Les autorités marocaines ont décidé d’augmenter la taxe sur les importations de papier de manière à protéger son « champion national » du papier. Est-ce une bonne nouvelle pour le pays ?
Dans son article, Hicham El Moussaoui, reconnaît que la protection d’un marché peut paraître tendant et séduisant. Il relève ensuite les limites d’une telle décision. La protection artificielle d’une entreprise face à la concurrence est à double tranchant car d’évidence cet environnement est propice à l’augmentation de prix et peut en plus entrainer une baisse de la qualité. Avant de protéger, l’auteur conseille de d’abord évaluer la gestion de l’entreprise concernée pour identifier d’éventuelles défaillances et ensuite de voir quelles sont les entraves règlementaires ou fiscales qui peuvent expliquer la faiblesse de l’entreprise.
Au Maroc, les importateurs et les distributeurs de papier n’entendent pas se laisser faire, et comptent déposer une nouvelle requête contre Med Paper qui profite, depuis le début de cette année, d’une mesure de sauvegarde via l’imposition d’une taxe ad valorem de 25% renchérissant automatiquement le prix du papier importé. Une mesure de sauvegarde prise, suite à la requête déposée par Med Paper qui prétend que ses déboires actuels sont dus au dumping exercé par les fournisseurs étrangers. D’aucuns trouveront une telle mesure légitime, mais fibre nationaliste à part, vous ne devez pas vous laisser aveugler et oublier de vous poser les bonnes questions.
La première : suffit-il qu’un producteur national soit surclassé par rapport à la concurrence étrangère pour le protéger ?
Non, à moins que les concurrents étrangés aient eu recours à des pratiques déloyales. Dans le cas de Paper Med, on ne peut pas parler de dumping lorsque la qualité des produits et leur orientation spécifique sont différentes. Par exemple, les Portugais nous exportent des papiers de qualité «premium », tandis que Med Paper distribue des papiers d’une qualité inférieure. Med Paper accuse les importations de l’avoir mis à genoux, mais, comment expliquer que les autres opérateurs nationaux du secteur se portent mieux? La raison est certainement ailleurs. A ce titre, les défaillances du management de Med Paper sont de notoriété publique et trouvent leur écho dans son niveau d’endettement insoutenable, faisant subir des charges financières conséquentes pour l’entreprise. La dette nette est à 270 MDH contre des fonds propres négatifs de -28 MDH. Une situation prévisible en raison de la médiocre qualité de ses produits et ses tarifs trop chers.
Il s’en suit qu’avant de décider de protéger un producteur local, au prétexte de la concurrence des importations, il faudrait se demander si ce producteur, en l’occurrence Med Paper, est irréprochable ? Si la réponse est non, la mesure de sauvegarde n’y changera pas grande chose. Puisque, d’une part, Med Paper avait déjà profité en septembre 2014, d’une mesure anti-dumping contre le papier A4 en provenance du Portugal, sans que ça lui permette de redresser la barre. Normal, car elle n’était pas incitée à investir et à se mettre à niveau pour rivaliser avec une concurrence prévisible du fait du démantèlement tarifaire. Et d’autre part, parce que le mal est plus profond dans le sens où Med Paper souffre d’un déficit de compétitivité structurel. Le producteur national est plombé par l’importation de la pâte à papier très chère, et un coût énergétique élevé représentant entre 16 à 20% du coût de revient, ce qui le désavantage comparativement aux Tunisiens ou aux Egyptiens.
La seconde question : suffit-il de renchérir les importations marocaines pour promouvoir la production locale ?
Non, d’une part, parce que Med Paper n’a pas les capacités de répondre à la demande locale, à cause du déficit d’investissement dans son appareil productif. Et d’autre part, les produits de Med Paper ne semblent pas tous adaptés aux besoins du marché.
Enfin, la troisième question: Au nom de quoi les autres producteurs transformant le papier et les consommateurs devraient payer plus cher ?
Si l’on prend les producteurs de cahiers scolaires, d’agendas de blocs notes, tous ces fournisseurs verront le prix de leur matière première principale, le papier, s’envoler, en raison de cette taxe supplémentaire. Cela ne fera que réduire leurs marges et rendre leurs produits plus chers que ceux des concurrents, notamment les Tunisiens. Résultat des courses, on encouragera les importations de ces produits dérivés au détriment des producteurs nationaux. Dès lors, se pose la question : Faut-il sauver Med Paper au détriment d’autres industries nationales? A-t-on pris l’avis des employés de ces industries qui risquent de se trouver au chômage ? Et puis a-t-on pris votre avis, vous consommateurs, si vous consentiez à payer plus cher pour protéger Med Paper ? A-t-on pensé à la perte de pouvoir d’achat qui découragera la consommation et fera moins de commandes pour d’autres entreprises nationales ? On en arrive à la question existentielle : pourquoi privilégier Med Paper au détriment de tout ce beau monde? L’alibi de l’intérêt général ne tient pas car on ne peut sauvegarder l’intérêt d’une seule entreprise au détriment du reste de la société.
Si le gouvernent marocain a le droit de protéger ses entreprises contre les pratiques anticoncurrentielles et déloyales, il n’en demeure pas moins que ce droit devrait être utilisé avec précaution et parcimonie. Il faudrait vérifier d’abord, et avant tout, si les entreprises nationales demandant protection ne le font pas à cause de leur incompétences et erreurs de gestion. Si c’est le cas, rien ne justifie que d’autres entreprises et consommateurs payent les pots cassés. De même, que les autorités publiques ne doivent pas tomber dans la facilité de mesures d’anti-dumping et de sauvegarde. Il devrait agir plus en amont sur les facteurs et les obstacles empêchant les entreprises du secteur du papier d’être moins compétitives que les concurrents étrangers. Ce secteur devrait avoir son contrat-programme de mise à niveau pour faire la chasse à toutes les sources de surcoûts, notamment en favorisant, le développement du recyclage pour réduire notre dépendance aux importations de la pâte à papier ; l’amélioration de l’offre énergétique pour faire baisser le coût d’électricité et du fuel utilisé par les opérateurs ; l’octroi de facilités fiscales et réglementaires pour attirer de nouveaux investisseurs ; sans oublier la facilitation du financement pour les entreprises désirant moderniser leurs équipements. En tous cas, les mesures de sauvegarde et d’anti-dumping devraient être réservées uniquement pour sanctionner les pratiques déloyales des concurrents étrangers et non pas pour permettre aux entreprises nationales de se dédouaner de leurs propres défaillances. Sinon on ne fera qu’entretenir des rentiers !
Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc).
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.