Les Marocaines restent toujours fortement marginalisées dans leur pays. Par exemple les femmes « Soulaliyates » sont totalement excluent dans la répartition des terres communes.
Dans son article, Asmâa Bassouri, énumère tous les arguments avancés par les autorités marocaines pour expliquer l’exclusion des femmes « Soulaliyates » : culture, coutumes, religion, indifférence des autorités, tout y passe. L’auteure fait alors un véritable plaidoyer pour réveiller les décideurs marocains endormis dans le confort d’une coutume qui se doit d’évoluer.
Estimées à 15 millions d’hectares (soit 35% environ des terres au Maroc),[1] les terres collectives représentent un enjeu économique de taille. Pourtant, dans un pays sensé être un État de droit, l’accès à la propriété de ces terres demeure encore « genré », dans la mesure où la gente féminine – désignée par femmes Soulaliyates – subissent l’injustice d’en être exclues, une exclusion qui en dit long sur le manque de parité entre les deux sexes au Maroc. Pourquoi cette aberration perdure-t-elle encore ?
Que sont les terres collectives ?
D’entrée de jeu, traiter de la problématique des terres collectives ne saurait faire l’économie d’un bref rappel définitionnel. Ces terres sont assujetties à un statut foncier particulier, et peuvent se définir comme étant : « celles qui appartiennent collectivement à un groupement d’habitants de même origine et descendant d’une même ethnie ».[2] Elles sont régies par des textes juridiques datant de l’époque du protectorat – nommément le Dahir du 27 avril 1919 – lequel les place sous la tutelle du ministère de l’intérieur. Mais la gestion effective de ces terres est assurée au sein de la collectivité en question, d’après le même Dahir, par une assemblée (Jemaâ), où siègent exclusivement des délégués de sexe masculin (Naïbs), appliquant des règles coutumières (Orf). En vertu de ces dernières, l’exclusion des femmes va comme un en-soi naturel. Cette exclusion se mesure à deux égards : la jouissance du droit d’usufruit, et la perception d’indemnisations en cas de cession de ces terres.
Est-ce un blocage lié à la coutume ?
D’aucuns avanceraient que la coutume serait l’une des sources du droit, et il ne fait nul doute qu’elle le soit, sauf qu’elle ne pourrait jamais l’emporter sur la loi stricto sensu, en l’occurrence la constitution et les tas d’engagements internationaux souscrits par le Maroc en termes d’égalité des sexes. Bafouer les droits des femmes Soulaliyates au nom d’une résistance machiste est insoutenable. Doit-on rappeler à ces ‘Naïbs’ que l’appellation Soulaliyates, et à elle seule, serait très révélatrice de la « Soulala », i.e le lien généalogique de ces femmes – à travers leurs pères – à la collectivité et aux terres collectives ? Et si les coutumes ont la peau dure, la loi elle, tentera tant bien que mal de corriger la situation. Sauf que l’actualisation péniblement longue de l’arsenal juridique régissant les terres collectives, n’est pas sans laisser dubitatif, voire sceptique. Le blocage ne viendrait-il finalement pas des seuls citoyens du monde rural, mais de la part de ceux-là même qui vont légiférer.
Une loi qui ne vient jamais
En effet, et après avoir été longtemps ignorée, la question va connaître un regain d’intérêt timide de la part des autorités, à la suite d’un mouvement revendicatif apparu en 2007 sous les auspices de l’Association Démocratique des Femmes du Maroc. Il s’en suivra quelques circulaires du ministère de l’Intérieur (entre 2009 et 2012) qui vont prévoir l’impératif d’inclure les femmes dans les listes des ayants-droit. Mais comme ces circulaires n’ont pas valeur de loi, et donc dénuées de tout poids juridique réel, seule la promulgation d’une loi en bonne et due forme pourrait changer quelque chose à la donne actuelle. L’élaboration du projet de celle-ci fut effectivement amorcée en 2014 par le ministère de l’Intérieur, ce qui fut un espoir sensationnel pour les femmes Soulaliyates et les associations militant à leur côté, mais depuis les choses traînent. Cette loi n’a pas encore vu le jour, et on ne connaît pas où se trouve le blocage dans les rouages du circuit législatif : approuvée par le secrétariat général du gouvernement ou pas encore ; Ou bien soumise effectivement au parlement après ladite approbation, mais ralliant difficilement le consensus parmi les députés, dont les clivages idéologiques entre modernistes et conservateurs n’est pas sans compliquer la tâche de l’adoption d’une loi se situant au carrefour d’enjeux à la fois juridiques, religieux et sociétaux. La question qui nous interpelle donc est de savoir à qui profite le blocage ?
Des alibis discutables
Nous pensons d’abord, comme cela vient juste d’être dit, aux résistances des conservateurs, étant admis que la lecture rigoriste qu’ils font des prescriptions religieuses érige l’inégalité des sexes en norme structurelle de l’islam : l’homme étant toujours supérieur en force et en intelligence. La notion d’égalité serait même pour eux une donnée intruse par rapport à la tradition islamique, une idée imposée par ingérence de l’occident cherchant à tout prix à nous arracher à nos racines et nous « occidentaliser ». Le poids de la religion, ainsi que celui des traditions (mêmes désuètes) demeurent manifestement persistants dans un pays où l’islam est la religion d’État, et où il faut compter avec la répugnance du patriarcat à permettre une quelconque émancipation des femmes (économique en l’occurrence), une émancipation qui serait synonyme d’hérésie et d’atteinte à la sacro-sainte masculinité n’admettant aucune concurrence quant à ses prérogatives. La résistance farouche de certains aurait aussi pour leitmotiv la crainte de glisser de la simple égalité d’accès à la propriété des terres collectives vers une égalité dans l’héritage (chose impensable !). L’ajournement perpétuel de la réforme du discours religieux fait le lit du statu quo. Une réforme qui implique, d’une part, la dépolitisation de la religion, et d’autre part, la remise à plat des interprétations littérales misogynes des fondamentaux de l’Islam.
Des autorités silencieuses
Outre les résistances d’ordre socioculturel (qui est à notre humble vue le mal qu’il va falloir attaquer à la racine), l’inertie des autorités pourrait également être liée à la complexité technique du dossier, mais aussi – oserions-nous dire – à un quelconque lobbying dans les coulisses, le réservoir foncier en jeu étant énorme et l’enjeu économique en découlant est in fine pesant. En attendant, ce sont les femmes Soulaliyates – issues pour la plupart du milieu rural et souffrant de la précarité de leur situation économique – qui mènent leur combat seules. L’État doit impérativement et sans plus tarder assumer sa responsabilité vis-à-vis de ce dossier, de même que la société civile devrait taper encore plus fort dans la perspective de le faire réagir.
Asmâa Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc)