La violence conjugale, qu’elle s’exerce de façon verbale ou physique, est une réalité quotidienne pour des milliers de Marocaines. Retour sur ce phénomène avec l’exemple de la province d’Errachidia, dans le Sud-est du Maroc, au sein de laquelle l’association Troisième Millénaire pour le Développement vient en aide aux femmes brisées.
Une jeune femme de 17 ans, décapitée par son mari après un accès de violence. Les images, montrées à la télévision lundi dernier, ont choqué le Maroc. Et font rebondir le débat sur la violence au sein du couple, réalité quotidienne de milliers de Marocaines. Selon Fatiha Lamriss, sociologue, la violence conjugale prend diverses formes : verbale (insultes, menaces, dénigrement systématique), physique (sévices corporels, abus sexuels) ou économique (privation d’autonomie financière). Pour autant, « c’est la première fois que les médias transmettent ce genre de photos, aussi sanglantes, pour illustrer un sujet sur la violence conjugale », s’étonne Samira El Bennani. Depuis 2000, cette jeune femme est responsable du Centre d’écoute de l’association Troisième Millénaire pour le développement, basée à Errachidia, au Sud-est du Maroc. Et malheureusement, la violence conjugale, elle connaît. Toutes les semaines, elle reçoit des femmes brisées, aussi bien moralement que physiquement.
« Depuis deux ans, les femmes agressées osent venir nous voir de plus en plus », explique-t-elle. « Nous avons traité 145 cas en 20002-2003 et 284 cas en 2003-2004. » Et l’année 2004 n’est pas encore finie… « Il faut dire que notre ville cumule tous les handicaps : elle est pauvre, sans infrastructures, marginalisée par rapport au reste du pays, les traditions y sont fortes et nous y observons la montée de l’intégrisme religieux. Les femmes sont mariées trop tôt, leur croissance à peine achevée, et elles sont maintenues dans un état d’ignorance et de soumission désolant. La région est très conformiste et la femme doit se comporter en personne pieuse, soumise, obéissante. »
Quand le corps parle
Pourtant, cette violence, qui s’exerce à l’intérieur de la sphère familiale, reste largement tabou et les femmes qui décident de se rendre au Centre d’écoute ont du mal à exprimer leurs douleurs. Parfois, leur corps parlent pour elles. « J’ai reçu dernièrement une femme enceinte de 7 mois, battue affreusement par son mari. Elle avait des bleus partout et un certificat médical pour arrêter de travailler ! Et bien, son conjoint n’a pas été inquiété. Dans la plupart des cas, les femmes préfèrent se réconcilier avec leur bourreau, elles refusent l’idée du divorce, qui les marginalise encore plus. Elles subissent donc en silence. C’est très difficile de les convaincre qu’elles sont des victimes et qu’elle ont le droit de porter plainte. »
Celles qui souhaitent s’adresser à la justice sont rapidement découragées par les procédures longues et compliquées. La loi marocaine exige que douze témoins appuient la déclaration de la femme battue. Or, les violences se déroulent à la maison, en privé… « Même avec le nouveau Code de la famille, la loi reste compliquée. Il y a différents points qui ne sont pas pris en compte légalement, comme le cas de la violence ou la protection des femmes célibataires. Celles-ci sont souvent maltraitées par leurs employeurs, leur propriétaire ou leur partenaire. Elles sont victimes de la pauvreté, de la prostitution. Et la Moudawana ne leur offre pas de recours. A Errachidia, nous connaissons bien ce problème. Depuis quelques années, la sécheresse pousse les populations à migrer dans les villes pour chercher du travail. Les femmes se retrouvent déracinées dans un milieu qu’elles ne maîtrisent pas. Elles doivent souvent se contenter d’emplois mal rémunérés et leur pauvreté les confine dans des quartiers marginalisés. Le stress conduit à l’éclatement familial. Elles se retrouvent chefs de famille et essaient de survivre tandis que leurs enfants font des petits boulots dans la rue. »
Harcelées sexuellement
L’association de Samira, qui existe depuis 1999, a mené ses propres enquêtes auprès des femmes en détresse qu’elle reçoit. Il en ressort des statistiques édifiantes. Ainsi, 80% des femmes reçues au Centre sont violentées par leurs époux et 19,3% le sont par un autre membre de leur famille. 12,7% de ces femmes battues sont fonctionnaires, 87,3% sont des femmes au foyer ou n’exercent aucun métier. 11,6% d’entre elles sont victimes de violence physique, 21,6% de violence psychique et enfin, 3,8% sont victimes de harcèlement sexuel. « Le harcèlement sexuel est un problème grave dont les femmes n’osent pas parler. Une femme qui avoue avoir été agressée sexuellement est très mal vue et traitée de tous les noms. »
Une enquête réalisée en juin 2000 par l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), montre que la violence à l’égard des femmes est une pratique courante dans le pays. 55,3% des personnes interrogées ont reconnu connaître dans leur entourage une femme battue par son époux. Et lorsqu’on lit le témoignage de Rachid, employé de 35 ans, dans le quotidien Le Matin du Sahara et du Maghreb, on comprend à quel point les mentalités ont besoin d’être radicalement changées… « Dès la première nuit de noces, j’ai annoncé la couleur à ma femme pour qu’elle sache à quoi elle doit s’attendre », explique-t-il sans ambages. « Je l’ai frappé et continué à la frapper chaque fois qu’elle conteste une de mes décisions. Aujourd’hui, ma femme a bien compris la leçon et elle est devenue très compréhensive. Je mène une vie paisible et tranquille avec elle. » Terrifiant.