Maroc : quand les petits taxis se trompent d’ennemi !


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La hache de guerre entre les taxis conventionnels et les employés des services VTC (voiture de transport avec chauffeur) comme Uber à Casablanca, n’est pas prête d’être enterrée. En témoigne les dernières intimidations et agressions perpétrées par les chauffeurs de taxi, qui reprochent aux nouveaux venus de faire dans la concurrence déloyale. L’accusation est-elle bien fondée ?

Premièrement, pour parler de concurrence, encore faut-il qu’Uber fasse la même activité. Est-ce le cas ? Pas vraiment car Uber n’est pas une société de transport proprement dit. Il s’agit plutôt une société technologique qui fait de l’intermédiation entre chauffeurs et usagers. En effet, via son application, Uber permet à chaque usager de trouver un chauffeur qui est le plus prompte à venir l’amener à sa destination finale. Quant aux chauffeurs, ils ne sont pas des employés d’Uber ; ils sont indépendants dans le sens où ils ont leur propre licence de transport et se contentent seulement de payer une commission à Uber en échange de son intermédiation. En ce sens elle n’est pas plus déloyale que les autres sociétés qui font l’intermédiation par téléphone ou internet. A titre d’exemple, les Taxis verts fonctionnent selon le même système d’intermédiation où les chauffeurs payent une cotisation pour être reliés à la radio leur indiquant les réservations de clients. Pourquoi ceux-là ne sont-ils pas accusés de concurrence déloyale ? D’aucuns me répondront que ces taxis payent déjà l’agrément ou sa location au propriétaire. Soit ! Mais, il ne faut pas oublier qu’Uber n’a jamais fermé la porte aux taxis pour qu’ils rejoignent son équipe. Bien au contraire, et jusqu’à maintenant, la société a intégré quelque 250 taxis qui disposent de l’application gratuitement, sont dispensés de verser une commission contrairement aux voitures de transport touristique, et profiteront bientôt d’une assurance santé privée. Et puis c’est vraiment paradoxal, comment incriminer Uber alors qu’il cherche justement à affranchir les chauffeurs de l’exploitation du détenteur de l’agrément. En effet, un chauffeur de taxi ne commence à gagner sa journée qu’après avoir passé en moyenne 75% de sa journée à travailler pour le détenteur de l’agrément, alors que chez Uber, c’est possible dès sa première course, tout en ayant une flexibilité du travail.

Deuxièmement, parler de concurrence déloyale signifie en général que le nouvel entrant s’engage dans une guerre de prix en baissant ses tarifs pour amadouer les clients. En ce sens, les taxis devraient s’en prendre aux tramways, aux taxi-vélos et aux bus moins chers. Mais, certainement pas à Uber dont les tarifs sont deux fois plus chers pour le service de base (16 dhs comme prix minimum). Normal, car les chauffeurs Uber offrent un service personnalisé (pas de compagnie imposée), sécurisé (suivi GPS), et de meilleur qualité. Dès lors, Uber avec ses tarifs chers ne vise pas du tout la même clientèle que les taxis traditionnels. Il s’agit de jeunes citadins de la classe moyenne, bancarisés et adeptes des nouvelles technologies et qui préfèrent payer plus cher que d’attendre désespérément un taxi. Ainsi, avec le positionnement d’Uber sur un segment particulier, les taxis ne peuvent même pas parler de concurrence directe, et encore moins de concurrence déloyale.

Enfin, parler de concurrence déloyale impliquerait que Uber enfreigne les lois ou les réglementations en vigueur. D’ailleurs, pour l’instant, Uber est considérée comme hors la loi par les autorités, car l’entreprise n’avait pas demandé d’autorisation. Mais encore faut-il qu’il existe une loi qui régisse son activité. Pour rappel, Uber n’a pas besoin d’autorisation spécifique, et certainement pas d’une autorisation de transporteur puisque il s’agit d’une société de « génération de leads » (c-à-d création de contacts commerciaux). Or, au Maroc aujourd’hui, il existe un vide juridique, puisqu’il n’y a pas de législation spécifique pour ce type d’activité. Ainsi, on ne peut pas accuser Uber d’être hors une loi qui reste encore à élaborer. Et à ce niveau, ce sont plutôt les taxis qui ont plusieurs griefs à se reprocher quand ils font du racolage, imposent la compagnie et les trajets aux usagers, ne s’arrêtent même pas pour prendre trois passagers qui sont ensemble, n’activent pas ou trafiquent les compteurs, ne soignent pas la qualité du service ou quand ils préfèrent prendre les touristes étrangers, etc.

Jadis, c’était avec la révolution industrielle, aujourd’hui c’est avec la révolution numérique, le chamboulement de nos modes de consommation est inéluctable. Ainsi, l’essentiel de nos transactions se fera via les plateformes virtuelles qui assureront la rencontre entre l’offre et la demande. Dès lors, parler de concurrence déloyale c’est être dans le déni et vouloir désespérément retarder le progrès. Si nous avions écouté les vendeurs de chandelles ou les conducteurs des diligences, se plaindre de la concurrence déloyale nous n’aurions jamais pu profiter aujourd’hui du confort de l’électricité et de la voiture. Si l’on veut parler de concurrence déloyale à tout va, parlons de la concurrence déloyale du soleil aux pharmaciens vendant la vitamine D, ou de celle des mails internet pour la poste, etc. Il va de soi que chaque innovation crée des perdants et des gagnants. Mais même les perdants y gagneront plus tard, comme le résume si bien l’économiste autrichien Joseph Schumpeter dans son concept de destruction créatrice. L’enjeu alors est de faciliter le plus rapidement possible la transition pour que l’innovation profite à tout le monde. D’ailleurs, le système Uber pourrait être une opportunité à condition que l’on s’attaque aux vrais problèmes du secteur du transport au Maroc.

Le système rentier des agréments, le contrôle des prix, et la défaillance d’une régulation intelligente du secteur, tels sont aujourd’hui les vrais ennemis des taxis qui font de ces chauffeurs des esclaves déversant leur misère sur les pauvres usagers. Alors chers petits taxis ne vous trompez-vous pas de combat !

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