Mayotte devient ce mois-ci le 101e département français. Une véritable révolution culturelle, qui aboutira à la mise en œuvre d’une fiscalité locale en 2014. Pour l’instant, l’aide financière de l’État reste indispensable.
En cette « Année des Outremer», une page se tourne au sud-est de l’Afrique : le 31 mars prochain, Mayotte devient officiellement le 101e département français. Une longue marche de plus d’un demi-siècle pour ce petit archipel de 186 500 habitants qui, depuis deux ans, fournit d’énormes efforts pour intégrer les normes métropolitaines. Notamment l’état civil et le cadastre. L’île au Lagon revient de loin. Créée en 2000, la Commission de révision de l’état civil (CERC) aura mis dix ans, au lieu de cinq, pour achever ses travaux. L’absence de documents et les difficultés de vérification ont parfois semblé insurmontables.
Quand le nouveau président de la CERC a été nommé, il y à deux ans, la structure ne fonctionnait plus. Il a fallu relancer la machine. Depuis le 30 novembre dernier, la commission n’accepte plus de nouvelles demandes : elle vérifie les dossiers. Un travail qui mobilise cinq secrétaires, deux magistrats et « 38 rapporteurs sur le terrain pour recenser les pièces manquantes, recevoir les personnes, un travail de greffier », indique Paul Beaudoin. Ce magistrat, président de la CERC, reconnaît que la commission travaille au rythme soutenu de 2 000 décisions par mois. Quelques dizaines de dossiers seront sans doute radiés par manque de pièces indispensables.
En dix ans, la CERC a effectué un travail de Romain : 240 000 actes individuels d’état civil reconstitués. « Cela ne signifie pas 240 000 Mahorais, plaisante Paul Baudoin. Il s’agit d’un film, pas d’une photographie, nous avons reconstitué les générations.» Pour être efficace, le président de la commission s’est montré pragmatique : le recours à des témoins étant plus fiable que des « papiers », les exigences ont été allégées. Une commission de suivi a été mise en place pour faire vivre cet état civil et préserver sa fiabilité dans un contexte géographique où ce type de document vaut cher sur le « marché ».
« Cases SIM » et « bangas »
La question du cadastre est tout aussi complexe. Sur le papier, sa réalisation est achevée depuis 2005, avec 52 00 parcelles et 70000 constructions répertoriées. Mais Héric Jean-Sébastien, directeur des services fiscaux à la préfecture de Mayotte, reconnaît qu’« il existe énormément de constructions sans permis de construire, encore non identifiées. Par ailleurs, il faut faire une évaluation générale de toutes les propriétés bâties et non bâties, car le cadastre actuel ne précise ni la superficie, ni le nombre d’étages, ni les matériaux utilisés ».
De plus, l’habitat mahorais traditionnel se prête mal aux critères d’évaluation fondés sur la « consistance » du bien : superficie, type de construction et matériaux utilisés. Les « cases SIM » (1) et les « bangas » (2) sont difficilement appréhendables par les normes métropolitaines. De quoi jeter le doute sur la mise en oeuvre d’une fiscalité locale au début de 2014, la valeur cadastrale servant de base à quatre taxes (3) étant loin d’être établie. Reste aussi à créer l’outil informatique pour gérer cette fiscalité mahoraise. Cette réflexion a été menée à Paris : la méthodologie a été définie mais doit encore être codifiée.
Le recueil des informations sur le terrain pourra éventuellement se poursuivre jusqu’en 2012, en fonction des moyens octroyés. Enfin, le retard pris pour l’état civil, et, surtout, l’absence d’adressage, handicape la mise en place de la fiscalité locale, pour l’instant inexistante. Les services fiscaux ont organisé plusieurs réunions avec les maires, sous l’égide du préfet, mais « les élus n’ont pas vraiment pris conscience de l’importance de ces dispositifs »,déplore Paul Baudoin. Ces derniers se montrent d’ailleurs fort discrets sur l’ensemble de ces questions.
Au ministère de l’Outre-mer, on souligne qu’à la suite de la promesse faite aux Mahorais par le président de la République, l’État s’est enfin donné les moyens de normaliser le cadastre et l’état civil, en lien avec le conseil général de Mayotte. Désormais, l’État poursuit son aide financière à son département du bout du monde : 14,7 millions d’euros du plan de relance en 2009, 18 millions d’euros en 2010-2012 du Fonds exceptionnel d’investissement (spécifique pour les Outre-mer). Et pour 2011-2013, un Fonds mahorais de développement économique, social et culturel, doté de 30 millions d’euros, financera notamment les travaux du port de Longoni, le logement social… La vie mahoraise s’engage donc dans des transformations radicales, à l’échelle d’une génération.
Un article initialement publié dans « Maires de France » (mars 2011)
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