Les dirigeants internationaux, les chefs d’Etat et les activistes des droits humains ont condamné le renversement, par l’armée, du président mauritanien Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi, et du Premier ministre Yahya ould Ahmed Waghf, le 6 août, et les analystes se demandent quelles conséquences aura ce dernier bouleversement politique sur un pays qui peine déjà face à la hausse du prix des denrées alimentaires et du coût de la vie, à mesure qu’il accueille de nouveau en son sein des milliers de réfugiés rapatriés.
Le coup d’Etat a commencé à peine quelques heures après l’adoption d’un décret présidentiel, tôt dans la journée du 6 août, portant sur la révocation des quatre hauts responsables de l’armée mauritanienne.
Dans la matinée de mercredi, des soldats avaient barricadé le palais présidentiel, selon Amal Mint Cheikh Abdallahi, la fille du président. Au cours d’un entretien téléphonique accordé à IRIN tôt dans la matinée du 6 août, Amal Mint Cheikh Abdallahi a confirmé l’arrestation de son père : « Nous sommes piégés chez nous, entourés de soldats dans la cuisine et les salles de bain. Nos téléphones portables ont été confisqués. C’est un coup d’Etat, ni plus ni moins ».
Pendant la journée, les meneurs de ce putsch ont annoncé la création d’un conseil d’Etat, dirigé par Mohamed Ould Abdel Aziz, chef de la garde présidentielle, qui a déclaré au cours d’interviews accordées aux médias européens que cette prise de pouvoir ne constituait pas un coup d’Etat, mais une tentative de rétablissement de la sécurité.
Interrogé sur les motivations de ce coup d’Etat militaire, M. Ould Abdel Aziz a répondu, en ses propres termes, que le pays était confronté à une série de problèmes de sécurité, notamment liés au terrorisme, que seule l’armée était en mesure de traiter.
Le coup fait suite au remaniement gouvernemental de mai dernier, qui a vu la nomination de M. Waghf au poste de Premier ministre ; au vote de censure de juillet contre le gouvernement, suivi de la démission de ce dernier ; à la menace de dissolution de l’Assemblée nationale, proférée ensuite par le président, et à la démission de près de 50 députés du parti au pouvoir, au début de cette semaine.
Le président Abdallahi est arrivé au pouvoir en 2007, à la suite du premier changement de gouvernement démocratique depuis l’indépendance, en 1960. Un changement qui était considéré par beaucoup comme un nouveau départ après plus de 20 ans de régime militaire et autoritaire. La Mauritanie a été le théâtre de multiples coups d’Etat et tentatives de coup d’Etat depuis l’indépendance.
Les dirigeants des Nations Unies et de l’Union africaine, ainsi que plusieurs chefs d’Etat ont condamné ce dernier putsch et appellent à un retour pacifique au régime constitutionnel. Dans le cas contraire, la Commission européenne a menacé de suspendre l’aide à la Mauritanie.
La Fédération internationale des droits de l’homme, sise à Paris, demande pour sa part que des sanctions soient prises à l’encontre des meneurs de ce coup, tandis que le Forum africain pour la défense des droits humains, dont le siège se trouve à Dakar, a appelé à la libération immédiate du président Abdallahi et de ses collaborateurs.
Selon Jason Mosley, analyste principal pour l’organisation britannique Oxford Analytica, plusieurs mois d’instabilité politique ont éloigné le pays de la plateforme socioéconomique qui avait contribué à faire élire M. Abdallahi.
« Ce n’était pas vraiment au programme politique, ou cela n’a pas eu la chance d’être développé avant que la politique ne prenne le pas sur le programme social. Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi s’est senti menacé par la crise alimentaire et les questions de sécurité ».
La Mauritanie a été secouée par plusieurs attentats attribués à des terroristes, notamment par le meurtre de quatre touristes français en décembre 2007, qui a alimenté la critique envers les choix du président Abdallahi en matière de sécurité.
Selon M. Mosley, analyste, le Pacte national pour la démocratie et le développement (PNDD), la coalition relativement récente au pouvoir depuis le mois d’avril dernier, n’a pas eu le temps de fusionner avant de commencer à subir la pression sociale engendrée par la hausse du prix des denrées alimentaires.
Conformément à la tendance mondiale, les prix des denrées alimentaires sur le territoire aride de la Mauritanie ont en effet doublé cette dernière année.
En août 2007, en Mauritanie, des milliers de personnes ont en outre été déplacées par des inondations, qui ont emporté bétail et cultures. Quelques mois plus tard, le sud-est du pays était le théâtre d’émeutes de la faim.
En Mauritanie, d’après Boubacar Datt, un étudiant mauritanien de troisième cycle, qui étudie à Dakar, au Sénégal voisin, certaines personnes, avides de changement, pourraient éprouver un certain soulagement dans le sillage du coup d’Etat.
« Ce qu’ils ne voient pas, c’est que Sidi [Mohamed ould Cheikh Abdallahi] n’était qu’une mascotte, et qu’il n’a jamais eu de pouvoir. Les gens parlent de la Mauritanie comme d’une démocratie, mais la Mauritanie a toujours été gouvernée par l’armée. Ce [coup d’Etat] n’est pas une surprise. Il n’y a pas de démocratie. La démocratie n’existe que dans les journaux. Dans la vie de tous les jours, Sidi [Mohamed ould Cheikh Abdallahi] ne pouvait pas tenir ses promesses électorales ».
Pour M. Datt, peu importe qui se trouve au pouvoir, les produits alimentaires ne deviendront pas subitement plus abondants, le carburant, moins cher, ou la vie, plus facile.
Le président Abdallahi a mené campagne en faveur de l’abolition de l’esclavage, une pratique qui subsiste bien qu’elle soit interdite par la loi depuis plus de 20 ans, et en faveur d’une réinsertion des réfugiés qui ont fui pour échapper aux affrontements frontaliers et ethniques sanglants de 1989.
Des centaines de personnes ont trouvé la mort, et des dizaines de milliers se sont réfugiées au Mali et au Sénégal voisins, dont bon nombre hésitent encore à retourner dans leur pays.
Moustapha Touré, de l’Association des réfugiés mauritaniens au Sénégal, se dit inquiet à l’idée que le coup d’Etat puisse interrompre le retour des réfugiés du Sénégal, démarré au cours de l’année 2008.
« Cela mettra fin au rapatriement, et freinera effectivement le processus de guérison », a-t-il prévenu.
En octobre dernier, le gouvernement du président Abdallahi a organisé une journée nationale de dialogue avec les réfugiés en exil pour débattre de la procédure à suivre en matière de rapatriement. M. Touré a assisté à cet événement, à Nouakchott.
« Le président s’était engagé à former une commission pour la paix et la réconciliation, une de nos revendications principales depuis longtemps. C’est dur de voir cette commission s’effondrer avant même qu’elle ait pu être créée ».