Maroc : Peut-on vraiment parler de séisme politique ?


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Cascade de limogeages au Maroc ! Ministres, hauts responsables, la liste est longue. En cause un rapport de la cour des comptes qui met en cause une mauvaise gouvernance du projet Hoceima Manarat Al Moutawassi.

Dans son article, Hamza El Guili, explique décortique ces décisions. Il note d’abord que les limogeages ont été faits sans aucune logique mais qu’ils ont plutôt permet un « nettoyage » politique ciblé. L’auteur s’insurge surtout sur le fait que ces limogeages, certes très médiatiques, ne permettent pas de sanctionner les intéressés. C’est la porte ouverte à une irresponsabilité totale.

Après avoir reçu le 24 octobre dernier des mains du président de la Cour des comptes le rapport sur les failles de gestion du projet Hoceima Manarat Al Moutawassi (plan de développement provincial doté d’un budget de 600 millions d’euros), un des déclencheurs des manifestations au nord du Maroc, le souverain a décidé de relever de leurs fonctions quatre ministres et 14 autres hauts responsables, tandis que cinq anciens ministres de l’ancien gouvernement ne verront plus aucune responsabilité officielle leur être confiée à l’avenir. Ces derniers limogeages sont-ils la réponse idoine à la crise d’irresponsabilité au Maroc? Pas vraiment !

Les limogeages à la carte

D’abord, en raison du caractère sélectif de ces limogeages. En effet, plusieurs responsables liés de façon directe au « Hirak du Rif », ont été épargnés. C’est le cas du ministre de l’agriculture et de la pêche maritime qui n’a pas réussi à lutter contre la rente et la corruption qui gangrènent ce secteur à Al Houceima et dont la stratégie de mise à niveau « Halieutis » est loin d’intégrer tous les acteurs opérant dans ce secteur qui se trouvent poussés vers le marché noir et l’informel. La mort de Mouhcine Fikri, broyé dans une benne à ordures après avoir tenté d’arrêter une opération de destruction de sa marchandise saisie, en est l’exemple typique, ce qui a d’ailleurs déclenché les manifestions d’Al Houceima en octobre 2016. A lui s’ajoute d’autres personnes, comme Ilyas Omari, président de la région de Tanger-Tétouan-Al Houceima. Le SG général du PAM (parti proche du pouvoir), malgré qu’il n’ait pas assuré le suivi nécessaire des projets programmés dans la région, n’a pas été inquiété. En plus de Mohamed El Yaakoubi, gouverneur de la région de Tanger-Tétouan, qui a refusé d’alléger le dispositif sécuritaire à Al Houceima, ou encore Mohamed Bousaid (ministre de l’Économie et des Finances). D’après le rapport, son département et celui de l’intérieur n’ont pas procédé, en concertation avec les deux conseils bénéficiaires (régional et provincial), à l’établissement de programmes d’emploi des 600 MDH reçus. Par ailleurs, Ces fonds, reçus un an plus tôt du ministère des Finances, sont restés gelés en raison de l’absence d’un programme d’emploi. D’autres départements ont été épargnés, comme l’équipement, et les eaux et forêts, qui ont pu accélérer la cadence de la réalisation de leurs projets malgré un démarrage timide, selon le rapport.

Une aubaine politique

Ensuite, parler d’une « reddition des comptes » doit aller au-delà des limogeages symboliques, utilisés comme prétexte pour calmer l’opinion publique ou encore pour remodeler l’échiquier politique via l’altération du rapport de forces entre les différents partis, notamment ceux constituant le gouvernement actuel. Ainsi, la « colère royale » ne doit pas constituer une aubaine pour quelques formations politiques ou un outil de pression sur d’autres. Ainsi, le limogeage actuel sera une opportunité pour intégrer le parti de l’Istiqlal, connaissant très bien les arcanes du pouvoir. De plus, ce geste royal va directement affaiblir à la fois le gouvernement et le parlement, élu démocratiquement par le peuple, censés porter la voix du peuple et contrôler l’action des ministres. Dans la constitution de 2011, le chef du gouvernement peut demander au Roi de mettre fin aux fonctions d’un ou plusieurs membres du gouvernement, ce qui n’a pas été fait, d’où le malaise institutionnel.

Un recyclage des acteurs sur fond d’irresponsabilité

Malheureusement, la reddition des comptes au Maroc reste assez souvent personnalisée et non pas institutionnalisée. D’une part, le changement de personnes n’a jamais abouti quand l’on ne change pas le système. L’exemple le plus typique est celui de changement de ministres à la tête du ministère de l’éducation nationale, la formation professionnelle, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique, un secteur qui engloutit chaque année plus de 7% du PIB sans grands résultats malgré le changement des têtes, et ce depuis des décennies. D’autre part, l’irresponsabilité est encouragée par l’impunité et le recyclage d’anciens responsables impliqués dans des scandales. C’est d’ailleurs le cas de l’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, Mohammed Ouzzine, démis de ses fonctions par le roi Mohamed VI, le 07 janvier 2015, qui a refait surface, deux ans plus tard, pour présider la séance consacrée aux questions orales à la Chambre des représentants. Une place très convoitée qui revient au troisième homme dans la hiérarchie de l’État (après le roi et le chef du gouvernement). Malgré les nombreux dysfonctionnements déjà mentionnés dans les rapports antérieurs de la cour des comptes (Ex. les défaillances relevant de la gestion des collectivités territoriales, des services déléguées et de l’emploi des fonds publics dans le rapport de 2016), les responsables sont souvent peu inquiétés.

Au delà du limogeage, une nécessité de sanctions

Enfin, la reddition des comptes signifie que les sanctions doivent être prises d’une manière systématique, et toucher tous les responsables, quelque soit leurs niveaux de responsabilités. Pour ce faire, des règles objectives d’évaluation de la négligence et de l’irresponsabilité devraient être instituées de manière claire et précise. La transparence est essentielle dans ce processus, car elle garantit l’équité et la légitimité. En ce sens, il est aussi important de respecter le droit de défense de ceux accusés de négligence, notamment l’organisation d’auditions après enquêtes, afin que l’équité soit respectée. De même, la proportionnalité de la sanction au mal causé devrait être respectée et pourquoi pas ajouter l’exigence de réparation, et ne pas se contenter seulement de limogeage. Enfin, il faudrait arrêter le recyclage des responsables impliqués dans des scandales pour ne pas normaliser l’irresponsabilité.

Des réformes s’imposent

Depuis son accession au trône en 1999, le roi Mohamed VI aurait frappé l’un de ces grands coups. Toutefois, il faut réellement espérer que le dernier « séisme politique » ne se contentera pas uniquement de faire une dizaine de boucs émissaires dans l’exécutif. Parler d’une nouvelle ère de « reddition de compte » nécessite une réforme en profondeur des règles du jeu en matière de gouvernance des instances publiques. Cela permettra d’instaurer une véritable culture d’évaluation et de résultat synonyme de mérite et de responsabilité dans la gestion des affaires publiques.

Hamza El Guili, chercheur-doctorant à l’ENCG Tanger, Maroc

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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