Le 1er décembre 1944, à Thiaroye, au Sénégal, des tirailleurs sénégalais, rescapés des camps de prisonniers allemands après avoir combattu pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale, furent massacrés par les forces coloniales françaises. Ces hommes, qui avaient déjà enduré les privations et les souffrances de la captivité en Europe, trouvèrent la mort sur leur terre natale par les balles de l’armée qu’ils avaient servie.
Alors que la France et le Sénégal s’apprêtent à commémorer les 80 ans de ce drame, les débats autour de sa mémoire restent vifs, avec de nouvelles initiatives pour en révéler les non-dits.
Le massacre de Thiaroye trouve son origine dans les revendications légitimes des tirailleurs. Ces derniers réclamaient le paiement des arriérés de leur solde de captivité, leurs primes de démobilisation et dénonçaient le taux de change discriminatoire appliqué à leurs économies – un franc métropolitain était échangé contre 0,7 franc colonial, réduisant considérablement leurs gains. Face à ces demandes, la réponse des autorités coloniales fut sanglante. Les bilans officiels évoquent 35 morts, mais les travaux récents d’historiens, notamment ceux d’Armelle Mabon basés sur des archives militaires longtemps inaccessibles, avancent des chiffres bien plus élevés, estimant jusqu’à plusieurs centaines de victimes. Les recherches révèlent également que de nombreux tirailleurs furent blessés lors de la fusillade et que d’autres furent emprisonnés dans les mois qui suivirent. Considéré par les autorités de l’époque comme une mutinerie, cet acte de répression est aujourd’hui dénoncé comme un massacre prémédité. Le silence qui a entouré cet événement pendant des décennies en fait l’un des symboles des injustices subies par les soldats africains ayant combattu pour la France.
Une initiative parlementaire pour faire la lumière
À l’approche de cet anniversaire, cinq députés français ont déposé, le 26 novembre 2024, une proposition pour la création d’une commission d’enquête parlementaire. L’objectif : lever les zones d’ombre qui subsistent sur cet épisode, notamment sur les ordres donnés, l’accès aux archives, et le nombre exact de victimes.
Nous avons présenté ce matin à la presse la proposition de résolution transpartisane que nous déposerons à l’Assemblée nationale afin de demander la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le massacre de Thiaroye au Sénégal du 1er décembre 1944.
Il s’agit d’une… pic.twitter.com/Fbn4reMr6m
— Dieynaba Diop (@Dieynadiopsow) November 26, 2024
La proposition portée par la Députée Dieynaba Diop est soutenue par des représentants de gauche et quelques membres du camp présidentiel. Elle pourrait permettre d’entendre des historiens, des descendants des victimes et des responsables du service historique de la Défense française. Si elle est approuvée par la commission compétente, les travaux débuteraient en mars 2025. Cette démarche s’inscrit dans une quête de vérité qui pourrait conduire à une reconnaissance officielle de la France pour cet acte de répression.
Une reconnaissance amorcée en 2014
Le massacre de Thiaroye avait déjà fait l’objet d’une reconnaissance symbolique en 2014. À l’occasion du 70ᵉ anniversaire, François Hollande, alors président de la République, s’était rendu sur les lieux avec son homologue sénégalais Macky Sall pour inaugurer un mémorial. Hollande avait évoqué une « répression sanglante » et reconnu « une injustice », tout en promettant la remise des archives françaises sur cet événement. Macky Sall, pour sa part, avait salué cette initiative comme un geste mémoriel important pour rappeler l’histoire commune entre la France et le Sénégal.
Quatre-vingts ans après, le massacre de Thiaroye reste un sujet central pour les descendants des tirailleurs sénégalais et pour les historiens. Le drame met en lumière les discriminations systémiques et le traitement injuste infligé à ces hommes, pourtant héros de guerre.