Maroc : Khaled Gueddar victime d’« une fatwa sur la caricature »


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Le dessin de Khalid Gueddar qui lui a valu condamnation
Le dessin de Khalid Gueddar qui lui a valu condamnation

Le caricaturiste Khaled Gueddar, et Taoufik Bouachrine, le directeur de publication du quotidien marocain Akhbar Al Youm, encourent une peine de six mois à trois ans de prison. Leur faute ? Avoir publié une caricature du cousin du roi Mohammed VI. Les deux hommes devraient être fixés sur leur sort le 30 octobre. En attendant le verdict, Khaled Gueddar clame son innocence et revendique le droit à la liberté d’expression. Un combat soutenu par deux journaux français et espagnol, Le Monde et El Pais, censurés fin octobre pour avoir publié son dessin.

À première vue, ce n’est qu’une simple caricature sans grande charge subversive. Le prince Moulay Ismail en djellaba, tarbouch vissé sur le crâne, fait un signe de la main. Une posture cocasse avec en arrière plan le drapeau national. Mais au Maroc, ce dessin publié le 27 septembre dernier a provoqué l’ire des autorités chérifiennes. Le roi Mohammed VI n’a pas apprécié que son cousin soit représenté de la sorte. Résultat : il poursuit Khaled Gueddar, l’auteur de cette représentation et Taoufik Bouachrine, le directeur de la publication du quotidien Akhar Al Youm dans lequel elle a été publiée, pour « offense au drapeau » et à la famille royale. Le jugement devrait être rendu le 30 octobre par le tribunal de Casablanca. Une manière de faire entendre que sur le territoire marocain, l’entourage du monarque ne doit pas être caricaturé. Interview de Khaled Gueddar, un dessinateur qui n’a pas le crayon dans sa poche.

Afrik.com : À votre avis, pourquoi votre caricature a-t-elle été autant fustigée par les autorités marocaines ?

Khalid Gueddar : C’est la première fois qu’on caricature un membre de la famille royale. Pour le Maroc, c’est choquant. Ils pensent que c’est de l’irrespect alors que c’est tout le contraire. C’est un moyen d’expression qui délivre un message. Bien sûr, c’est un dessin humoristique et satirique, mais c’est le propre de ces dessins. Sous le roi Hassan II, la caricature était interdite. Maintenant avec son fils c’est la même chose. C’est comme s’il y avait une fatwa sur la caricature. Pourtant le Maroc doit évoluer, accepter la liberté d’expression. Par sa réaction, le pays montre qu’il n’est pas encore prêt. Vous savez, la caricature, c’est un peu comme le thermomètre de la démocratie, et là le niveau est bien bas.

Afrik.com : Est-ce la première fois que vous comparaissez devant la justice marocaine pour une de vos caricatures ?

Khaled Gueddar : En 2003, j’avais été déjà poursuivi par la famille royale. Je travaillais à l’époque dans un journal satirique qui s’appelait Demain magazine. A la suite du procès, il a été interdit et le directeur de publication a pris quatre ans ferme !

Afrik.com : En dessinant le prince Moulay Ismail, vous attendiez-vous à de telles conséquences ?

Khaled Gueddar : Je ne savais que ça allait prendre cette importance. Cependant, j’étais conscient que de dessiner le cousin du roi n’allait pas passer inaperçu. En même temps, si on y réfléchit, cette caricature n’est qu’une image. Il n’y a pas de mots. Elle s’inscrit dans un dossier publié par le quotidien marocain Akhar Al Youm sur les traditions du mariage alaoui. On a donc représenté le prince Moulay Ismail fêtant son union avec la ressortissante allemande de confession musulmane, Anissa lehmkukl. Avec le directeur de la publication, Taoufik Bouachrine, on a profité de cette occasion pour faire une caricature sur la famille royale et habituer le lecteur à ce genre de représentations.

Afrik.com : Le ministère marocain de l’Intérieur a estimé que « l’utilisation d’une étoile de David dans la caricature suscite (…) des interrogations sur les insinuations de ses auteurs et dénote des penchants d’antisémitisme ». Que répondez-vous à ces accusations ?

Khaled Gueddar : D’abord, ce n’est pas l’étoile de David mais l’étoile du drapeau marocain. Cela fait toute la différence. Ils ont cherché un argument fort pour me contrer. Ils ont essayé de susciter la colère de la communauté israélite. Mais ça n’a pas marché. Je ne vois pas pourquoi je dessinerais une étoile de David ça n’a rien à voir avec le propos. Ici, il s’agit du mariage entre le prince et Anissa lehmkukl. Que je sache, son épouse n’est pas juive mais de confession musulmane.

Afrik.com : Que pensez-vous de la réaction des autorités marocaines ?

Khaled Gueddar : Je la regrette. Ils ont interdit le journal, fermé les locaux et gelé les comptes bancaires, sans autorisation. Une vingtaine de policiers ont bloqué l’accès aux bureaux aux journalistes. On est très loin d’avoir un espace de liberté au Maroc, et ça c’est vraiment fâcheux.

Afrik.com : Vous avez diffusé une série intitulée : « Mohamed VI : le calife qui ne voulait pas être roi » sur le site d’informations Bakchich. Pensez-vous ces dessins soient à l’origine de la virulence du gouvernement marocain ?

Khaled Gueddar : Depuis le début de ma carrière, ils cherchent un argument fort pour me poursuivre en justice. Quand j’étais en poste au quotidien marocain arabophone Al-Massae et que je travaillais en même temps pour Bakchich, les autorités ont mis la pression sur mon directeur de publication pour que je cesse mon activité sur le site français. Il m’a demandé un contrat d’exclusivité avec son journal. J’ai refusé et j’ai été licencié. Au Maroc, la caricature est perçue comme dangereuse, car elle est incontrôlable.

Afrik.com : Pensez-vous que la caricature soit plus dangereuse que les écrits ?

Khaled Gueddar : Ce n’est pas la même chose. La caricature, à la différence des écrits, peut faire passer plusieurs messages. Il y a de nombreuses lectures possibles. Et c’est accessible à tous…

Afrik.com : Y a-t-il beaucoup de caricaturistes au Maroc ?

Khaled Gueddar : Oui, mais ils n’osent pas. Je ne dis pas que c’est un manque de courage mais il est très difficile de s’exprimer au Maroc.

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