assistent, impuissantes, à l’oisiveté de leurs enfants, malgré parfois la détention de diplômes universitaires obtenus au prix de mille sacrifices. On peut constater que l’école a cessé d’être un facteur de mobilité sociale, cédant en cela la place à la migration pour laquelle les familles investissent tous leurs « bijoux » pour faire partir un des leurs.
Afrik.com : Macky Sall pourra-t-il former un gouvernement uni et faire taire les dissensions entre les différents partis qui l’ont soutenu au second tour ?
Mbay Diouf : S’il y arrive, il aura franchi un grand pas. Le plus important est qu’ils acceptent de travailler ensemble pour résoudre vraiment les problèmes du pays. Ceci sous l’éclairage d’une vision stratégique de rupture avec le modèle étatique de la prédation économique couplée à une refondation républicaine centrée sur la bonne gouvernance démocratique. En ont-ils une conscience claire et la volonté politique nécessaire ? C’est toute la question.
Afrik.com : Est-il possible que Macky Sall recueille dans son régime des membres de l’ancien gouvernement ?
Mbay Diouf : S’il le fait, il aura emprunté un mauvais chemin. Et il aura envoyé un signe négatif qui contribuera sûrement à plomber, dès le départ, sa présidence. En effet, il me semble que c’est important pour Macky Sall d’envoyer des signes très forts dès le début de sa mandature pour gagner la confiance du peuple. Et justement, je ne crois pas que reconduire dans son gouvernement des membres de l’équipe sortante soit de nature à y contribuer.
Afrik.com : Abdoulaye Wade et les membres qui ont composé son régime seront-ils poursuivis pour corruption et détournement de fonds par la justice ?
Mbay Diouf : A propos de signes forts, auditer correctement les comptes publics, notamment des multiples agences créées par Wade (Anoci et autres), les sociétés nationales, pour juger les éventuels prévaricateurs me semble participer d’un bon élan. Cependant, ces audits ne doivent pas répondre à des fins d’instrumentalisation politique, comme ce fut le cas avec Wade qui n’a pas hésité à les utiliser pour neutraliser ses adversaires politiques. Rien que la justice, toute la justice à ce propos ! Macky Sall aura-t-il les mains libres pour le faire compte tenu de son appartenance antérieure à cette même équipe dont il a été plusieurs fois ministre avant d’en devenir le Premier ? A ce titre, n’a-t-il pas distribué les fameux « milliards de Taïwan » ?
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