L’association des barreaux marocains vient d’appeler solennellement à la mise en place d’une monarchie parlementaire où le Roi règne mais ne gouverne pas. Si les effets d’un tel appel restent à démontrer, le symbole est fort, bientôt deux ans après l’approbation de la nouvelle constitution.
Celle-ci était censée répondre aux besoins démocratiques révélés par le mouvement de 20 février suite aux soulèvements dans les pays arabes. Mais, les marocains sont restés sur leur faim à tous points de vue. Certes, la nouvelle constitution avait consacré la lutte contre la rente et la corruption, mais force est de constater que, d’une part, il n’existe pas encore de loi organique qui pourrait donner force d’application à ce principe. Et d’autre part, ce dernier a été vidé de sa substance car il ne traite pas la racine du mal, à savoir le mariage incestueux entre politique et économique, donnant naissance à un « capitalisme de copinage ».
Ce dernier donne l’apparence d’une économie de marché, alors qu’en réalité il en bafoue les fondements, à savoir la liberté de choix, l’état de droit, et surtout la libre concurrence. En effet, dans ce système de capitalisme de copinage les hommes d’affaires bien introduits activent leurs réseaux pour faire passer des lois, des réglementations leur ouvrant des marchés, leur créant des opportunités d’affaires. Ainsi, des marchés pourraient être créés de toute pièce et vous être imposés par la force de la loi et l’alibi de l’intérêt général.
De même, cette connivence entre les politiques et les hommes d’affaires viole le principe de l’état de droit et par la même occasion le principe d’égalité des chances économiques dans le sens où par un simple coup de téléphone on pourrait coller un redressement fiscal ou évincer un concurrent gênant. Cette capture des politiques et des législateurs par les hommes d’affaires biaise le jeu de libre concurrence, bien évidemment au détriment des consommateurs qui doivent payer des prix plus élevés pour une qualité médiocre.
Et il n’y a pas que les consommateurs qui pourraient crier au scandale puisque les « petits » entrepreneurs, non introduits, sont également pénalisés, notamment lorsqu’il s’agit des commandes publiques, dont ils sont le plus souvent évincées. Et n’oublions pas tous ces jeunes censés être le « cadeau » démographique du pays et qui, après des années d’efforts, se retrouvent exclus d’emplois ou des affaires, pour finir en véritable bombe démographique. La jeunesse est la catégorie sociale qui a été la plus marginalisée du processus de développement, des politiques publiques de développement et in fine des fruits de la croissance.
En effet, en raison de ce capitalisme de copinage, de la rente, l’ascenseur social se trouve en panne et ne fait que creuser les inégalités sociales puisque les jeunes issus des couches populaires s’appauvrissent, et ceux de la classe aisée continuent de s’enrichir. Malheureusement la nouvelle constitution, comme l’ancienne, reste ancrée dans un système de gouvernance basé sur une monarchie exécutive. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause la personne du Roi, mais d’attirer l’attention sur son entourage, ses conseillers et cette nébuleuse qu’on appelle le « Makhzen » qui gouverne le pays dans l’ombre tout en échappant au principe démocratique de reddition des comptes.
En effet, les pratiques impulsées parla nébuleuse du Makhzen et de la clique royale ont compromis le développement d’une économie productive fondée sur l’égalité des chances économiques, le mérite et la responsabilité. À la place les marocains ont eu droit à une économie de prédation : distribution de monopoles ou de quasi-monopoles, des passe-droits, des privilèges, sans parler du détournement des subventions de l’État et des aides étrangères au profit de sociétés soutenues par le sérail. Dès lors, n’est-il pas légitime de penser que cette monarchie exécutive, par le biais de son système de connivence entre politique et hommes d’affaires, constitue le principal handicap au développement de l’investissement privé qu’il soit national ou étranger ?
Il est inconcevable aujourd’hui que certains profitent de passe-droits et de privilèges au nom de décisions prêtées au palais pour accéder à des marchés publics, se constituer des rentes et instaurer des monopoles. Cela biaise le jeu de concurrence et casse la dynamique entrepreneuriale, deux ingrédients essentiels pour créer des richesses et des emplois, et donc conduire le pays vers la prospérité. Et sans croissance il n’y aura pas d’emplois, et sans emplois le risque du déclenchement d’une nouvelle vague de soulèvement plus forte est très plus que jamais fort.
L’exigence d’une monarchie parlementaire ne relève pas seulement d’un besoin politique, mais surtout économique. C’est même le besoin économique qui est le plus urgent dans le sens où la réforme démocratique, signifiant l’instauration de contre-pouvoirs politiques ne peut aboutir sans que l’on mette en place de contre-pouvoir économiques. Or, cet objectif ne peut être atteint sans la rupture avec l’économie de rente et le capitalisme de copinage, qui implique in fine la séparation du pouvoir politique et économique. Cela passe par la libéralisation de l’économie marocaine des rentiers en ouvrant les filières à la concurrence, en faisant respecter l’état de droit et en mettant l’administration au service des citoyens. Autant de réformes structurelles qui n’auront de sens que dans le cadre d’une monarchie parlementaire.
S’il y a un enseignement à tirer des mouvements de contestation au Maroc, c’est qu’on est en présence d’une véritable revendication populaire d’un nouveau contrat entre le peuple et la monarchie où la légitimité historique et religieuse est désormais insuffisante pour justifier le pouvoir. L’heure est désormais à la bonne gouvernance et à l’efficacité pour légitimer son pouvoir. D’où la nécessité d’une monarchie parlementaire capable d’assurer une réelle séparation, d’une part entre les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judicaire), et d’autre part, entre le politique et l’économique.
Hicham El Moussaoui est maître de conférences à l’Université de Beni Mellal et analyste sur Libre.Afrique.org
Publié en collaboration avec LibreAfrique.org