Mauritanie : histoire d’une discorde


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Porteurs d’un sentiment d’oppression culturelle et de marginalisation immuable, les Négro-mauritaniens manifestent leur amertume depuis les discours du premier ministre et de la ministre de la culture tenus le 1er mars sur la question de l’arabisation. Un retour dans l’histoire permet de comprendre que ces évènements sont les résurgences de vieilles tensions apparues dés la naissance de la Mauritanie

La Mauritanie n’a, en tant qu’entité nationale, qu’une existence récente qui a connu au début des années 1900, l’impact du fait colonial. Mais il faut remonter bien avant cette période pour appréhender la complexité des rapports entre Arabo-berbères et Négro-mauritaniens.

Au Xe siècle, le nord de la Mauritanie et le Sahara occidental sont occupés par les berbères, qui entretiennent des liens d’échanges commerciaux étroits avec l’empire du Ghana. Du centre de la Mauritanie jusqu’au fleuve Sénégal au Sud, vivent les peuples Sérères et Wolofs. La cohabitation repose alors sur un équilibre établi où chaque communauté s’inscrit dans des réseaux sociaux bien délimités. C’est entre le XIe siècle et le XVIIe siècle que la Mauritanie voit la physionomie de sa population changer avec trois invasions consécutives : celles des Berbères, des Peuls et des Arabes. C’est l’avènement du mouvement religieux musulman des almoravides qui permet l’implantation des Berbères dans le sud du pays et amorce son entrée dans le monde arabe. Les Peuls venus du Macina, province du Mali, envahissent quant à eux le sud de la Mauritanie dès le XIIe siècle. Ils poursuivent leur implantation dans la zone centrale du pays jusqu’au XVIe siècle et finissent par évincer les populations sérères et wolofs. Arrivés du sud marocain dès le XIVe siècle, les Arabes Beni Hassane amorcent un mouvement vers le sud et s’imposent aux Berbères dés les XVe et XVIe siècles, propageant progressivement la langue arabe, alors appelée hassaniyya. C’est au XVIIIe siècle qu’ils poussent leur conquête jusqu’aux rives du fleuve Sénégal, refoulant alors définitivement les Peuls et les Wolofs et asseyant leur toute puissance. Ces diverses invasions ont, en modifiant la structure sociale et la composition ethnique du pays, commencé à fragiliser l’équilibre établi au fil du temps entre les communautés noires et arabes.

La présence coloniale, s’étalant du début des années 1900 à la fin des années 1950, met fin à l’hégémonie arabe en s’opposant aux Emirats alors en place. Commence alors une nouvelle ère. La scolarisation coloniale, accessible seulement aux sédentaires et donc aux communautés noires vivant dans la région du fleuve Sénégal, inverse la tendance. Ces communautés, jusque là brimées, bénéficient d’un enseignement en français qui a été décisif à la période de l’indépendance. « A l’indépendance (1960, ndlr), un certain nombre de ces jeunes négro-mauritaniens ayant été scolarisés, ont obtenu des postes importants dans l’administration. Cela paraissait normal, à leurs yeux, étant donné que le pouvoir politique était aux mains des Arabo-berbères » explique Alain Antil. En effet, le premier président de cette jeune république, Mokhtar Ould Daddah, était issu de la communauté arabe.

Des réformes en nombre

C’est à partir de 1965 que les premières réformes d’arabisation de l’enseignement sont édictées par Ould Daddah. « Les arabophones étaient défavorisés par ce système d’enseignement essentiellement francophone » précise Alain Antil. Les Négro-mauritaniens se sentent directement visés par cette réforme, destinée, selon eux, à les marginaliser et à gêner leur accès aux postes administratifs. Commence alors une véritable discorde entre deux communautés ayant pourtant réussi à instaurer un semblant d’harmonie durant la période coloniale.

Cette question désormais politique, basée sur une ségrégation linguistique et ethnique, est exacerbée dans les années 1980 avec l’édiction d’une réforme foncière mettant fin à la propriété collective. Réforme encore une fois interprétée par la communauté noire comme une volonté de les discriminer en leur prenant leurs terres.

En 1986, ce conflit intercommunautaire franchit encore un cran lorsque le pouvoir mauritanien soutient avoir décelé une tentative de putsch à l’encontre du président Ould Tayah, commanditée par des officiers négro-mauritaniens. Le gouvernement en place entreprend alors une purge de l’armée mauritanienne en remplaçant les officiers négro-mauritaniens par des Arabo-berbères. Mais c’est entre 1989 et 1991 que cette opposition atteint son paroxysme avec l’expulsion de près de 100 000 Africains mauritaniens et l’assassinat de dizaine d’autres. Il a fallu attendre l’élection de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi en 2007 pour que ces réfugiés puissent être autorisés à réintégrer leur pays.

Depuis les années 1960, les gouvernements successifs tentent d’introduire massivement la langue arabe dans l’enseignement, provoquant systématiquement la colère des Négro-mauritaniens qui se battent pour la préservation du français comme langue de travail. Aujourd’hui, le président Mohamed Ould Abdel Aziz s’efforce de parachever cette volonté d’arabisation, provoquant une nouvelle fois un violent sentiment de marginalisation de la part des Négro-africains. Une nouvelle tentative qui nuit dangereusement à la cohésion intercommunautaire sur le sol mauritanien.

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