Après moult hésitations, le chef du gouvernement marocain, Benkirane, a donné son feu-vert pour la mise en pratique de l’indexation partielle sur les produits pétroliers (essence, gasoil, fuel de type 2), à partir du 16 septembre 2013.
Cette indexation partielle se traduira par une révision des prix à la consommation à raison de deux fois par mois (les 1er et 16) à chaque fois que les variations de cours dépassent à la hausse où à la baisse le seuil de 2,5%, la variation étant calculée par rapport à la moyenne des prix à l’international sur les deux derniers mois. La décision est censée permettre de ne pas dépasser l’enveloppe de 42 milliards de dirhams consacrée aux subventions par la loi de Finances 2013, laquelle s’est basée sur un baril à 105 dollars. Faut-il y voir une décision de bon sens ? Sans doute pas, et ce, pour diverses raisons.
Mesures forcément impopulaires sous la pression du FMI
De prime abord, le timing est mal choisi, même s’il a été déjà reporté du Ramadan au mois de septembre. Ce dernier coïncide avec la rentrée scolaire et le retour des vacances. Le budget des ménages, déjà sous pression, risque d’en prendre un sérieux coup, surtout si l’on ajoute la récente hausse des prix des produits laitiers. La facture risque d’être de plus en plus salée. Par ailleurs, si le gouvernement Benkirane prend aujourd’hui ce genre de mesures forcément impopulaires, c’est sous la pression du FMI. Selon une étude du Fonds monétaire international (FMI), les subventions aux carburants représentent 5,1% du PIB du Maroc, alors que le déficit public est de 6,8%. Le FMI a appelé à travailler à réduire la part des subventions à 3% d’ici 2017.
Ensuite, avec ce genre de mesures à caractère comptable, on ne fait que reporter aux calendes grecques la véritable réforme de la caisse de compensation. Cela va même à l’encontre de la réforme, car le principe de celle-ci devrait justement être de sortir du système de généralisation des subventions. Mais force est de constater que comme en juin 2012, quand le prix des carburants avait été augmenté (le gasoil de 1dh et l’essence de 2dh), on généralise aussi la hausse des prix dans le sens où les pauvres doivent aussi payer plus cher comme les riches. Et de cette façon, qu’il s’agisse de l’ancien système ou du nouveau, ce sont toujours les pauvres qui trinquent. De plus, ce genre d’ajustements conjoncturels n’a pas beaucoup d’efficacité. Les hausses de 2012 avaient été justifiées par l’aggravation du déficit de la Caisse de compensation et au final n’ont permis d’économiser que 5 milliards de dh, sachant que le déficit a explosé à 55 milliards.
Une nouvelle décompensation nourrira les tensions inflationnistes
Enfin, cette décision aura de mauvaises conséquences aussi bien sur les ménages que les entreprises. Certes, les variations seront répercutées à la hausse comme à la baisse. Mais, dans le futur proche, il ne faut s’attendre qu’à un renchérissement des prix des carburants. D’une part, les tensions en Égypte et au Moyen Orient, et d’autre part, avec la reprise qui commence à se dessiner dans les pays occidentaux, il va y apparaître une pression à la hausse sur la demande mondiale, ce qui va faire augmenter le cours du baril. Une hausse qui impactera négativement sur le pouvoir d’achat des ménages. En effet, les dépenses d’énergie et de transport constituent le deuxième et le troisième poste dans le budget de la classe moyenne, avec des parts respectives de 21% et 9%, soit 30% au total. Ce qui implique que le pouvoir d’achat sera doublement impacté. Directement à travers l’augmentation de la facture d’électricité et de transport, et indirectement puisque le coût du transport fait partie intégrante du coût de revient de tous les produits et services. Déjà la récente décompensation des prix des hydrocarbures a fait augmenter les prix et il est clair qu’une nouvelle décompensation nourrira les tensions inflationnistes, renchérissant ainsi le coût de la vie pour ces ménages. Ce qui poserait un handicap sérieux au retour de la croissance.
La dégradation du pouvoir d’achat conduira au ralentissement de la demande interne, principal moteur de la croissance marocaine. En effet, les ménages, en réduisant leurs dépenses, non seulement réduiront les débouchés aux entreprises, mais aussi les recettes fiscales de l’État (TVA), ce qui déprimera la croissance.
Rompre avec le système de subvention généralisée
Par ailleurs, il faudrait rappeler que 80% des subventions de la Caisse de compensation portent sur les produits pétroliers et l’essentiel bénéficie aux industriels. La décision du gouvernement risque de pénaliser l’entreprise marocaine à un moment où la compétitivité de l’économie recule dans le classement mondial (perte de 7 places par rapport à l’an dernier). Le rapport 2013 du World Economic Forum le montre clairement, puisque le Maroc est classé 77ème sur 148 pays.
S’il est clair qu’il faut réformer la caisse de compensation, il n’en demeure pas moins que la manière dont le gouvernement Benkirane s’y prend est complètement contre-productive. On ne peut pas commencer cette réforme en mettant la charrue devant les bœufs. Autrement dit, il faut au préalable rompre avec le système de subvention généralisée, en aidant directement les plus démunis, en réformant la fiscalité (Taxe intérieure sur a consommation, TVA) grevant le prix des hydrocarbures, ouvrir davantage les filières subventionnées à la concurrence, avant de pratiquer l’indexation et la décompensation.
Malheureusement, avec cette nouvelle décision, on a une autre preuve des hésitations et de l’attentisme du gouvernement Benkirane qui rendent jour après jour le coût de la réforme plus élevé et plus impopulaire. Cela le pousse à l’improvisation et la prise de décisions qui manquent de vision stratégique avec peu d’impact réel. Ce qui ne peut que menacer la pérennité de la croissance nationale. Le gouvernement Benkirane continue dans son jeu d’illusionniste…
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