
La réticence du Maroc à laisser des étrangers enquêter sur la situation au Sahara Occidental n’est plus un secret. Trois députés européens, Isa Serra (Podemos, Espagne), Catarina Martins (Bloco de Esquerda, Portugal) et Jussi Sáramo (Alliance de Gauche, Finlande), ont été expulsés la semaine dernière du Sahara Occidental, dans des conditions qui ont suscité une vive réaction au sein de l’Union européenne. Cet événement remet au goût du jour les pratiques du Maroc dans cette région disputée, notamment en ce qui concerne le respect de la souveraineté nationale et les droits des observateurs étrangers.
Mieux comprendre la situation des populations sahraouies
Les trois députés européens se sont rendus à Laâyoune, capitale du Sahara Occidental, dans le but d’effectuer une mission d’observation sur l’application de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière avait annulé les accords de pêche entre l’UE et le Maroc, estimant qu’ils incluaient des eaux relevant du Sahara Occidental, un territoire non autonome, soulevant ainsi la question de sa souveraineté. Leur mission visait à rencontrer des représentants de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (MINURSO) et à s’entretenir avec des associations sahraouies, afin de mieux comprendre la situation des populations locales.
Cependant, à leur arrivée à l’aéroport de Laâyoune, les trois députés ont été contraints de retourner à Las Palmas de Gran Canaria sans explication valable. Une fois de retour, ils ont immédiatement demandé des explications aux autorités européennes et ont réclamé des sanctions contre le Maroc pour violation de leurs droits en tant qu’élus européens, ainsi que du droit international. Ils ont dénoncé ce qu’ils considèrent comme une entrave à leur travail parlementaire, une tentative délibérée de faire taire les voix dissidentes et d’empêcher toute observation internationale sur la situation au Sahara Occidental.
Expulsion de deux citoyennes norvégiennes de Laâyoune
Le gouvernement marocain, de son côté, a fermement réagi à cette expulsion en réaffirmant sa position sur le Sahara Occidental, qu’il considère comme faisant partie intégrante de son territoire. Le Maroc a précisé que le respect de sa souveraineté nationale est une « ligne rouge » qu’il ne saurait tolérer que quiconque franchisse. Selon les autorités marocaines, les députés européens expulsés auraient tenté d’utiliser leur statut pour promouvoir des thèses séparatistes sans mandat officiel du Parlement européen. Le Maroc reproche aux parlementaires de ne pas avoir suivi les voies diplomatiques appropriées pour effectuer leur visite, un argument fréquemment utilisé pour justifier ce type d’expulsion.
Cet incident n’est pas un cas isolé. Depuis plusieurs années, le Maroc a adopté une ligne dure envers les étrangers qui souhaitent enquêter ou exprimer des opinions sur la question du Sahara Occidental. En novembre 2022, deux citoyennes norvégiennes ont été expulsées de Laâyoune, où elles étaient venues rencontrer des militants sahraouis. Ces deux étudiantes en anthropologie avaient l’intention d’enquêter sur la situation des Sahraouis et les violations des droits de l’homme, mais elles ont été refoulées pour absence d’autorisation.
L’équipe de l’émission espagnole Salvados expulsée du Maroc
En avril 2022, le photojournaliste espagnol David Melero a été expulsé après avoir tenté d’interviewer Sultana Khaya, militante sahraouie des droits de l’homme. Melero a été arrêté par les services de sécurité marocains, maintenu en détention pendant plusieurs heures et forcé de quitter le pays dans des conditions violentes. Ce type de harcèlement s’inscrit dans une tendance plus large de répression des voix critiques sur le Sahara Occidental.
Les tensions sont également visibles dans le domaine des médias. En juillet 2021, l’équipe de l’émission espagnole Salvados a été expulsée du Maroc après avoir essayé de recueillir des informations sur les victimes d’une inondation tragique dans un atelier textile à Tanger. Bien qu’ils n’aient pas commencé le tournage, les journalistes ont été refoulés sous prétexte qu’ils n’avaient pas les autorisations nécessaires pour être sur place, illustrant la difficulté pour les médias étrangers de mener des enquêtes dans le pays.
Vers une réévaluation de la politique vis-à-vis du Maroc ?
La méfiance de Mohammed VI et de son gouvernement envers les observateurs étrangers peut être interprétée comme une volonté de contrôler strictement les informations concernant le Sahara Occidental, un territoire dont le statut reste une question diplomatique épineuse. Le Maroc considère toute tentative d’influence extérieure, en particulier celles qui sont perçues comme en faveur du séparatisme, comme une menace à son intégrité nationale. Ainsi, l’expulsion de journalistes, chercheurs et responsables politiques, comme les députés européens récemment renvoyés, permet au royaume de maintenir un strict contrôle du récit concernant la situation dans la région.
Ces événements ont des répercussions sur les relations entre le Maroc et l’Union européenne. Si, d’une part, les deux parties ont renforcé leur coopération ces dernières années, notamment par des échanges politiques et commerciaux, les récentes expulsions ont fragilisé cette relation. L’Union européenne pourrait être amenée à réévaluer sa politique vis-à-vis du Maroc, notamment sur la question du Sahara Occidental. Des mesures de pression, telles que des sanctions ou des restrictions commerciales, ne sont pas à exclure pour rappeler au royaume la nécessité de respecter les droits fondamentaux.