Parmi toutes les mesures fiscales proposées par le projet de loi de finances 2013 au Maroc, qui a été approuvé récemment par la chambre des représentants et attend le feu vert de la chambre des conseillers, celle se rapportant au renforcement de la solidarité ressort du lot. En effet, dans le but de booster le fonds de cohésion sociale, il a été institué une surtaxe progressive de solidarité sur les bénéfices des sociétés réalisant un bénéfice net à partir de 20 millions de dirhams et des revenus des personnes physiques a-delà de 300.000 DH nets. D’aucun diront que M. Benkirane va enfin contraindre les riches à passer à la caisse pour aider les pauvres : un vrai Robin des Bois ?
Rien n’est moins sûr. Tout d’abord, parce que cette surtaxe de solidarité est escomptée rapporter quelques 2 milliards de DH, autant dire que c’est une somme dérisoire. Ensuite, les personnes physiques et morales visées par cette surtaxe appartiennent à la classe moyenne qui supporte l’essentiel de la charge fiscale directe ou indirecte, ce qui compromettrait davantage son pouvoir d’achat et donc la demande interne, moteur de la croissance économique. La classe moyenne est par ailleurs typiquement entreprenante : c’est elle qui crée des emplois qui font reculer la pauvreté. Pourquoi tuer la poule aux œufs d’or ? Enfin, puisque les salaires sont négociés au net, cette surtaxe pourrait inciter les cadres et les entreprises à la sous-déclaration de leurs revenus, donc à la fraude fiscale et à payer au noir.
Mais d’aucuns rétorqueront : peut-on refuser la solidarité avec les pauvres quand on a les moyens ? Si cette solidarité n’est qu’un alibi pour le gouvernement de faire payer aux autres son incapacité à assumer ses responsabilités, la réponse est évidente. En effet, il est clair que le gouvernement Benkirane a cherché la facilité en taxant ce segment car il n’a pas eu le courage de s’attaquer aux vrais problèmes. S’il avait lancé la réforme de la caisse de compensation et de la fonction publique, s’il avait le courage de s’attaquer aux niches fiscales représentant près de 39 milliards DH, ou encore aux comptes spéciaux du Trésor qui représentent prés de 57 milliards Dh, une sorte de caisse noire échappant à tout contrôle parlementaire, il aurait pu trouver beaucoup d’argent non seulement pour financer la solidarité mais bien d’autres choses.
Mais, au lieu de rationaliser ses dépenses, le gouvernement Benkirane a préféré les augmenter, qu’il s’agisse par exemple de la caisse de compensation (+9,83%), de la masse salariale (+4,8%), seul les investissements publics ont été baissés. Pire, même ceux qui veulent juste construire leur propre maison, n’échappent pas à la taxe de solidarité puisqu’ils doivent payer 60 DH/m2 couvert. Quand on sait que la majorité des marocains doivent s’endetter pour pouvoir construire leur propre maison, on est en droit de se demander si le gouvernement fait là un choix juste. Et au lieu d’élargir l’assiette fiscale et de faire payer les fraudeurs, il préfère s’attaquer aux contribuables honorant déjà leurs obligations fiscales.
Plus grave encore, en surtaxant les hauts revenus, le gouvernement Benkirane est en train de cliver la société marocaine, c’est-à-dire opposer les pauvres aux riches. Ainsi, face à la bombe sociale à retardement, et au lieu de faire face à ses responsabilités, le gouvernement continue dans sa logique populiste en instrumentalisant la lutte des classes via l’ouverture d’un front entre les pauvres et les riches. On est vraiment loin de l’objectif de cohésion sociale.
Lorsque l’impôt a été créé, c’était la contrepartie du contrôle démocratique. Comment ce gouvernement peut-il alors exiger de certains contribuables de faire un effort supplémentaire sans qu’il ait le courage de présenter le bilan de la loi précédente, de tenir compte des dysfonctionnements et de la dilapidation de l’argent des contribuables pointés par la cour des comptes ou sans que le parlement puisse contrôler où va l’argent du peuple. En l’absence de ces préalables, l’impôt devient un moyen de spoliation.
Rappelons au passage que Robin des Bois reprenait à l’État ce que ce dernier avait pris aux pauvres. Pas de confusion donc ! Ce que prend aux pauvres aujourd’hui le gouvernement marocain ce sont leurs opportunités de prospérer grâce à un climat des affaires sain. Récemment, les entrepreneurs français se sont rebellés contre la spoliation par le gouvernement Hollande qui les « prenait pour des pigeons ». Au Maroc, le gouvernement Benkirane a l’air de prendre la classe moyenne pour une vache à lait…
Hicham El Moussaoui, maître de conférences à l’Université de Beni Mellal et analyste sur Libre.Afrique.org.
Publié en collaboration avec LibreAfrique.org