Mayotte deviendra-il un département français d’Outre-Mer ? Les habitants de l’île répondront par voie référendaire à cette question le dimanche 29 mars. Elle relance le débat sur l’intégrité territoriale d’une île que la communauté internationale reconnaît comme comorienne, alors que la France l’administre depuis 1975.
Les Mahorais sont appelés à se prononcer le 29 mars prochain sur leur rattachement à la France comme département d’Outre-Mer (DOM). Si le « oui » l’emporte, Mayotte, petite île de l’archipel des Comores, située à l’entrée du Canal du Mozambique, deviendra le 101e département français en 2011. Cette évolution administrative est contestée par plusieurs associations. Leur principal argument : l’illégalité de la présence française à Mayotte depuis 1974. La France, alors puissance coloniale, organise un référendum d’auto-détermination. Des quatre îles qui forment l’Archipel des Comores, Mayotte, première île à être colonisée en 1841, est la seule qui ne choisit pas l’indépendance. Anjouan, Mohéli et Grande Comore forment l’Etat, puis l’Union des Comores. En 1975, la résolution 3385 fait de ce pays un membre des Nations unies. Celle-ci affirme « la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores ». Une autre résolution, celle du 21 octobre 1976, condamnera « énergiquement la présence de la France à Mayotte » tout en rejetant « toute forme de référendums ou consultations qui pourraient être organisés ultérieurement en territoire comorien de Mayotte par la France ».
Mayotte : française ou comorienne ?
« La Constitution française reconnaît un peuple unique, mais elle a pris en compte des populations lors du référendum de 1974 », dénonce Mustapha Abdouraouf, porte-parole du Collectif des associations et des amis des Comores (CAAC) contre la départementalisation de l’île. L’Union africaine a, en janvier dernier, explicitement condamné le référendum du 29 mars et exigé « l’arrêt immédiat de ce processus ». Pour Abdoul Kamardine, co-président du Comité Mayotte Département favorable au oui, il en va autrement. Cette consultation est « une évolution logique » pour l’île qui lui garantit « une stabilité ». Ce qui n’est pas le cas du statut de collectivité territoriale considéré comme « provisoire ». « En 1974, poursuit Abdoul Kamardine, les Mahorais se sont librement exprimés en sachant que le décompte se ferait île par île. Selon l’article 53 de la Constitution française, « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ». Tous les archipels du monde ne constituent pas un Etat. A Saint-Martin, par exemple, une partie est française, l’autre est néerlandaise. Mayotte fait partie de l’archipel des Comores, mais ne participe pas au système politique comorien. Mayotte est un territoire français. »
L’épineuse question de la territorialité de Mayotte a de lourdes conséquences en termes de droits humains. « Les Comoriens sont considérés comme des étrangers à Mayotte », explique Mustapha Abdouraouf. Depuis 1995, un visa de circulation est nécessaire pour ceux qui souhaitent rejoindre la collectivité territoriale française. Le décalage économique entre Mayotte et ses voisines est à l’origine d’une immigration « illégale » qui fait, chaque année, des milliers de victimes. Les candidats à une vie meilleure périssent souvent en mer à bord des kwassa-kwassa, des embarcations de fortunes qui effectuent la traversée. « La France pourrait être poursuivie pour crimes contre l’humanité pour les 16 000 expulsions de Comoriens qu’elle a effectuées depuis 1995 ».
La fin du droit coutumier
Le CAAC estime également que les Mahorais n’ont pas été bien informés des conséquences de la départementalisation sur leur quotidien. « La justice cadiale (droit coutumier inspiré de l’Islam et de traditions africaines, ndlr) va disparaître », avance Mustapha Abdouraouf. Un argument que réfute le Comité Mayotte Département. « La République reconnaît les institutions cadiales. Les cadis seront maintenus dans leurs fonctions. Ils constituent un maillon de l’administration. Si elle est appelée à évoluer, il en sera de même pour les cadis. Mayotte doit évoluer vers plus de République ». Dans les faits, « plus de République » signifie la fin de la polygamie. L’âge du mariage des femmes passera de 15 à 18 ans.
Dans une île où seulement un quart de la population parle français, «les politiques mettent toujours en avant les avantages sociaux et les subventions de l’Union européenne », selon le porte-parole du Collectif. Les aides sociales attendues devraient progressivement, faire leur apparition sur l’île. Leurs niveaux atteindront, sur une vingtaine d’années, ceux de la métropole. Par ailleurs, certaines allocations ne seront disponibles qu’à compter de 2012. Pour l’instant, l’Etat français n’y perçoit que l’impôt sur le revenu. Quant aux aides européennes, elles passent par la reconnaissance de Mayotte comme Région ultrapériphérique (RUP). « Dans le Traité de Lisbonne, les Dom qui bénéficient de ce statut sont nommément désignés. La reconnaissance de Mayotte comme RUP n’est pas forcément évidente, note Stéphanie Dubois de Prisque, chargée de communication à Survie. L’organisation a lancé le 3 mars dernier une pétition pour réclamer l’annulation du référendum mahorais.
Négocier l’avenir de Mayotte
Mayotte attend de son changement de statut une amélioration de sa situation économique. Les implications politiques et sociales de la départementalisation, soulevées par ses opposants, semblent avoir été reléguées au second plan. Mustapha Abdouraouf tente d’en analyser les raisons. « Comme dans tous les pays africains, 60% de la population est jeune, ils n’ont pas connu l’époque de l’Archipel composée des quatre îles. De plus, avec le drame des Kwasas-Kwasas, on leur dit que les Comoriens sont différent d’eux ». « Les Mahorais ont été instrumentalisés par la présence des Français », ajoute Stéphanie Dubois de Prisque. Pour sa part, le co-président de Comité Mayotte Département considère que l’île, où voteront « toutes les personnes inscrites sur les listes électorales – Mahorais, mais pas seulement, des Franco-Comoriens, comme on les appelle, et des non-Mahorais-, en toute conscience ». « Les Mahorais ne sont pas immatures et ils savent s’adapter à leur temps ».
Le discours est différent au CAAC : « l’opinion publique française doit savoir ce que l’Etat fait en son nom à Mayotte », plaide-t-on. « Cela fait plus de 30 ans que ça dure, s’indigne Mustapha Abdouraouf. La France appauvrit, décrédibilise les Comores, décourageant ainsi les Mahorais d’y retourner. Les Français ont envoyé Bob Denard, déstabilisent les gouvernements successifs et exercent les pressions les plus diverses. La menace monétaire, en d’autres termes, une éviction de la zone franc, en est une. Au total, peu de gouvernements se sont battus pour le retour de Mayotte dans le giron comorien. » Le Collectif a adressé un mémorandum au secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon et la présidence européenne assurée par la République Tchèque. Une manifestation est prévue le 28 mars, à Paris, à l’initiative de l’organisation. Les opposants au référendum ne voient qu’une seule issue à la situation de Mayotte : l’ouverture de négociations entre les Comores et la France. Un Etat, qui ne serait sans l’Outre-Mer, selon Mustapha Abdouraouf, « que 47e puissance maritime mondiale au lieu de la seconde place qu’elle occupe à l’heure actuelle ». Aussi, indique-t-on au ministère de l’Outre-Mer, même en cas de victoire du « non », «(la) place (de Mayotte) au sein de la République restera garantie ».
Qu’est-ce qu’un cadi ?
Le cadi joue un rôle de juge, de médiateur et d’institution régulatrice de la vie sociale et familiale. Il a été explicitement maintenu par l’article 1 du traité de 1841 passé entre le sultan Andriansouly et le commandant Passot. Les juridictions cadiales sont régies actuellement par le décret du 1er juin 1939 relatif à « l’organisation de la justice indigène dans l’archipel des Comores » et la délibération du 3 juin 1964 de l’assemblée territoriale portant « réorganisation de la procédure en matière de justice musulmane ». L’ordonnance n° 81-295 du 1er avril 1981 relative à l’organisation de la justice à Mayotte a maintenu les dispositions du décret du 1er juin 1939 relatives à l’organisation de la justice indigène à Mayotte, en matière civile et commerciale. Les cadis ont une activité judiciaire, notariale et tiennent l’état civil des Mahorais ayant conservé leur statut personnel : naissance, tutelle, décès, reconnaissance d’enfants, mariage, divorce, répudiation. La justice cadiale se compose de 15 tribunaux cadiaux (comprenant un cadi et un secrétaire greffier) et un Grand cadi. Source : Sénat
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