Sinistre affluence à la Grande mosquée de Conakry. Ce vendredi matin, jour anniversaire de l’indépendance de la Guinée, les autorités ont remis aux familles des victimes de la tuerie du Stade du 28 septembre, les dépouilles de leurs parents qui s’étaient rassemblés lundi pour manifester contre la candidature du capitaine Moussa Dadis Camara à la présidentielle 2010.
Une partie des personnes qui avaient fait le déplacement n’ont pas trouvé ceux qu’ils cherchaient parmi la cinquantaine de cadavres exposés. Reportage.
Au pied de la Grande mosquée de Conakry, l’odeur âcre et putride de la mort. Sous de larges tentes, posés sur des nattes à même le sol, des dizaines de corps sans vie, emmaillotés dans des draps blancs, les visages exposés à l’air libre. Des centaines de personnes venues récupérer la dépouille d’un frère, d’une sœur, d’un père, errent, la tête basse, les yeux rougis. Et lorsqu’un camion militaire entre sur l’esplanade pour décharger une nouvelle cargaison macabre, elles se pressent vers lui dans l’espoir et la crainte de retrouver un être cher.
Tandis que l’imam entonne une prière au micro, des femmes sillonnent les allées dessinées par l’alignement des tentes en criant leur douleur en peul, en soussou, en malinké… Un homme se poste devant moi et présente la photo d’un proche qu’il a fait encadrer. « C’est mon frère, El Hadj Al-Hasan Ba, on ne l’a pas retrouvé depuis le 28 septembre, déclare-t-il. On l’a cherché partout, même au camp Alpha Yaya, on ne l’a pas vu. » Plusieurs personnes dans la foule, qui peu à peu se masse autour de moi, crient que de nombreux corps sont manquants et que les 57 victimes de la tuerie du stade du 28 septembre dénombrées officiellement ne représentent qu’une partie du bilan réel[[Les forces vives estiment qu’il y a eu au moins 157 morts.]]. « J’ai déposé deux corps à Douka. Je ne les ai pas vus ici », assure l’un d’entre eux. Un autre, Ousmane Camara, affirme qu’il a vu au lendemain des événements, en pleine nuit, vers trois heures du matin « un bulldozer qui a fait un trou, à Yimbaya, derrière le camp militaire Alpha Yaya. ». Une fosse dans laquelle des soldats auraient enterré des dépouilles.
A la recherche des corps manquants
Sur le bilan des événements du 28 septembre, les autorités sanitaires font profil bas. Présente sur l’esplanade de la Grande mosquée, la directrice générale de l’hôpital Ignace Deen de la commune de Kaloum, à Conakry, le Pr. Fatoumata Binta Diallo, déclare avoir reçu 24 corps dans son établissement. Mais elle refuse d’aborder les sujets du bilan global et des blessures observées sur les victimes. La présidence guinéenne affirme qu’il n’y a eu que quatre tués par balles, les autres ayant succombé écrasés ou étouffés suite aux bousculades engendrées par la panique. Interrogée sur les causes des décès des manifestants reçus dans son hôpital, le Pr. Diallo préfère répondre qu’elle n’a qu’un rôle administratif, que seul un médecin légiste pourrait s’exprimer sur cette question, puis met fin unilatéralement à la conversation.
Un peu plus loin, un membre de la Croix rouge esquive lui aussi nos questions et passe son chemin. A quelques mètres de là, Mamadou, barbe grise, tient dans sa main une photo de son jeune fils, Alpha Oumar Diallo, qu’il a récupéré avant-hier à l’hôpital. Il était dans le coma et s’est éteint quelques heures plus tard. Mamadou pointe du doigt le bandage qu’il a sur la tête. « Ca c’est une blessure à balle réelle, déclare-t-il, ce n’est pas la bousculade. » Son premier souhait aujourd’hui : qu’une commission d’enquête désigne les coupables.
Nombre de ceux qui se pressent autour de moi sont des membres des forces vives de la Guinée, hostiles au pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara, et ont assisté au massacre du 28 septembre. Ils dénoncent la violence et l’impunité des militaires. « Devant moi, ils ont retiré les habits des femmes, même les culottes. Et ils les ont tuées avec des fusils, ils les ont percées avec des couteaux ! », hurle l’un d’entre eux. Un autre, Tierno Wouri Baldé, est plus précis dans ses accusations. « J’étais au stade. Il y avait trois ministres. Claude Pivi, chargé de la sécurité présidentielle, Siba Lolamou, le ministre de la justice, et Tiegoro Camara, le ministre de la lutte anti-drogue. Ce sont eux qui ont commencé à tirer », assure-t-il, avant d’ajouter qu’il a vu également « le premier garde du corps du président, Toumba Diakité, qui dirigeait les bérets rouges ». D’autres prétendent qu’une partie des troupes utilisées pour mettre en œuvre la répression serait anglophone et viendrait du Liberia. Les accusations pleuvent, ainsi que les appels à la communauté internationale. « Dadis doit démissionner ! », lance un président d’association de la commune de Ratoma. « Quelqu’un qui ne tient pas son armée ne peut gérer un pays », ajoute un autre homme.
Entre colère et désespoir
Au fil des minutes, la tension monte. Les symboles du pouvoir irritent. Des jeunes brandissent avec fierté des morceaux de tissus qu’ils ont arrachés du boubou du secrétaire général de la Ligue islamique, Koutoubou Sanou. Ce dernier était venu sur les lieux avec d’autres représentants officiels des confessions religieuses du pays. Ils ont dû prendre la fuite sous la charge de la foule en colère.
Quelques pierres sont tirées en direction des forces de police. Une partie d’entre elles se rassemble au milieu de l’esplanade de la Grande mosquée, tandis qu’une autre se déploie autour du site afin d’éviter les débordements. D’autres familles continuent d’arriver pour reconnaître des corps sur lesquels les mouches ont entamé un bal funèbre. Quelques mètres avant la sortie, un homme m’interpelle en anglais. Sans doute m’a-t-il pris pour un journaliste américain. Il n’a plus de nouvelles de son fils arrêté puis enfermé au camp Koundara depuis le 28 septembre. Dans son regard, toute la détresse d’un peuple.
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