Le Roi du Maroc Mohammed VI a provoqué la colère des Marocains en libérant un pédophile espagnol. Une manifestation devant regrouper plusieurs milliers de personnes est prévue ce vendredi.
Un scandale pour la justice marocaine. Un pédophile espagnol, Daniel Galvan Viña, a été gracié par le souverain chérifien Mohammed VI à l’occasion du 14e anniversaire de la fête du Trône. L’avocat de celui que l’on surnomme « Daniel » au Maroc a confirmé l’information révélée par le site Lakome. Condamné en septembre 2011 à 30 ans de réclusion criminelle pour abus sexuels sur onze enfants, Daniel purgeait sa peine à la prison de Kenitra avant d’en ressortir mercredi 31 juillet libre comme l’air, à la grande surprise des associations de lutte contre les violences commises sur les enfants.
La peine infligée à Daniel Galvan Viña, aussi appelé « Daniel Fino Galvan », servait pourtant d’exemple au Maroc. Plusieurs scandales de pédophilie ont éclaté dans le pays ces dernières années. Une recrudescence de viol sur mineur dont les autorités peinaient à réprimer, au grand dam des parents et des ONG. Les Marocains ont notamment à l’esprit le pavé lancé en juin 2011 par le politique Luc Ferry sur le plateau du Grand Journal de Canal+. On apprenait alors, pêle-mêle, qu’un ancien ministre français se serait « fait poisser à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons », qu’un Premier ministre et d’autres ministres seraient au courant, et qu’aucun d’entre eux n’a dénoncé le pédophile présumé. Ou encore ce sombre reportage tourné dans la ville ocre du Maroc où un Espagnol racontait ses expériences sexuelles avec des petits garçons qu’il compare à des « Kleenex », à jeter après utilisation. Dernier exemple, celui de l’affaire Patrick Finet, cet hôtelier français du groupe Mandarin Oriental qui était en 2012 recherché par la justice marocaine pour des faits de « débauchage » et de «prostitution de mineurs » à Marrakech. Ce dernier a bénéficié d’un non-lieu après avoir affirmé qu’il était victime d’un chantage commercial.
Ce sont toutes ces décisions judiciaires hâtives et ces enquêtes non élucidées, parfois jamais commencées, qui ont fini par exacerber les Marocains qui ont entrepris en mai 2013 une marche symbolique afin de lever le voile du silence d’un phénomène grave au Maroc. Une marche silencieuse pour dénoncer les actes pédophiles au Maroc qui a eu lieu à Casablanca, quelques jours après le viol d’une fillette de 10 ans. Ceux-ci en veulent à une justice qui ne s’exerce par sur des hommes dit « intouchables ».
Une entente entre rois ?
Daniel a ainsi été libéré mercredi 31 juillet au bout de dix-huit mois. Comment Mohammed VI en est arrivé à l’inclure dans les 1044 condamnés qui ont été graciés pour le 14e anniversaire de la fête du Trône ? Au Maroc, « la grâce royale ne se discute pas » selon l’avocat de Daniel, Mohammed Benjeddou, lui-même étonné d’une telle décision. Sans discuter donc, son client a récupéré son passeport (expiré) auprès de la Cour d’appel de Kenitra et rentrer tranquillement à la maison, dans son pays l’Espagne.
L’un des avocats d’une victime, Hamid Krayri, n’en revient toujours pas. Les circonstances de cette libération restent floues. Un communiqué publié par le Palais indique que « Mohammed VI a ordonné la libération de 48 prisonniers espagnols (…) en réponse à une demande formulée en ce sens par le roi Juan Carlos ». Cette entente a probablement eu lieu le 15 juillet 2013 lors de la visite au Maroc du roi espagnol. L’Espagne se défend toutefois d’avoir publié une liste précise des détenus à relâcher, renvoyant la balle à l’ambassade d’Espagne à Rabat qui elle conseille de joindre le ministère des Affaires étrangères en Espagne. Mais d’après des sources espagnoles au sein de ce ministère, ce sont les autorités marocaines qui ont élaboré la liste de personnes à gracier.
Le Maroc serait donc le seul maître à bord ? D’après des sources proches de Mustapha Ramid, le ministère marocain de la Justice « avait prévenu le cabinet royal de la présence du nom d’un détenu pédophile dans la liste des prisonniers espagnols à gracier ». Mohammed VI et son entourage auraient donc non seulement été au courant mais en plus cautionné cette libération. De quoi agacer davantage les Marocains qui se préparent à manifester ce vendredi soir à 22 heures après la rupture du jeûne.
Mutisme et manifestation
En réaction à la polémique, le Palais a préféré s’enterrer dans un mutisme, encourageant des milliers de Marocains à se rassembler ce vendredi soir devant le Parlement à Rabat. Une page Facebook a été créée tout spécialement pour l’évènement. Jeudi, l’invitation à manifester enregistrait à peine 6 000 participants, vendredi ce chiffre est monté à plus de 19 000. Ces derniers remettent en cause la pratique de la grâce utilisée à mauvais escient. Ils entendent faire comprendre aux autorités et au Palais que la grâce se discute, contrairement à ce qu’a dit l’avocat de Daniel.
Une pétition, qui à ce jour recueille 211 signatures, a également été lancée sur le site Avaaz. Sur les réseaux sociaux, les internautes et ONG marocains s’indignent et regrettent d’une telle décision qui ne fera qu’ « encourager le tourisme sexuel » au Maroc.
La jeunesse marocaine a à plusieurs reprises fait comprendre à Mohammed VI, notamment lors des grandes manifestants de 2011, que l’époque de feu Hassan II est révolue, et qu’en cas de mécontentement la population n’hésitera pas à demander des comptes à la monarchie. En organisant ce sit-in, les Marocains attendent donc des explications de la part de leur Roi. Leur répondra-t-il avec diplomatie ou répression ?