Le 23 octobre dernier, le nouveau gouvernement Benkirane a présenté au parlement son Projet de Loi de Finances (PLF) pour l’année 2014, pour discussion et amendements. Un projet placé sous le signe de l’austérité budgétaire, si l’on en croit les déclarations du nouveau ministre de l’Economie et des Finances. Qu’en est-il réellement ?
Le chef du gouvernement Benkirane avait donné le ton quand il avait appelé au gel des constructions administratives et à la rationalisation des dépenses locatives, à un contrôle plus strict des acquisitions de nouveaux véhicules, à la mutualisation des achats publics et à la minimisation des frais de déplacement. Des intentions somme toute louables, mais qui restent symboliques, même si la symbolique compte en politique.
En effet, si les charges de compensation prévues ont été réduites de 40 à 35 milliards de dh, la charge globale de la caisse (en comptant le paiement des 7 milliards d’arriérés) se montera finalement à 42 milliards de dh, en hausse de 2 milliards par rapport à 2013. Le maintien d’une enveloppe aussi conséquente pour les subventions montre aussi que 2014 ne connaîtra pas une réforme substantielle de la caisse de compensation, surtout que l’hypothèse retenue d’un baril à 105 dollars est peu réaliste quand on connaît les perspectives de tensions au Moyen Orient et leur effet haussier sur les prix des hydrocarbures.
De même, la masse salariale publique est appelée à augmenter de 5,5% par rapport à 2013. Certes, le gouvernement a coupé dans le budget des investissements publics (près de 17% de réduction, soit une baisse de 10 milliards de dh), néanmoins quand on fait la somme des comptes, l’on s’aperçoit que les dépenses globales sont en hausse de 2,8% par rapport à 2013. Cela signifie une seule chose : les économies de chandelle annoncées sont compensées largement par l’augmentation d’autres dépenses, ce qui fait de l’investissement public la principale variable d’ajustement pour un gouvernement cherchant désespérément l’équilibre budgétaire.
Plus inquiétant encore est d’observer que seulement 97% des dépenses courantes sont couvertes par les recettes courantes. Autrement dit, les 3% restantes seront financées par de l’endettement. Voilà qui va à l’encontre des principes d’une gestion budgétaire saine, puisqu’en principe les recettes courantes doivent au moins couvrir les dépenses courantes, alors que l’endettement ne doit servir qu’au financement de l’investissement. C’est une porte ouverte à l’aggravation de l’endettement ; surtout lorsque l’on sait que l’ensemble de l’économie marocaine manque de liquidité et que les besoins de financement se font de plus en plus pressants.
Optimiste en fixant 4,2% comme objectif de croissance
Parallèlement, le gouvernement Benkirane II a profité du PLF 2014 pour intégrer certaines recommandations des dernières assises de la fiscalité, tenues fin avril dernier, mais aussi pour augmenter les prélèvements sur les contribuables marocains. Si l’introduction progressive de la fiscalité agricole, principalement pour les moyennes et grandes exploitations, est justifiée, il n’en demeure pas moins que l’augmentation de la TVA sur plusieurs produits est pour le moins problématique. Ainsi, certains produits, auparavant exonérés, sont taxés soit à 10% (les prestations de restauration fournies directement par l’entreprise à son personnel salarié, les opérations d’exploitation des hammams, certains matériels agricoles) ou à 20% (les engins et filets de pêche). D’autres produits ont vu leur taux d’imposition passer de 10% (le sel, le riz usiné) et 14% (véhicules utilitaires) à 20%.
Plutôt que de simplifier la fiscalité et de la remettre à plat, on se contente d’un toilettage des règles à la marge. La TVA étant supportée au final par les consommateurs, la hausse de ses taux ne peut que pénaliser le pouvoir d’achat des consommateurs marocains. Autant dire un comble pour un gouvernement qui compte sur la consommation interne pour stimuler la croissance. D’ailleurs, le gouvernement s’est montré trop optimiste en fixant 4,2% comme objectif de croissance. Un taux qui sera très difficile à atteindre avec des dispositions pénalisant la demande interne (rabotage des investissements publics, indexation des produits pétroliers et hausse de la TVA), qui constitue le moteur de la croissance économique (70% de celle-ci). Sans parler du fait que la reprise de la demande européenne sur laquelle parient les responsables marocains est plus qu’hypothétique.
Il ressort de ces observations que la focalisation du gouvernement marocain sur l’équilibre comptable l’a poussé à choisir la solution de facilité : couper dans les investissements publics (au lieu de les rationaliser) et augmenter les prélèvements. En attendant les éventuels amendements, le PLF 2014 est tout sauf un budget d’austérité puisque les principaux postes de dépenses n’ont pas été touchés, à savoir la masse salariale et la charge de compensation.
Or, le rétablissement des équilibres macroéconomiques passe inéluctablement par une austérité intelligente. Celle-ci ne consiste pas à opérer des saignées brutales, mais à changer de modèle de fonctionnement de l’Etat. Il s’agit de redéfinir la mission de l’Etat et revoir la division du travail entre le secteur public et le secteur privé sur la base du principe de compétence. De même est-il indispensable de redéfinir le modèle de protection sociale afin de remplacer le système de compensation actuel injuste et inefficace. Enfin, il est nécessaire de changer de modèle économique en passant de la stimulation de la demande interne à la stimulation de l’offre interne, ce qui suppose de placer l’entreprise privée au cœur de la stratégie de développement.
Dès lors, la promotion de la productivité et de la compétitivité de l’économie marocaine devrait être le leitmotiv du PLF 2014 et non pas une fausse austérité. Cette rupture tant attendue exige de véritables réformes institutionnelles au sens du changement des règles du jeu économique pour favoriser les comportements productifs au détriment des pratiques rentières.
Avec le PLF 2014, le chef du gouvernement a imposé aux ménages et aux entreprises de se serrer la ceinture, mais il ne s’est pas gêné pour rajouter 8 ministres à son équipe. Morale de l’histoire : pas d’austérité pour l’Etat !