Pas moins de 200 touristes, journalistes et professionnels français du tourisme ont assisté, du 13 au 16 janvier, à la 4e édition du festival des villes anciennes, à Oualata, au sud-est de la Mauritanie. Une initiative coup de poing décidée par « Point-Afrique » malgré la couleur de cette zone classée rouge par le Quai d’Orsay. Reportage.
(De notre envoyé spécial)
Dès l’arrivée des festivaliers français en Mauritanie, à l’occasion de la 4e édition du festival des villes anciennes à Oualata, le ministre du tourisme, Bamba Ould Daramane, donne le ton. « Il n’y a aucune raison que le pays soit classé rouge par la France. Toutes les mesures de sécurité sont prises pour accueillir les touristes français », a-t-il déclaré. Organisée par l’agence de voyage « Point-Afrique », ce voyage à Oualata, ville située au sud-est de la Mauritanie fondée au VII siècle avant d’être détruite en 1076 et rénovée en 1224, a été l’occasion de découvrir les richesses qu’offre cette cité ocre que les caravaniers ont surnommé au XVe siècle : « rivage de l’éternité ».
L’ambiance était à son apogée dans cette localité encerclée par un impressionnant désert et classée patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1996. Hormis l’accueil chaleureux observé par les habitants de Oualata, les visiteurs étrangers et mauritaniens ont assisté à d’incroyables spectacles de chant et de danse, ou encore de courses de chameaux…
Bien évidemment, la poésie était au cœur de l’événement. Que serait un festival mauritanien sans la poésie, ce pays au million de poètes ? Et même si beaucoup de touristes ne comprenaient pas les paroles, les réactions de la foule mauritanienne entre chaque vers suffisaient à les plonger avec elle.
Du rouge à l’orange
Le fondateur de la coopérative française de voyages « Point-Afrique », Maurice Freund, dit ne pas regretter une seule seconde ce voyage en dépit des restrictions du Quai d’Orsay. « C’est un voyage exceptionnel qui n’aurait pas eu lieu sans la présence du Président Mohamed Ould Abdel Aziz ». La ville était en effet sous étroite surveillance de l’armée durant tout le long du festival, non seulement pour protéger les visiteurs étrangers mais aussi le président. « L’avis du ministère français des Affaires étrangères ne m’intéresse pas », assure Maurice Freund qui est tout de même conscient que le risque 0 n’existe pas. Mais il renchérit en précisant que le pays est « stable » et que la surveillance de la frontière avec le Mali a été renforcée depuis l’assassinat en décembre 2007 de quatre touristes français et tout particulièrement depuis le conflit au Mali.
Malgré la pression du Quai d’Orsay, Point-Afrique, en partenariat avec La Balaguère, à l’intention de reprendre ses vols vers la Mauritanie, dans la région de l’Adrar, et vers le Tchad. Un vol est d’ores et déjà prévu en février vers Atar, à condition que 50 personnes minimum participent à cette excursion. Quoiqu’il arrive, « La Balaguère » maintient son circuit dans l’Amatlich prévu à partir de février 2014.
Mais alors pourquoi la France maintient-elle le rouge en Mauritanie malgré les nombreuses dispositions prises par la Mauritanie pour assurer la sécurité intérieure ?
L’armée et Total, des dossiers classés secret défense
Selon le fondateur de « Point-Afrique », la France tient à préserver l’exploration du désert mauritanien par Total, à 800 kilomètres à l’est de Nouakchott, la capitale, à l’abri des regards indiscrets. Un agent d’interface de l’agence « Mauritanie des voyages » nous interpelle : « le rouge dans la zone de l’Adrar (désert) n’est absolument plus justifié aujourd’hui ».
Le directeur adjoint de l’agence de randonnées et de voyages à pied « La Balaguère », Rémy Fourasté, lui aussi présent au festival, s’est dit prêt à « relancer la destination de la Mauritanie si la couleur rouge est levée ». « Pour le moment, hormis ce voyage particulier, on ne peut pas car il n’y a pas de couverture d’assurance dans les zones classées rouge ». Ce dernier explique ne pas comprendre le maintien de cette couleur et entend poursuivre, en partenariat avec « Point-Afrique », le « lobbying » pour forcer le Quai d’Orsay à retirer le rouge en faveur de l’orange, voire du vert. D’après lui, le consul de France n’y voit aucun inconvénient. Une requête cela dit immédiatement rejetée par le gouvernement français.
Il se murmure qu’en plus de l’armée, des agents de la DGSE seraient présents à Atar. Ceux-ci refusent catégoriquement la présence des touristes. Une information confirmée par un responsable militaire actuellement en poste de surveillance près de la frontière malienne.
Nous sommes allés à sa rencontre : « Cela fait très longtemps qu’il n’y a pas eu de passage de membres d’Al-Qaïda à la frontière mauritanienne. La zone (de Oualata) est très calme. Il n’y a donc aucun risque pour le nord de la Mauritanie où le rouge est maintenu uniquement dû à la présence de militaires français. Il est temps que la France change de couleur », confie-t-il sous couvert d’anonymat.
Quand les touristes défient le Quai d’Orsay
Toutefois, des touristes français ne tiennent pas compte des conseils du Quai d’Orsay. « Les touristes reviennent par petits groupes toutes les semaines, mais c’est encore timide », révèle l’agent d’interface de « Mauritanie des voyages ».
Dominique, une Parisienne passionnée du Sahara, fait partie de ces touristes qui bravent l’interdit. Nous l’avons rencontré à Oualata. Elle affirme ne plus du tout regarder les informations relayées par le ministère des Affaires étrangères tellement elles sont pour certaines « inexplicables ». « Je voyage dans le Sahara depuis 1980. J’ai commencé par le Maroc, puis l’Algérie dans les années 90. En 2013, j’ai pu aller au Tchad grâce à « Point-Afrique ». Mon dernier voyage était en Libye, peu avant la révolution ». Et lorsqu’on lui demande si elle se sent en sécurité dans une zone dite risquée, à quelque 200 kilomètres de la frontière nord-malienne, Dominique répond par l’affirmative. « Je n’ai pas l’impression d’avoir pris des risques en venant en Mauritanie ! », lance-t-elle.
Le faux pas d’Abdel Aziz
Les risques sanitaires sont toutefois non-négligeables. En cas d’accident grave, aucune couverture d’assurance ne prendra en charge les blessés dans une zone classée rouge. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle peu de touristes s’aventurent en Mauritanie. De plus, il subsiste en déficit important en matière de communication. Bien que « Point-Afrique » a fait le nécessaire pour informer ses visiteurs, il n’en est pas de même du côté de la présidence mauritanienne. Alors que le dirigeant Abdel Aziz avait l’occasion de s’adresser à la presse étrangère présente au festival afin de rassurer les futurs potentiels touristes, ce dernier s’est au contraire terré dans un silence de marbre.
Plusieurs journalistes se sont plaints du comportement du président mauritanien jusqu’au moment où Abdel Aziz s’est enfin décidé à accorder un point presse aux journalistes qui ont fait le déplacement. Mais voilà, seuls trois journalistes occidentaux avaient été choisis pour interviewer le président Abdel Aziz. Les journalistes issus des médias panafricains ou traitant de l’actualité africaine, dont Afrik.com, ont été écartés. Pour quelles raisons ? C’est la question que nous posons au président mauritanien qui n’a finalement accordé aucune interview, poussant ainsi au paroxysme le manque de décence. Celui qui était plus à même de s’exprimer sur les mesures de sécurité prises par le pays pour assurer la sécurité des Mauritaniens et des touristes a préféré tourné le dos aux journalistes conviés à l’événement.
C’est donc vers Khadijetou Mint Doua, la directrice générale de l’Office du Tourisme mauritanien que les journalistes ont été invités à poser leurs questions… Toutefois, cette dernière était dans l’incapacité de donner des informations précises relatives aux mesures de sécurité si ce n’est d’affirmer que la Mauritanie est « aussi verte que le drapeau » (rapport au rouge imposé par la France, ndlr). Cette dernière a toutefois reconnu que le pays « n’avait pas pour habitude de communiquer ». Et alors que l’occasion s’est présentée, le président Abdel Aziz l’a laissée filer.
Guides, chameliers ou artisans : des métiers en danger
Nous avons en revanche eu l’occasion de discuter avec des chameliers, des artisans et des guides, pendant le festival, impatients de voir le tourisme reprendre. Les métiers de guide et de chamelier n’existent que grâce à la présence de touristes. Etant donné la faible activité, ces derniers sont contraints de se rabattre vers des activités alternatives telles que la pêche ou l’industrie minière.
A Oualata, le bivouac des artisans est en fête. Les touristes sont de retour. Mais pour un temps seulement, celui du festival. Les femmes chantent et dansent au quatre coins du bivouac.
Les artisans tentent de vendre un maximum de produits faits mains aux festivaliers, car après leur départ il faudra attendre très longtemps avant de voir revenir une foule aussi importante. Pas moins de 200 personnes avaient fait le déplacement depuis Paris pour assister à l’événement. Après leur départ, les artisans, pour la plupart des femmes, continueront à perdre de l’argent, car ils fabriquent plus que ce qu’ils ne vendent, et les chameliers et les guides se rabattront sur d’autres métiers. Une vie « anormale » donc qui reprend son cours…
Retour à Paris. L’un des guides avec lesquels nous avons sympathisé nous a écrit : « S’il vous plaît, parlez du désert mauritanien autour de vous. Il reste tant à voir (…) ».