Le Congrès pour le rétablissement de la démocratie en Mauritanie (CRDM) a vu le jour après le coup d’Etat en Mauritanie, mercredi dernier. Ses objectifs : faire pression sur la communauté internationale pour que le Président déchu Maaouiya ould Sid Ahmed Taya reprenne sa place et que le « processus démocratique se poursuive ». Interview de Ahmed ould el Hadrami, leader du CRDM.
Restaurer le pouvoir qui permettra la poursuite du processus démocratique. Ce sont les objectifs que s’est fixé le Congrès pour le rétablissement de la démocratie en Mauritanie (CRDM) après le coup d’Etat de mercredi dernier, qui a éjecté Maaouiya ould Sid Ahmed Taya du fauteuil présidentiel. Le chef d’Etat déchu, lui-même arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat le 12 décembre 1984, réside depuis le jour du putsch à Niamey (Niger), où sa femme et ses enfants l’ont rejoint vendredi. Bien décidé à revenir dans son pays et à y occuper son poste, Maaouiya ould Sid Ahmed Taya a donné, lundi, « ordre à ses forces d’intervenir pour rétablir l’ordre constitutionnel et a promis de revenir très prochainement dans son pays », rapporte la chaîne Al-Arabiya. Une déclaration bien plus pêchue que celle faite le jour de son renversement à Radio France Internationale, où il semblait se résigner au coup de poignard de la garde présidentielle. Si rien ne semble garantir le retour du Président mauritanien, une chose est sûre : il bénéficie du soutien, plutôt timide selon certains, de la communauté internationale. Et du CRDM. Qui assure de son « indépendance », mais milite fortement pour le retour de celui qui a mis en branle « le processus démocratique », « toujours perfectible ». Ahmed ould el Hadrami, président de la structure, revient sur les enjeux du combat de son mouvement et s’exprime sur les acteurs du putsch qui souhaitent, d’après lui, enterrer la démocratie et instaurer un régime totalitaire.
Afrik.com : Comment est né le Congrès pour le rétablissement de la démocratie en Mauritanie ?
Ahmed ould el Hadrami : Le Congrès pour le rétablissement de la démocratie en Mauritanie est né après la prise du pouvoir démocratique par la junte militaire, qui a de ce fait asphyxié la volonté du peuple. Le mouvement est composé d’un ensemble de militants, de proches de l’ancien régime, révoltés, mal à l’aise et n’acceptant pas l’arrêt brusque du processus démocratique. Ce processus est certes perfectible, mais il a l’aval de la communauté internationale. Il y a toujours eu des manifestations contre ou pour le pouvoir. Les différents leaders s’expriment librement, la presse est assez libre, les droits humains sont respectés, la charia est suspendue pour tout ce qui concerne le droit pénal et tout le monde vote. Les pays voisins étaient satisfaits de son régime parce qu’il oeuvrait pour conserver la stabilité de la région. Et le Fonds monétaire international et la Banque mondiale étaient d’accord avec sa politique économique.
Afrik.com : Vous dites que la démocratie est « perfectible ». Quels sont, par exemple, les points à travailler ?
Ahmed ould el Hadrami : Le processus est démocratique, mais en Afrique, surtout dans les pays arabo-africains, il existe des imperfections. En Mauritanie, la démocratie est bloquée par une opposition radicale qui a toujours refusé de collaborer avec le régime. Il y a donc beaucoup de choses à améliorer : il faudrait d’autres élections, que la presse soit plus libre, que l’opposition radicale adhère au processus démocratique et que les islamistes intégristes radicaux ne soient pas reconnus par la communauté internationale.
Afrik.com : Il y a eu d’autres tentatives de coup d’Etat sur Maaouiya ould Sid Ahmed Taya. Avez-vous senti celle-ci venir ?
Ahmed ould el Hadrami : Non. Ce coup d’Etat n’a d’ailleurs aucune relation avec les précédents. Les autres étaient menés par des nationalistes arabes et des islamistes intégristes qui étaient contre le rapprochement entre la Mauritanie et Israël et contre la laïcité. Ce coup d’Etat a été organisé par des proches du pouvoir et par la plupart des éléments de la classe politique (des islamistes extrémistes et des gauchistes extrémistes) qui critiquent avec virulence la démocratie en marche.
Afrik.com : Quelles sont vos revendications concernant le putsch ?
Ahmed ould el Hadrami : Nous avons déjà eu le soutien, notamment, des Etats-Unis, du Canada, de l’Union européenne, de l’Union africaine. Nous demandons que la communauté internationale fasse pression sur la junte qui a pris le pouvoir à Maaouiya ould Sid Ahmed Taya. Nous souhaitons aussi qu’elle impose un embargo financier au nouveau régime et une interdiction d’octroi des visas pour l’ensemble de la junte. Et nous rejoignons l’ancien Premier ministre espagnol José Maria Aznar, qui a demandé que soient jugés les membres de la junte militaire. Mais nous ne voulons pas de changement qui se fasse dans le sang et dans le non respect des droits humains et des biens publics. Nous ne voulons pas non plus d’intervention extérieure car la situation est très complexe en Mauritanie. Nous comptons sur l’armée.
Afrik.com : C’est une partie de la garde présidentielle qui a mené le coup d’Etat. Pensez-vous que l’armée va la suivre ?
Ahmed ould el Hadrami : Les membres dirigeants du pays n’ont pas donné leur aval à ce coup d’Etat. Les militaires et les forces de sécurité ne sont avec la junte. Ils ne l’avaient pas déclaré plus tôt parce qu’ils attendaient un signe fort du Président. Mais je peux vous assurer que sur le terrain, la tension monte : les forces militaires du Nord sont en rébellion. Une résistance active des forces de sécurité et de l’armée s’organise. Elle a pour but de faire déposer les armes à la junte.
Afrik.com : Quel intérêt auraient-ils à ce que la démocratie ne s’installe pas ?
Ahmed ould el Hadrami : Ce sont des totalitaires qui ne veulent qu’une chose : piller les richesses du pays et bénéficier des dividendes pétroliers. Ce sont des extrémistes, des radicaux qui haïssent l’économie libérale et la démocratie à l’occidentale. Ils n’ont aucun objectif politique. Leur promotion de la démocratie est un leurre. Sinon l’auraient-ils annihilée ? Qui les empêche de se présenter aux élections, de s’exprimer ? A chaque fois que des avancées démocratiques étaient présentées, ils faisaient de la résistance et surenchérissaient.
Afrik.com : Certaines personnes que la junte juge être des « islamistes modérés, arrêtés pour leurs seules opinions politiques » viennent d’être libérés. Qu’en pensez-vous ?
Ahmed ould el Hadrami : Ces gens sont affiliés au réseau Al Qaida, ce qui confirme l’alliance des putschistes avec des islamistes radicaux et des gauchistes nationalistes chauvinistes. Cela prouve que la junte est prête à toutes les concessions pour instaurer un régime totalitaire.
Afrik.com : Vous ne croyiez donc pas que la junte va poursuivre le processus démocratique ?
Ahmed ould el Hadrami : J’aimerais bien savoir ce qu’une junte qui veut rester deux ans dans un régime d’exception va pouvoir faire de plus qu’un régime qui est resté 15 ans.
Afrik.com : Pensez-vous que Maaouiya ould Sid Ahmed Taya pourra rentrer en Mauritanie ?
Ahmed ould el Hadrami : Je ne suis pas dans le secret du Président, mais je suis sûr que les chefs de régions militaires et leurs soldats refusent le putsch et collaborent avec le Président pour qu’il reprenne le pouvoir. La junte va alors fuir ou abdiquer et se soumettre à la justice. Espérons juste qu’il n’y aura pas de représailles.
Afrik.com : Peut-on craindre une guerre civile si l’ancien Président reste en dehors du pays ?
Ahmed ould el Hadrami : Il n’y aura pas de guerre civile. Maaouiya ould Sid Ahmed Taya est un patriote. Il n’a jamais montré qu’il était intéressé par le pouvoir et n’a d’ailleurs pas appelé le peuple à se soulever. C’est un homme sincère qui aime son pays. Même s’il y a une guerre civile, il refusera de prendre le pouvoir.