Le secteur immobilier du Maroc s’enfonce dans sa cinquième année de crise. Comment expliquer ce blocage ? Hicham El Moussaoui, relève plusieurs raisons à ce blocage. La principale est liée aux lourdeurs administratives dans la chaine de l’accès à la propriété et à une mauvaise gestion du plan d’occupation des sols qui fait que le manque d’espace de construction crée un stress sur le marché immobilier qui fait exploser les prix. Enfin, les taxes sur les matériaux de construction contribuent à la flambée des prix.
C’est la cinquième année consécutive que le secteur immobilier est en crise, laquelle pénalise à la fois les citoyens et les promoteurs. En ce sens que, d’un côté, on trouve une offre invendable, et d’autre part, une demande insatisfaite. La faute à un prix élevé, mais qui en est responsable ?
Avec 50 à 60% du coût de revient, le foncier, rare et cher, est la principale raison invoquée par les opérateurs. Certes, la croissance de l’urbanisation et de l’activité économique y sont pour quelque chose, néanmoins une partie de cette rareté est artificielle, et est liée à la politique foncière de l’État et sa bureaucratie. Effectivement, la politique menée par l’Etat dans le domaine foncier, au cours des années 80-95, a montré rapidement ses limites en raison du coup de frein donné à l’extension de toutes les grandes villes, particulièrement les métropoles régionales. Les plans de zonage, répartissant les terrains entre les différents usages (résidentiel, agricole, commercial, etc.), ont de facto restreint l’assiette disponible à cause d’arbitrages politiques.
Aussi, le retard dans la réalisation des plans d’aménagement urbains, en raison d’une procédure fortement centralisée et impliquant plusieurs acteurs, conduit à la rétention des terrains par les propriétaires craignant qu’en vendant tout de suite, ils risquent de subir un manque à gagner si la valeur de leurs biens augmente. Ceci contribue beaucoup à la raréfaction des terrains disponibles et in fine à la flambée des prix des terrains. Et quand bien même des plans d’aménagement existent, l’offre réelle est très réduite et les terrains effectivement mobilisables sont rares, soit parce qu’ils sont non immatriculés, ou non desservis ou encore destinés à l’équipement et aux infrastructures. Résultat des courses, des terrains disponibles mais non exploitables, ce qui amplifie la rareté foncière.
Dans le même ordre d’idées, et en dépit de certains progrès, les procédures concernant la mobilisation des domaines de l’État restent complexes et limitent l’offre de terrains. D’ailleurs, le domaine privé de l’État, d’une superficie de 1,7 millions d’hectares, est loin d’être totalement mobilisé. Aussi, les normes et réglementations d’urbanisme, notamment en matière de coefficient d’occupation des sols, de hauteur, d’agencement ont contribué à cette rareté artificielle en limitant les possibilités de construction. À titre d’exemple, l’absence de suffisamment de verticalité conduit à une extension horizontale très consommatrice du terrain, ce qui exerce une forte pression sur le stock de terrains constructibles. Quant à la complexité administrative, elle n’est pas en reste. Les longs délais d’instruction des dossiers qui traînent dans plusieurs bureaux et ont besoin d’une multitude de signatures, constituent pour les promoteurs un manque à gagner énorme récupéré parfois par la hausse des prix.
En plus de cette rareté artificielle, la spéculation n’arrange pas les choses. Mais, contrairement à l’idée dominante, elle n’est pas une simple question de cupidité personnelle. Elle est générée aussi par la multiplication et la complexité des statuts fonciers responsables de la lenteur dans la régularisation et l’assainissement juridique des terres, et le manque de transparence et du suivi concernant l’octroi des terres de l’État. Une spéculation qui n’est pas l’apanage uniquement du privé, mais aussi d’opérateurs publics à l’image des groupes comme Al Omrane et la CDG dégageant des bénéfices énormes en obtenant de l’État des terres à des prix très bas et en les revendant avec des plus values substantielles, faisant flamber les prix.
Un autre facteur non négligeable est la hausse du coût des matériaux de construction en raison des taxes parafiscales appliquées par l’Etat ces dernières années. Ainsi, selon une étude des fabricants de matériaux de construction, la taxe spéciale sur le ciment, depuis son instauration en 2002, est responsable à elle seule d’une hausse de 18% du prix de ce matériau. Le prélèvement sur le sable, introduit tout juste depuis 2013, a déjà causé une envolée du prix de ce produit de 15%. La taxe sur le rond à béton, imposée il y a près de trois ans, a induit pour sa part un renchérissement de 2% des tarifs. Répercutées sur le consommateur, ces augmentations ont causé une hausse de prix de 5.000 DH du logement moyen standing, selon toujours la même étude.
Enfin, n’oublions pas que le manque de qualification de la main d’œuvre (plus des deux tiers des employés du secteur n’ont aucun niveau de scolarité) est responsable en grande partie de son déficit de productivité, donc de sa non compétitivité. Ce manque de qualification se traduit par une faible production, beaucoup de déchets, et moins de qualité, autant de coûts supplémentaires pour les opérateurs qui ne manquent pas de les répercuter sur le prix final.
Dès lors pour permettre une véritable rencontre entre l’offre et la demande, il est besoin d’une véritable réforme structurelle du foncier et de l’aménagement urbain, un allégement de la fiscalité dans le cadre d’un contrat-programme et non plus des dérogations à l’emporte-pièce, une simplification des procédures, et puis une requalification de la main d’œuvre. Faute de quoi on va pousser les opérateurs et les citoyens vers l’informel avec tous les risques que l’on connaît.
Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc).