Le Maroc vient d’être classé 90ème sur 177 pays, perdant ainsi trois places, dans le classement mondial 2013 de liberté économique, établi par le Wall Street Journal et le think-tank Heritage Foundation. Un classement fait sur la base de 11 indices regroupés en quatre indicateurs : l’état de droit, l’ouverture des marchés économiques, l’efficacité de la réglementation, et le rôle des pouvoirs publics. La contreperformance du Maroc a été provoquée principalement par la non maîtrise des dépenses publiques – creusant les déficits budgétaires au-delà des 3% et la dette publique au delà des 50% – mais aussi par la corruption généralisée et l’incapacité du système judiciaire d’y faire face. Alors comment en est-on arrivé là ?
Les progrès du Maroc en termes de liberté économique, qui ont commencé dans la décennie des années 90, ont été stoppés à partir 2002. Avant cette date, l’économie marocaine était considérée comme modérément libre, et son score se situait dans la moyenne de la région MENA. Mais à partir de 2002, elle a emprunté un autre chemin se dirigeant peu à peu vers les économies quasiment les moins libres. Une régression qui s’explique par la léthargie et la mauvaise implémentation des réformes structurelles, accompagnées par un renforcement de l’intervention étatique, notamment à travers l’explosion des dépenses publiques (subventions à la consommation et investissements publics).
Il faut dire aussi que les attentats de Casablanca de 2003, ont stoppé l’élan réformateur de la monarchie et des autorités, qui sont retombées dans la logique sécuritaire, hostile non seulement à la liberté politique mais aussi économique. Et le printemps arabe y est allé avec sa petite contribution, en poussant les pouvoirs publics à remettre aux calendes grecques la réforme des finances publiques, en creusant les dépenses de compensation à près de 6% du PIB en 2011, et en portant la masse salariale publique à plus de 11% du PIB. Ce modèle de croissance, tirée par la demande interne, a conduit à l’hypertrophie de l’appareil étatique, et l’émergence d’un secteur privé vivant de rente et de corruption. Deux phénomènes devenus non maitrisables face à une justice inefficace et complètement servile.
À ce propos, le fait que le score du Maroc ne s’améliore pas en matière d’état de droit et qu’en matière de corruption la situation est plus mauvaise aujourd’hui qu’en 1995 montre clairement que la justice reste sous influence de la monarchie et de son entourage comme l’ont d’ailleurs rappelé les auteurs du classement. Si la nouvelle constitution consacre l’indépendance de la justice, en l’absence de loi organique protégeant les magistrats contre toute pression et ingérence, on ne peut parler de véritable indépendance. Surtout qu’en l’état actuel, un procureur sera tenu d’ouvrir une information ou de la clore s’il en reçoit l’instruction du gouvernement ou du Roi. De même, si le Conseil supérieur de la magistrature ne sera plus présidé par le ministre de la justice, qui y représentait le Roi, celui-ci préside désormais directement ce Conseil dont la moitié des membres vont lui devoir leur nomination, leur avancement, leur mise à la retraite et leur discipline.
Donc pas de réelle indépendance, et sans cela la justice ne peut faire face aux fléaux de la corruption et de la rente. Certes, leur éradication a été aussi consacrée par la nouvelle constitution comme une priorité nationale, mais force est de constater que les problématiques de la rente et de la corruption ne pourraient être traitées efficacement sans que la nouvelle constitution réintègre la question qu’elle a éludée, celle de la démocratisation économique consistant à mettre un terme au mariage incestueux entre le politique et l’économique. Lequel a donné naissance au « capitalisme de copinage », bafouant le principe d’égalité des chances économiques, qu’il s’agisse de l’accès à l’emploi ou à l’investissement. Ce qui porte atteinte à la liberté économique des marocains, celle de consommer, d’investir, d’employer, de travailler, et d’échanger. Les marocains ont payé de leur sang pour arracher leur liberté aux colonisateurs. Aujourd’hui après plus de cinquante ans, ils découvrent qu’ils doivent repartir à la reconquête de leur liberté, cette fois-ci économique. Le combat ne fait que commencer…