Selon le dernier rapport du conseil de la concurrence traitant du secteur bancaire, entre 2005 et 2011, ce dernier est dominé par deux banques, Attijariwafa Bank (AWB) et la Banque Populaire (BP) tant sur le plan des dépôts (respectivement 66% des dépôts à vue et 63% des comptes-épargne) que sur le plan des crédits pour lesquels leur part de marché dépasse les 50% (53% des crédits-consommation, 51% des crédits-équipement et 51% des crédits immobiliers). Dans l’étude on apprend aussi que le produit net bancaire (mesurant la rentabilité du secteur) a progressé de 30% entre 2005 et 2011, en dépit du contexte de crise. Le secteur bancaire marocain serait-il si résilient que ça ?
Une résilience en trompe l’œil semble-t-il, puisqu’il faut rappeler que le secteur bancaire marocain est peu intégré à la finance internationale, la part des titres étrangers dans les bilans des banques marocaines étant non significative. Si le secteur bancaire a vu ses profits exploser, en dépit du marasme actuel, c’est parce que c’est un secteur rentier.
En effet, le secteur profite d’une rente de situation liée à sa structure oligopolistique (peu d’offreurs face à un grand nombre de demandeurs). Il n’y a qu’à voir les deux banques dominantes : la première, AWB, est la filiale du holding royal et l’autre, BP, est contrôlée par l’État.
Cette structure est le résultat de plusieurs barrières à l’entrée. D’abord, réglementaires sous la tutelle de la Banque centrale (BAM) qui réglemente l’accès au secteur. Le gouverneur de BAM a réussi à convaincre tout le monde que la capacité du marché marocain ne supporte pas l’entrée de nouveaux challengers. Ensuite, des barrières structurelles, liées au coût d’investissement mais aussi au problème d’accès à l’information sur le marché et l’appréciation du risque. Enfin, des barrières stratégiques liées aux banques existantes qui par leurs offres tentent de capter la clientèle, et non pas de la fidéliser, notamment à travers le regroupement des offres en package (crédits et assurances par exemple), ce qui rend le coût de résiliation très élevé pour le client.
Grâce à toutes ces barrières les banquiers marocains ont pu préserver leurs marges dans un contexte difficile. Rappelons ici qu’en 2012 AWB et la BP ont réalisé, à tous deux seuls, un bénéfice de 7,7 milliards DH, un joli pactole en ce temps de disette. Une rentabilité qui s’explique en partie par la gratuité de la moitié des dépôts collectés auprès des clients, puisqu’il s’agit des dépôts à vue non rémunérés, contrairement à ce qui se fait en Tunisie ou en Égypte par exemple. Ajoutez à cela les facilités de BAM pour renforcer la liquidité des banques (baisse du taux directeur à 3% et des réserves obligatoires à 4%), et vous comprendrez mieux pourquoi les banques continuent à faire des bénéfices. Surtout qu’elles ne prennent pas beaucoup de risques en ce temps de crise en prêtant plus aux entreprises publiques ou encore mieux, en plaçant leurs ressources dans les bons de trésor.
Ce comportement de rentier est d’autant problématique qu’il se fait au détriment du consommateur. Certes, les taux ont baissé passant de 7,5% en 2005 à 5% en 2011, il n’empêche que la baisse aurait pu être plus conséquente. Pis, après 20 ans de libéralisation, dont l’objectif était de faire émerger un secteur bancaire privé compétitif, force est de constater que l’État reste le principal acteur dans le secteur avec une participation dans une banque sur trois et le contrôle de sept parmi elles.
Par ailleurs, cette libéralisation n’a pas abouti à une véritable concurrence entre les différentes banques. En effet, si la concurrence sur les taux d’intérêt reste le cheval de bataille, la concurrence-qualité n’est pas encore au rendez-vous. Et pour cause, il existe une sorte d’entente tacite entre les banques de la place à se partager les différents segments et régions du marché. À titre d’illustration, AWB, la BP et Crédit Agricole (CA) se partagent le segment des revenus moyens, les filiales de banques étrangères tel que la BMCE, la BMCI et la SG opèrent sur le segment des hauts revenus.
De même, géographiquement, AWB a pour fief le nord, alors que la BCP est bien implantée dans le sud. Cette compartimentalisation du marché a permis à chaque banque d’avoir sa part du gâteau et de s’épargner les affres de la rivalité. Ainsi, on note l’absence d’une concurrence généralisée entre les différentes banques sur tous les segments et toutes les zones géographiques.
Cette rente de situation se traduit aussi par une relation déséquilibrée entre la banque et ses clients puisque pendant que 75% des ressources des banques proviennent de ses clients (particuliers), ces derniers ne profitent que de 28% des crédits. Un rapport de forces qui ne peut être rééquilibré que par la consolidation d’une véritable concurrence.
Pour y arriver il est impératif de remettre en cause cette situation rentière dans le secteur bancaire : d’abord en en assouplissant les conditions d’entrée à la profession pour une offre plus large et plus diversifiée. A ce titre les banques islamiques seraient un vecteur de diversification et de concurrentiablité sur le secteur. Ensuite, qu’il faut faciliter la mobilité du consommateur en assouplissant les procédures de résiliation et en en réduisant le cout. Après, il est indispensable de renforcer la transparence et l’accès à l’information pour permettre aux consommateurs de comparer et faire jouer la concurrence. Enfin, il faut libérer complètement les taux d’intérêt, pour faire jouer la loi de l’offre et la demande et permettre ainsi une meilleure allocation des ressources vers les projets à meilleure valeur.
La véritable concurrence est celle qui permet de contester les positions des uns et des autres. Or les réglementations bancaires en vigueur au Maroc ne favorisent pas cette contestabilité. C’est donc vers cette direction qu’il faudrait orienter la prochaine réforme du secteur bancaire.
Par Hicham El Moussaoui