En janvier 1778, trois couples d’esclaves, qui travaillaient dans l’hacienda de La Concepción, s’échappèrent pour se rendre à Quito et présenter au Président une série de plaintes au sujet des mauvais traitements qu’ils subissaient de la part de l’administrateur Francisco Arrecoechea.
Au cours des siècles qu’a duré l’esclavage, il y eut dans la Vallée del Chota et dans le Bassin du fleuve Mira, divers actes de résistance et de tentatives de rébellion. Les haciendas dans lesquelles vivaient les esclaves noirs après l’expulsion des Jésuites, (1767), étaient devenues les propriétés de l’État qui les dirigeait par le biais d’administrateurs.
Trois éléments semblent dignes d’intérêt dans cette expédition chez le président »:
1. La conscience d’avoir des droits et la valeur ( le courage ) que cela représentait de les revendiquer.
2. Le fait de se présenter non pas comme des rebelles isolés, mais comme une Commission envoyée par tous les esclaves.
3. La présence des épouses qui indiquait le degré de dignité et de force que la femme noire avait acquis.
Le chef de la Commission s’appelait Pedro Lucumí, et parmi les femmes se trouvait Martina Carrillo.
Les plaintes que la Commission présenta au président José Dibuja, furent les suivantes:
1. Les esclaves recevaient moins de nourriture que ce que la Loi exigeait, d’où l’alimentation était nettement insuffisante.
2. La rénovation du vestiaire n’était pas réalisée à temps.
3. On obligeait les esclaves à travailler les dimanches, jusqu’à midi, leur enlevant du temps de repos et qu’ils pouvaient consacrer au travail dans leurs petites fermes (contrairement à la coutume établie depuis le temps des Jésuites).
4. Les esclaves recevaient des châtiments trop rigoureux et injustifiés, étant donné qu’ils exécutaient bien leurs tâches.
Le Président Dibuja, les reçut et les écouta, puisqu’il considérait que les esclaves avaient le droit de recourir à l’autorité supérieure. De plus, il pensait qu’il ne fallait pas trop maltraiter les esclaves pour éviter de plus grandes rebellions.
Dibuja décida d’envoyer un nouvel administrateur, du nom de Andrés Fernández, chargé de remplacer l’actuel administrateur et d’enquêter sur les accusations présentées par les esclaves.
Lorsque les esclaves retournèrent à La Concepción, ils furent durement châtiés : Lucumí reçut 500 coups de fouet car il était le chef de la Commission ; Martina en recevait 300 qui lui ouvrirent la poitrine et la mirent dans un si mauvais état que le prêtre dût avoir recours aux saintes huiles; il en fut de même pour tous les membres de la Commission, de telle sorte que ils ne pouvaient même pas retourner au travail 15 jours après.
Le nouvel administrateur, qui arriva trois mois plus tard, put encore s’apercevoir des châtiments infligés, malgré les ordres donnés par le Président d’y mettre fin.
Bien que Arrecochea essaya de justifier ses agissements, après avoir parlé avec les majordomes et suite à de nombreux autres témoignages, le nouvel administrateur décida d’envoyer son prédécesseur à la prison royale de Quito.
À Quito, il allait subir un procès et fut condamné à une amende de 100 pesos à reverser à l’État et d’une autre du même montant pour les esclaves qui avaient été victimes de sa cruauté.
Les trois noires et les trois noirs restèrent esclaves, mais ils avaient réussi à améliorer les conditions de vie de tous et de toutes les camarades tout en établissant un précédent:
a) La possibilité pour les esclaves de faire respecter leurs droits et de faire reconnaître leur dignité;
b) Le pouvoir de recevoir une compensation financière pour les préjudices de la part de ceux dont ils avaient été victimes.
La Graine d’une vie meilleure avait été semée parmi les esclaves de La Concepción, une graine qui durant les décennies suivantes allait produire ses fruits et particulièrement dans la famille de Martina Carrillo, d’où allait surgir un autre grand champion des droits du noir, son fils Francisco Carrillo.