La Ligue marocaine contre les maladies sexuellement transmissibles souhaite inclure les imams dans son action de sensibilisation sur les MST. Les premiers imams formés serviront de relais à leurs pairs afin de diffuser outils et méthodes de prévention dans tout le pays. 365 imams se sont prêtés au jeu des questions pour réaliser une étude pilote sur les MST.
Par Louise Simondet
Prêcher la prévention contre les MST… C’est le message que souhaite faire passer la Ligue marocaine de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles (LMLMST). Son objectif est de former et d’impliquer les imams dans ses actions de sensibilisation. Ainsi, une étude pilote a été réalisée sur un panel de 365 imams. Il s’agissait d’identifier leurs connaissances et leurs lacunes en matière d’IST (infections sexuellement transmissibles) /et de VIH/ sida et d’explorer leurs perceptions et leurs comportements face à ces maladies. Cette enquête, élaborée pour le compte des ministères des Habous et des Affaires islamiques, constitue une première étape avant le lancement d’un programme qui souhaite impliquer d’avantage les imams dans la lutte contre la pandémie. Celui-ci est basé sur la formation et la mobilisation, et s’étend sur deux ans (2005- 2007). Il bénéficie d’un soutien financier de 79 500 euros du Fonds mondial international.
L’objectif de cette formation consiste à transmettre aux imams le savoir nécessaire pour qu’ils participent activement aux changements des pratiques et des comportements sexuels. « Qui mieux que les imams peuvent nous aider à faire évoluer les mentalités? Ce sont des gens crédibles sur le plan religieux. Ils ont la confiance de la population. Les gens les écouteront », affirme Mohammed Graigaa, directeur exécutif de l’Association marocaine de planification familiale. Les participants apprendront donc à mettre à profit les préceptes religieux dans cette lutte, puis à diffuser leurs connaissances dans la société marocaine.
Des connaissances confuses et lacunaires
Depuis la découverte du premier cas de sida en 1986, le Royaume chérifien est aujourd’hui considéré comme un pays à faible prévalence. Mais plusieurs indicateurs font envisager un accroissement rapide du nombre de personnes touchées. Selon les statistiques du ministère de la Santé marocain, le nombre de personnes vivant avec la maladie a été multiplié par cinq en six ans, passant de 5 000 cas en 1999 à 25 000 en 2005. Les relevés du gouvernement montrent clairement que ce sont les jeunes et les jeunes adultes les plus touchés. Les personnes âgées de 15 à 29 ans représentent 25% des cas de sida et celles âgées de 30 à 39 ans, 43%. Des chiffres conséquents, qui nécessitent une forte implication, d’où l’initiative de la LMLMST concernant les imams.
L’étude, menée sur la base d’un échantillon de 365 imams, prédicateurs et mourchidates à travers le pays, a relevée de grandes lacunes concernant ce sujet. « Ce manque de connaissance sur le sida et les IST est dû en partie à la formation religieuse des imams qui ne prend pas en compte ce volet prévention, note Mohammed Graigaa. Il est important de se donner les moyens de les former dans ces domaines. C’est une nécessité. » « Les connaissances de la population sondée sur les IST sont confuses, lacunaires ou erronées. Elles sont basées essentiellement sur des expériences personnelles limitées », résume le Pr. Sekkat, directeur de la LMLMST. Il en ressort que 25 à 30% des personnes interrogées avouent avoir entendu parler sans plus des IST. Pour ce qui est de la transmission de ces infections, elles sont 90% à penser que les IST se transmettent par le sang et non par voie sexuelle.
Un sujet qui n’est plus tabou
Plus préoccupant : plus de la moitié de ces intervenants croient en l’efficacité de la thérapie traditionnelle dans le traitement du sida. Concernant cette pandémie, les connaissances véhiculées restent théoriques, vagues et recueillies le plus souvent à partir de rumeurs ou dans les médias. Globalement, cela reste assez confus. « Ils sont réalistes. Ils savent qu’ils ont un rôle à jouer pour endiguer ces maladies », affirme Mohammed Graigaa. Une prise de conscience qui dénote une certaine ouverture d’esprit de la part de ces imams et une volonté de se mobiliser.
Il y a quelques années, ces sujets relevaient encore du domaine du tabou. « Leur attitude tranche franchement avec celle de leurs aînés. Il y a une trentaine d’années, il y avait une réticence absolue. Dès qu’il était question de sexe, de sexualité ou de prostituées, les imams étaient très fermés sur ces sujets », souligne le Pr. Sekkat. Et Mohammed Graigaa de rajouter : « Avant c’était caché, on n’en parlait pas… Mais aujourd’hui, grâce aux outils de sensibilisation, à la communication, la société évolue. Il faut continuer d’aller dans cette direction et la formation des imams va dans ce sens ». L’étude a de quoi réjouir puisque seuls 2% à peine des sondés refusent de s’impliquer. « C’est une nouvelle génération d’imams, jeunes et ouverts. Ils ont à peine la trentaine », précise le Pr. Sekkat.
Rompre la chaîne de transmission
« On ne pourra rompre la chaîne de la transmission qu’à coup de prévention », martèle Mohammed Graigaa. Des ateliers vont être mis en place pour les imams afin de leur donner les informations nécessaires. « Ils suivront une formation scientifique et nous leur fournirons les outils pour qu’il puissent mener à bien leur action, précise le Pr. Sekkat. Nous avons aussi conçu un guide. Il est simple d’utilisation. Il les aidera à savoir comment mener leur action pour porter le message là où il faut et comme il faut. »
A cela s’ajoute de nombreuses campagnes préventives relayées par les médias. En ville, comme le précise Mohammed Graigaa, « des panneaux géants sont accrochés sur lesquels on peut lire : ‘Le sida existe, il ne faut pas le cacher mais s’en prévenir’ ». Depuis deux ans, le préservatif féminin a fait son apparition au Maroc, une mesure de plus pour lutter contre ce fléau. Des avancées considérables ont été faites dans ce domaine, mais rien n’est acquis. Dans un premier temps, il ne s’agit que de former 365 imams, mais « l’objectif à long terme est que l’éducation des imams face boule de neige et se développe dans tout le pays », explique le Pr. Sekkat. Pour l’instant, cette formation ne porte que sur une minorité de chefs religieux. Il reste encore un long chemin à parcourir quand on sait que le Maroc compte, selon le ministère des Habous et des Affaires islamiques, plus de 34 000 mosquées…