Presque deux ans après la mort du fondateur d’Al Adl Wal Ihsane, une chercheuse américaine s’est intéressée à l’avenir de ce mouvement marocain islamiste.
Dans une étude intitulée « Al-Adl wal-Ihsan inside Morocco’s islamist challenge », Vish Sakthivel, chercheuse américaine au « Washington institute for near east policy », s’intéresse à l’avenir du mouvement islamiste marocain Al Adl Wal Ihsane (AWI – Justice et Bienfaisance). Près de deux ans après la mort du fondateur de ce mouvement interdit mais toléré, Abdelssalam Yassine établit trois scénarios, selon elle, plausibles.
Le premier scénario serait une réconciliation entre le pouvoir et AWI ne reconnaissant pas le statut de « Commandeur des croyants » au roi Mohammed VI. Dans ces conditions, cette réconciliation pourrait-elle avoir lieu ? Une chose est sûre, certains de ses membres semblent ouverts à l’adoption d’une stratégie politique, donnant ainsi la voie à des négociations avec le makhzen. La structure du mouvement Justice et Bienfaisance – branches locales, sections pour les jeunes, sections féminines, etc – lui permet de prétendre à une telle stratégie.
Mais la transformation de ce mouvement en parti politique ne dépendrait pas d’AWI. « La transformation du groupe en parti politique n’est pas le problème du groupe mais plutôt celui de l’Etat qui ne permet pas l’établissement de partis qui ne se soumettent pas à l’avance aux lignes rouges », estime notamment Fathallah Arsalane. Le point de discorde réside dans le fait que AWI est un mouvement avec des positions drastiquement anti-monarchistes.
La fuite des militants
L’étude évoque un second scénario qui se traduirait par le rapprochement d’AWI avec d’autres partis ou mouvements politiques plus ou moins marginalisés. Et à en croire Fathallah, même une collaboration entre le mouvement islamiste et des groupes laïcs seraient possibles, car « les valeurs communes comme la justice sociale » lient AWI aux groupes laïcs. Lors du mois de Ramadan 2013, AWI s’était démarqué de la très controversée fatwa des conseils des oulémas sur l’apostasie. Sans ambages, Fathallah Araslane avait affirmé qu’« aucune pression ne doit être exercée sur les choix de l’individu, sa relation spirituelle et le droit de connaître Dieu ». Ce discours avait été perçu par certains comme celui d’un homme au double langage.
Un dernier scénario est mis en avant par Vish Sakthivel : la place du patriarcat dans l’organisation. D’après l’étude, les femmes et les jeunes s’en plaignent, ce qui provoquerait la fuite de nombreux militants parmi ces deux catégories. Et plus AWI attend, plus ses membres quittent le navire accentuant un peu plus l’effritement du mouvement. De plus, Justice et Bienfaisance fait l’objet de tensions internes depuis la mort de son leader historique, à l’image des querelles incessantes entre le numéro 2 du mouvement, Fathallah Arsalane, et la porte-parole, Nadia Yassine, qui n’est autre que la fille du défunt leader spirituel.
D’après les recherches de Vish Sakthivel, les personnalités féminines d’AWI auraient beaucoup moins de responsabilités que sous l’ère Abdelssalam Yassine. « Sheikh Yassine voulait vraiment que la femme ait un rôle dans l’organisation. Les nouveaux leaders voient juste les femmes comme des prête-noms pour montrer au monarque et à l’occident « regardez, nous avons des femmes », mais notre rôle est diminué maintenant », dixit une ancienne militante.