Une commission gouvernementale est sur place depuis trois mois en Mauritanie dans le but de réformer le système éducatif du pays, axé essentiellement sur le français et la langue arabe. La brèche linguistique et sociale de ce pays du nord-ouest de d’Afrique tarde à se colmater avec un nord arabisés et un sud francisé.
La Mauritanie n’a jamais été simple : C’est un pays complexe avec un paysage ethno- linguistique varié, comprenant cinq principales communautés linguistiques qui sont le Hassania (Arab), pulaar, soninké, wolof et tamasheq. Cette question est compliqué et l’importance qu’elle revêt aujourd’hui rend sa résolution plus délicate encore.
L’arabe classique a un statut spécial en tant que langue du Saint Coran et il est parlé par environ 80% de la population, alors que les Negros africains demeurent des locuteurs de français par excellence. A l’indépendance du pays en 1960, le français était la langue officielle (article 3 de la Constitution de 1959). Il a également été la clé de l’enseignement dans les écoles ainsi que l’arabe qui a adhéré au même statut à la faveur de la décision du pouvoir politique de l’époque qui l’a promue au rang de langue officielle.
Ainsi en 1968, la langue arabe devient langue Co-officielle avec le français (loi du 4 Mars 1968).
En 1979, une résolution du Comité militaire du 20 avril, a formalisé les langues nationales (pulaar, soninké et wolof) et leur transcription en caractères latins et décrété l’arabe comme langue d’enseignement. Deux systèmes éducatifs séparés émergent plus tard: Les Arabes étudient en arabe tandis Africains sub-sahariens s’instruisent en français.
La mésintelligence
Ce système donnera lieu à de graves clivages ethnoculturels et des frictions entre les différentes communautés : Mauritaniens arabes berbères arabisés d’une part et mauritaniens négro-africains francisés d’autre part.
Ce pays au carrefour des civilisations arabo-musulmane et négro-africaine entre alors dans une sorte de zone de turbulence linguistique marquée essentiellement par les rivalités entre les différentes communautés qui s’entredéchirent.
Le pays a continué à fonctionner avec un système éducatif archaïque durant plusieurs années qui précipite des générations de « quêteurs » du savoir dans le gouffre de l’analphabétisme.
En 1999, le gouvernement, soucieux de l’avenir du pays, a décidé d’opérer des réformes du système éducatif qui a quand même réussi à réunifier de façon quasi-intégrale la langue arabe et le français, et mettre fin à l’apartheid linguistique et scolaire. Mais ce changement n’a pas tardé à être rattrapé par des insuffisances et lacunes de nature multiple. Il n’a pas donné de résultats probants en matière de formation de cadres en mesure d’être au diapason avec les avancées dans le domaine de la recherche scientifique.
Cette reconsidération de grande ampleur qui a mis fin à la coexistence des deux filières linguistiques et fait de l’arabe la langue d’enseignement pour les disciplines littéraires et les sciences humaines et du français la langue des disciplines scientifiques était jugée nécessaire pour renforcer l’unité nationale. Le déficit de compétence et les circonstances de son lancement « dans la précipitation » ont faussé complètement la donne. D’où la nécessité de recourir à d’autres remodelages afin de pouvoir rattraper le temps perdu.
Un pays multilingue
Ce pays multilingue, à la recherche d’un équilibre ethnolinguistique mise sur l’amélioration du niveau scolaire non sans investir pleinement dans le changement en mieux des infrastructures pédagogiques.
En plus de l’objectif d’accroître l’accès à l’école pour tous les enfants, ce projet vise aussi à créer un système éducatif capable de fournir des normes toujours plus élevées pour tous les enfants. Il est également orienté sur la voie objectant la scolarisation de plus de filles à l’école, à travers des campagnes de sensibilisation dans ce pays conservateur qui mise aussi sur la formation des enseignants et l’amélioration du niveau scolaire.
«Ce programme vise à inclure les professeurs femmes plus dans les écoles, actuellement 37%» a déclaré Mohamed Mahmoud Ould Chrif, coordinateur du projet du gouvernement et d’éducation. La mise en place de systèmes de gestion pédagogique, administrative et financière dans les institutions de l’enseignement supérieur est également un but qu’ils ont l’intention d’atteindre. « Ce n’est pas impossible d’atteindre les objectifs tracés à savoir la remise sur de bons rails du niveau scolaire de nos enfants » a laissé entendre A mahdi, un étudiant à l’université de Nouakchott.
Dans cette optique, 3500 salles de classe des écoles primaires sont construites en 2010 à travers le pays ainsi que 75 nouvelles écoles secondaires. Des milliers de nouveaux manuels et mises à jour sont imprimés et distribués aux enfants aux futurs enseignants pour améliorer leurs compétences pédagogiques.
A travers les nouvelles réformes axées sur un bilinguisme approprié dont une commission de suivi (états généraux de l’éducation) a été lancé le 9 Novembre, ce pays largement désertique veut s’ériger comme un pont entre le monde arabe et l’Afrique noire.
L’un des membres de la commission chargée d’étudier minutieusement les meilleures voies possibles de sortie de crise à remettre au gouvernement, Abderahim Ould Hamadi, chercheur et enseignant à l’Université de Nouakchott, est confiant quant à la finalité positive de ce projet moderniste. «La décision prise par le gouvernement d’opter pour des réformes en mesure de mettre notre pays sur la bonne voie et se conformer aux nouvelles exigences du monde moderne, est important et nécessaire». Ould Hamadi ajoute que « le système bilingue est important dans le sens de permettre aux étudiants de maîtriser les langues étrangères et de la recherche ».
Les carences de l’ancien système sont toujours palpables parmi les étudiants universitaires. Les nouveaux diplômés qui s’en sont issus souffrent du manque criard d’ajustements académiques, ce qui ne peut aucunement leur ouvrir des débouchés.
Ceci a affecté sensiblement le marché de l’emploi pour voir le taux de chômage atteindre la barre des 30% selon les statistiques du gouvernement.
Les résultats scolaires n’ont pas également suivi
Les résultats officiels de la première session du baccalauréat 2011 indiquent que le taux de réussite en série C (Mathématiques) a atteint les 44 %, soit 513 admis sur 1166 candidats qui étaient inscrits à la nouvelle réforme. La différence est palpable : Durant l’ancien système, le taux de réussite n’a pas dépassé les 11 %, soit 34 admis sur 313 candidats.
Le nouveau système bilingue qui fera de l’arabe la langue des sciences humaines et de la littérature et du français l’outil des matières scientifiques répond à plusieurs enjeux en Mauritanie : Ouvrir des horizons nouveaux aux étudiants et leur permettre de monnayer leur talent ailleurs.
Aussi la cohésion nationale, tant recherchée : Les afro-mauritaniens ne parlent pas l’arabe et n’ont que le français pour communiquer avec les Beïdanes et les Harratines ; l’intégration régionale ; le développement économique ; et enfin l’amélioration de l’enseignement public désormais dispensé en deux langues, n’est pas loin du domaine du possible.
Le premier ministre du pays Dr Moulaye Ould Mohamed Laghdaf est ferme
« La réforme du système éducatif mauritanien était toujours l’un des défis majeurs pour les régimes qui s’étaient succédé dans le pays sans parvenir à élaborer un plan pouvant conduire à des solutions politiques répondant aux exigences de l’heure. Aujourd’hui, la réforme de notre système éducatif est considérée comme étant une priorité majeure du fait que l’évolution des peuples se mesure par la qualité des ressources humaines et le degrés d’accès au savoir et la science et non par les potentialités minières et pétrolières ou toutes les autres ressources naturelles. La preuve est que la Mauritanie n’avait pas des ressources à exporter mais des érudits de renommée qui avaient jouit d’une réputation à travers le monde arabe et islamique, dans le Maghreb et le moyen orient, en Afrique et derrière les fleuves (Fleuve du Sénégal et celui du Niger) » a déclaré Mr Ould Laghdaf lors de l’installation de la commission de supervision des états généraux sur l’enseignement et la formation.
La réalisation de ce projet attendu depuis longtemps dans le pays n’est pas sans exigences financières
Le gouvernement a dû casser la tirelire mais non sans le concours de la France. Avec laquelle la Mauritanie a signé le 4 mai de l’année 2010 un accord de soutien financier pour la deuxième phase de dix ans (2010-2020) pour soutenir le développement de l’éducation nationale (ENSD). Selon cet accord, la Mauritanie recevra 6,7 ??millions d’euros pour améliorer les conditions d’accès à l’éducation, rendre l’apprentissage plus efficace et assurer la formation linguistique pour les enseignants. Durant la première phase qui couvre 2000 à 2010, la Mauritanie a reçu 34 millions d’euros.
Dans ce pays de 3.162.306 habitants (statistiques de 2008), le taux d’échec scolaire reste l’une des principales préoccupations des décideurs et le taux d’alphabétisation est de l’ordre de 55,8% selon les statistiques des Nations Unies de 2009.
De la création de la commission préparatoire supervisée par le Premier ministre, Ould Mohamed Laghdaf est attendu un signe avant coureur d’une solution positive. Laghdaf qui a déclaré que «tous les régimes qui ont gouverné la Mauritanie ont échoué dans la réforme du secteur de l’éducation » et ajouté que « Nous nous attendons à la création d’une école républicaine ouverte à tous et qui reflète l’identité de tous où la compétence est le seul moyen de succès et de servir de levier pour le progrès social économique» y croit fermement. L’engagement du pays dans la voie de la démocratisation, la garantie à tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de sexe est de nature à assainir le terrain de la réalisation et de la concrétisation des ces ambitions.
«Du point de vue politique, le bilinguisme tend à répondre aux impératifs politiques et culturelles, d’unifier le peuple », a déclaré Moulay, étudiant au lycée. «En améliorant nos compétences et la méthode d’enseignement en conformité avec les exigences de la nouvelle réforme nous pouvons atteindre notre objectif du Millénaire pour construire une génération fondée sur le savoir», a déclaré l’enseignante Mama à l’école primaire de Nouakchott.
Même si ce projet d’envergure donne du baume au cœur à beaucoup de mauritaniens, soucieux de l’avenir pédagogique de la jeunesse, il n’en demeure pas moins que tous ne perçoivent pas les choses sous cet angle. L’association de médecins scientifiques dénonce l’improvisation de cette commission en charge de la réforme du système éducatif. Ils considèrent que cette commission est établie sans consultation professionnelle de l’éducation et des associations.