De l’aveu même du président de la Cour des comptes et selon le dernier rapport de la commission parlementaire qui s’est penchée sur la question, la réforme paramétrique des régimes des retraites, validée par l’ancien gouvernement, est insuffisante au regard des dysfonctionnements structurels dont souffre le système en général et le régime des pensions civiles en particulier. Dès lors, il devient impératif d’adopter une nouvelle approche impliquant le passage d’un système centralisé par répartition, où l’Etat prélève des cotisations sur le salaire des actifs pour financer les pensions des « vieux inactifs », à un système décentralisé par capitalisation où chacun se prend en charge en épargnant pour financer sa propre retraite. Dans ce qui suit je me limiterai à expliquer pourquoi le système par capitalisation est préférable à celui par répartition.
D’abord, et contrairement au système par répartition, la capitalisation offre la liberté de choix individuel. Et ce n’est pas rien puisqu’il s’agit notamment de choisir l’âge de son départ à la retraite et non plus être toujours obligé de se soumettre à une date butoir. Ceci offre plus de flexibilité permettant à chacun de s’adapter, d’une part, à la pénibilité de ses conditions de travail, et d’autre part, aux spécificités de son parcours dans le sens où si vous commencez tard votre carrière, vous pourrez retarder votre départ à la retraite. De la même manière que vous pourrez partir plus tôt si vous estimez avoir suffisamment épargné pour financer votre retraite. Cette liberté de choix est d’autant plus légitime que chaque futur retraité est mieux placé que n’importe quel bureaucrate pour déterminer la durée de cotisation qui lui convient.
Ensuite, et c’est le corollaire de la liberté, le système par capitalisation responsabilise davantage les futurs retraités. En effet, dans le système par répartition, la retraite est gérée par l’Etat car l’on estime implicitement que vous êtes tellement myopes et dépensiers que l’on ne peut pas vous faire confiance pour gérer votre propre argent. La solution consisterait donc à vous soumettre à un prélèvement obligatoire afin que vous ne dilapidiez pas vos revenus. Cette vision élitiste et paternaliste est autant illégitime qu’improductive. Si l’on revient à la prémisse selon laquelle vous, travailleurs, êtes peu prévoyants, pourquoi les fonctionnaires chargés de gérer le système le seraient-ils plus? Les détournements, les mauvais placements et la mauvaise gouvernance sont la preuve que les fonctionnaires des caisses de retraites ne sont pas plus prévoyants que le sont les futurs retraités. D’ailleurs, selon le dernier rapport des parlementaires, l’Etat est le premier responsable de la crise des retraites en raison non seulement de sa négligence à payer son dû aux caisses, mais également en raison de sa mauvaise gestion de l’épargne des salariés ayant cotisé. Et comment pourrait-il en être autrement si l’on se rappelle la maxime du père de la science économique, A. Smith, qui disait: « on ne peut pas attendre des régisseurs de l’argent d’autrui qu’ils apportent dans le maniement de leurs affaires autant de prévoyance que s’ils employaient leur propre argent ».
La supériorité du système par capitalisation réside justement dans le fait qu’il donne plus d’incitations à bien gérer son épargne. Le secret est simple : dans le système par capitalisation les choix sont bien orientés par la boussole du mécanisme des pertes et profits qui récompense les bons choix et punit les mauvais, ce qui incite chacun à se remettre en cause chaque fois qu’il ne prendra pas la bonne décision. Or, dans la répartition, un fonctionnaire qui manque de prévoyance ne sera pas inquiété dans son propre portefeuille. D’ailleurs, les responsables de la gabegie de l’argent des retraites n’ont pas été sanctionnés. Malheureusement ce sont ceux qui cotisent qui devront payer les pots cassés.
Enfin, si le système par répartition établit un contrat social implicite de solidarité intergénérationnelle, il n’est cependant pas évident que ses termes (cotisations, prestations) soient inéquitables entre les générations. Autrement dit, ce ne sont pas les versements que vous faites au cours de votre vie active qui définissent le niveau de votre retraite. D’ailleurs c’est ce qui se passe avec la réforme actuelle puisque l’on va cotiser plus pour recevoir moins, si tant est sûr que d’ici là on recevra quelque chose. Le système par capitalisation évacue ce problème car par nature chacun est responsable de financer sa propre retraite. Par ailleurs, sous l’hypothèse d’une inflation modérée et d’un taux d’intérêt proche de celui de la croissance économique, la valeur réelle de l’épargne, c’est-à-dire en termes de pouvoir d’achat ne risque pas de se dégrader. Ainsi, le niveau de retraire sera proportionnel à l’effort de l’épargne. Plus équitable que ça tu meurs !
S’il est vrai qu’aujourd’hui, les préalables ne sont pas encore tous réunis, prendre la décision de converger graduellement, avec un échéancier précis, vers le système par capitalisation pourrait être une opportunité plus qu’une contrainte dans la mesure où elle exige la mise en place de réformes structurelles parallèles dont l’économie marocaine a vraiment besoin. Certes, le défi est de taille mais d’autres pays en voie de développement l’ont déjà relevé, puisqu’à la fin 2006, 28 pays de l’Amérique Latine, d’Europe centrale et orientale avaient adopté ce système et ça marche. Alors, il n’y a pas de raison pour que le Maroc ne soit pas de la partie !
Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc).
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.