Selon les érudits religieux et les activistes qui luttent contre les mutilations génitales féminines et les excisions (MGF/E), une récente fatwa bannissant les mutilations génitales féminines en Mauritanie n’aidera à réduire cette pratique que si les responsables religieux relaient ce message auprès de la population.
Etant donné que cette pratique des MGF est largement répandue en Mauritanie, ainsi que la croyance qu’elle est imposée par l’Islam – les familles mutilent leurs filles « comme Allah le veut », a dit une femme en entendant parler de la fatwa -, convaincre les gens d’arrêter prendra du temps et nécessitera un engagement des responsables religieux.
« Les imams et les oulémas ne doivent pas se contenter de faire connaître cette fatwa dans leurs prêches », a dit à IRIN l’érudit musulman Baba ould Mata. « Ils doivent sortir… et aller au devant des populations, notamment dans les régions reculées où [les MGF] sont les plus courantes ».
Un groupe de clercs et d’érudits musulmans a signé le 12 janvier un décret religieux contre les MGF après deux journées de débat conduit par le Forum de la pensée islamique et du dialogue des cultures, dans la capitale Nouakchott.
Une étude datant de 2007 du ministère de la Santé a montré que 72 pour cent des femmes en Mauritanie avaient subi des MGF/E – environ la même proportion qu’en 2001 malgré des années de campagne de sensibilisation et une loi de 2005 punissant quiconque exciserait un enfant et lui causerait « un préjudice ».
Mais les campagnes d’éducation ont aidé à l’émission de cette fatwa, selon les dirigeants religieux. Les responsables religieux qui ont émis le décret se sont appuyés sur une déclaration de 2008 de médecins et de sages-femmes mauritaniens disant que les MGF/E étaient « néfastes à la santé et pouvaient entraîner des complications graves pouvant aller [jusqu’]au décès ».
En 2006, une association mauritanienne d’érudits religieux islamiques a délivré une fatwa dénonçant les MGF/E mais peu de responsables religieux avaient accepté de la signer. La déclaration de 2008 a cette fois renforcé le mouvement, a dit à IRIN Cheikh ould Zein, érudit musulman et secrétaire général du forum.
Il a dit au sujet de la récente fatwa : « Notre raisonnement a été le suivant : y a-t-il vraiment dans le Coran des textes très clairs qui demandent cette [pratique] ? Ils n’existent pas. En revanche, l’Islam est clairement contre tout acte qui a des répercussions négatives sur la santé. Aujourd’hui les médecins mauritaniens déclarent unanimement que [les MGF/E] menacent la santé ; il est donc clair que l’Islam est contre ».
Mais de nombreux Mauritaniens, comme cette femme à Nouakchott qui a dit s’appeler Fatimatou, ont dit qu’ils pratiquaient l’excision parce que l’Islam l’exigeait. « Nous sommes excisées de mère en fille comme Allah le veut », a-t-elle dit à IRIN. « Une fille non excisée ne peut pas prier ou se marier ».
Elle a demandé plusieurs fois qu’on lui confirme cette fatwa puis a dit : « Cette fatwa me fait douter. Je vais demander conseil en rentrant au village ; nous avons un grand marabout [responsable religieux] là-bas ».
Fatimatou, enceinte de son troisième enfant, a ajouté : « Mais si l’enfant que je porte est une fille, je pense la faire exciser parce que je ne veux pas qu’elle ait une mauvaise vie ».
M. ould Zein a dit que les MGF/E étaient trop souvent considérées comme exigées par l’Islam. « La difficulté est de séparer tradition et religion ».
Etant donné « le poids des traditions » l’érudit M. ould Mata a dit à IRIN qu’entendre parler des effets nocifs des MGF/E par des ONGs ne serait pas suffisant. « Mais si un imam va dans un village et dit, ‘Oui, l’Islam est contre l’excision’, alors les hommes comme les femmes ne pourront plus défendre cette pratique par l’argument religieux ».
La loi mauritanienne a eu peu d’effet sur le terrain, a dit Yakhare Soumaré de l’ONG mauritanienne Action. Elle est d’accord sur le fait que la fatwa ne peut avoir de l’influence que si des responsables religieux la soutiennent activement. « C’est la position de certains religieux… qui a été jusqu’ici le plus grand obstacle à nos actions de sensibilisation. Même si nos [campagnes atteignaient] des populations isolées, ce sont toujours les guides religieux qui a le dernier mot ».