L’arrestation du journaliste Ali Anouzla, inculpé pour avoir diffusé sur son site Lakome une vidéo d’AQMI, incitant à commettre des attentats au Maroc, a fait beaucoup de bruits au Maroc. Des centaines de manifestants sont descendus mercredi dans les rues de Casablanca pour réclamer sa libération.
« Liberté pour Ali Anouzla », « Arrestation abusive », « Vive le peuple ». Tels sont les slogans scandés par plus de cent manifestants qui se sont rassemblés mercredi à Casablanca pour dénoncer l’arrestation du journaliste Ali Anouzla. La manifestation s’est déroulée dans le calme, sans intervention de la police devant les locaux de la Police judiciaire de Casablanca, où le journaliste est en garde-à-vue. Ce dernier, directeur de la version arabophone du site Lakome, média indépendant, a été interpellé sur ordre du procureur général du roi, pour avoir diffusé sur le site une vidéo d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI), incitant à commettre des attentats au Maroc.
Une initiative qui n’a pas du tout été au goût du Royaume chérifien, dont les souvenirs des attentats de Marrakech restent encore vifs. Et quand on sait que la vidéo d’une quarantaine de minutes est intitulée « Maroc: le royaume de la corruption et du despotisme », critiquant sévèrement la monarchie, et visant personnellement le roi Mohamed VI. Un de ses avocats d’Ali Anouzla, Me Naïma Guellaf, a confié à l’AFP, avoir obtenu l’autorisation de rencontrer son client. Selon lui, ce dernier pourrait être poursuivi dans le cadre d’une loi antiterroriste avant vendredi. De son côté, la rédaction de Lakome s’est dite consternée par cette interpellation, arguant avoir indiqué « dès le départ qu’il s’agissait d’une vidéo de propagande ». Ce n’est pas la première fois que le journaliste marocain, connu pour ses positions critiques à l’encontre du pouvoir, à affaire avec la justice de son pays. Il a déjà été poursuivi dans le passé.
Des ONG exigent la libération du journaliste
Plusieurs ONG de défense des droits de l’Homme, dont Reporters sans Frontières, Amnesty International, ont également condamné l’incarcération du journaliste, appelant à sa libération. Dans un communiqué, Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé une « atteinte inadmissible » au « travail d’information ». «Nous craignons qu’Ali Anouzla soit puni pour la ligne éditoriale indépendante et critique de Lakome », a affirmé pour sa part Amnesty International, précisant que cette arrestation « se déroule dans un contexte plus large de harcèlement et d’intimidation à l’encontre des journalistes qui critiquent les autorités ».
Au Maroc, l’affaire fait actuellement la Une de tous les journaux. Elle fait aussi l’objet de vives discussions. De nombreux partis politiques ont condamnés Lakome, l’accusant de servir de tribune à AQMI.
Pour le Mouvement populaire (MP), membre de la coalition gouvernementale, il s’agit d’une « pratique irresponsable qui n’a aucun lien avec le travail journalistique noble, mais épouse et colporte un discours terroriste ». De même, le porte-parole du gouvernement, Mustapha Khalfi, a indiqué au journal Le Monde, que cette vidéo représentait « une incitation claire (. . . ) à la perpétration d’actes terroristes condamnés et refusés par toutes les composantes de la société marocaine ».
Malgré les nombreuses critiques à son encontre, Lakome a trouvé le moyen de diffuser la vidéo, en renvoyant un lien vers le site internet du journal espagnol El Pais, qui lui a consacré un article. Le gouvernement marocain a d’ores et déjà annoncé qu’il allait poursuivre le quotidien espagnol, exprimant sa préoccupation auprès de Madrid. Cette vidéo d’AQMI, qui inquiète Mohammed VI et l’empêche actuellement de dormir sur ses deux oreilles, pourrait bien provoquer une affaire d’Etat. Pour le moment, le roi Mohammed VI doit faire face, après l’affaire du pédophile Daniel Galvan, à une autre vague de contestation : celle des journalistes et d’une bonne partie de son peuple qui tient à la liberté de la presse marocaine. Surtout que d’autres manifestations sont encore prévues aujourd’hui, au Maroc, visant à obtenir la liberté du journaliste incarcéré sur ordre du procureur du roi.