La liberté de la presse n’est pas qu’un thème de discours ou un ornement moral pour démocraties accomplies. Le Maroc vient de nous rappeler, avec l’affaire concernant le journaliste Ali Lamrabet, que rien n’est gagné et que la prison pour les journalistes, qu’on croyait écartée, est encore terriblement présente.
Le 17 juin 2003, Ali Lamrabet, directeur de deux hebdomadaires satiriques – Demain Magazine (francophone) et Doumane (arabophone) – a été condamné en appel à trois ans de prison ferme, contre quatre ans en première instance, pour « outrage à la personne du roi », atteinte au « régime monarchique » et à « l’intégrité territoriale du royaume ».
Le code de la presse marocain, adopté au mois de mai 2002, a représenté un progrès mais, continuant à porter en son sein des interdictions fondamentales et intimement liées à la structure étatique, son application ne pouvait manquer de susciter des abus et de porter atteinte à la liberté d’expression. Condamner pour des délits de presse à de l’emprisonnement ferme est une autre dérive. Sous l’influence de l’UPF, relayée par d’autres, a été proposée la suppression de cette sanction pour les infractions de presse.
Le Maroc, en infligeant trois années d’emprisonnement à ce journaliste, non seulement ne s’engage pas dans la voie de la libéralisation mais s’abandonne à une surenchère judiciaire qui assimile les infractions reprochées aux plus graves atteintes délictuelles et criminelles. Aberration qui constitue une formidable régression pour un pays et un Etat dont les progrès démocratiques étaient salués.
Cette sanction extrême n’aurait pu être édictée sans une magistrature dépendante. Il serait inéquitable de dénoncer celle-ci en lui reprochant de n’avoir pas eu une pratique imprégnée par l’esprit de responsabilité et de liberté. En effet, lorsque le pouvoir politique « tient » sa magistrature, le système mis en place est tellement efficace sur le plan de la « domestication » judiciaire qu’aucune révolte n’est possible, à l’exception de refus isolés et vite maîtrisés. Cette implacable chaîne qui unit le politique au judiciaire manifeste à quel point, pour une authentique démocratie, la rupture de ce « cordon ombilical » est fondamentale et comme changer les textes n’est rien si on n’a pas en même temps réformé l’esprit et la pratique de ceux qui jugent et créé une véritable indépendance du pouvoir judiciaire.
Ce qui scandalise, c’est le caractère violent et absurde d’une répression qui, quoi qu’on pense du journalisme, de ses droits, de ses devoirs et de ses nécessaires limites, constitue une réponse disproportionnée aux défis que pose la liberté à un Etat et à une société.
Philippe Bilger est le délégué juridique de l’Union de la presse francophone (UPF)