Maroc : il est temps de passer à l’impôt unique (flat tax)


Lecture 7 min.
arton50436

En dépit des avancées résultant des réformes de sa fiscalité, fin des années 80, le système fiscal au Maroc demeure caractérisé par sa lourdeur, son opacité, et son injustice. Les ajustements ultérieurs, opérés souvent à l’occasion des lois de finances, étaient conjoncturels et n’ont visiblement servi qu’à amplifier l’aléa fiscal et l’incertitude encourageant la fraude et l’évasion. Cela signifie une seule chose : il est temps de changer de paradigme pour une réforme aboutie de la fiscalité au Maroc. Mais vers quel système devrait-on converger ?

L’impôt unique (flat tax) est un système où tous les contribuables payent un impôt unique libératoire, à taux unique, qui s’appliquerait à l’ensemble de leurs revenus, quelle que soit leur provenance. Quant on connaît la multiplicité des taux, des tranches de revenus, des conditions à remplir pour bénéficier d’abattements, des dérogations accordées souvent sans justification économiquement, le système de flat tax apparaît comme une aubaine de par sa simplicité et sa lisibilité. Un seul impôt à calculer et à payer, permettrait de libérer du temps, de l’énergie et des ressources aussi bien pour les contribuables que pour l’administration fiscale. La lisibilité du système et sa simplicité lui donnera plus de stabilité, ce qui permettra d’améliorer la visibilité aussi bien pour les ménages que pour les entreprises les incitant ainsi à établir des plans de consommation et d’investissement à plus long terme, qui ne peuvent qu’être bénéfiques à la croissance. L’expérience des pays de l’ex-bloc soviétique est là pour en témoigner (Russie, Estonie, Géorgie, etc.)

L’évasion et la fraude fiscales rendues intéressantes

D’aucuns rétorqueront que l’instauration d’un seul impôt est risquée dans la mesure où elle va réduire les recettes fiscales de l’Etat menaçant ainsi les finances publiques. D’abord, l’on sait depuis Laffer, et avant lui, Ibn Khaldoune, que l’augmentation de la pression fiscale associée au système d’impôt progressif réduit le revenu disponible des ménages et des entreprises et in fine leurs capacités à consommer et à investir, ce qui limite à son tour le potentiel de croissance économique synonyme de moins de recettes fiscales pour l’Etat. Cela rend aussi l’évasion et la fraude fiscales intéressantes au point que les contribuables mettent des stratégies pour esquiver l’impôt. En revanche, avec un impôt unique à un taux réduit, la pression est moins forte, et il devient moins rentable de frauder sur un impôt à 10% que sur un taux de 35% par exemple. Aussi, dans ce système, il est aussi plus intéressant de rapatrier ses avoirs déposés à l’étranger. La dernière contribution libératoire accordée par le gouvernement a montré que la fraude n’est pas toujours le résultat du vice ou de la cupidité, mais souvent de la pression fiscale imposée par l’Etat. Quand on parle de paradis fiscal, l’enfer fiscal n’en est jamais loin. Ensuite, avec cet impôt proportionnel, les contribuables les plus dynamiques et les plus efficaces seront incités à travailler plus car le fruit de leur travail ne leur sera pas confisqué par des taux spoliateurs. Enfin, les économies d’impôts réalisées par les riches et les plus productifs seront réinvesties soit dans de nouvelles entreprises, elles-mêmes créatrices de richesses et d’emplois au profit de la classe moyenne et des pauvres, soit dans des œuvres caritatives et sociales au profit des plus démunis.

Pourtant, de nombreuses voix s’élèvent pour décrier l’iniquité supposée du système de flat tax sous prétexte que les contribuables, qu’ils soient riches ou pauvres, payent le même taux. Certes, ils payent au même taux, mais pas le même montant d’impôt car la flat tax est par définition un taux proportionnel aux revenus. En fait, le système de flat tax est équitable dans la mesure où chaque contribuable paie des impôts en proportion directe de son revenu. Lorsque son revenu double, triple ou décuple, sa charge fiscale double, triple, ou décuple. Ceux qui gagnent plus paient plus. L’instauration de la progressivité était un moyen pour aboutir à un égalitarisme de revenus. Or, comme le dit Aristote, la plus grande injustice est de tenter de rendre des choses égales qui sont à l’origine inégales. Les contribuables de par leurs dons, leurs facultés, leurs qualités, leur éducation, leurs efforts, leur intelligence, sont par définition différents et leurs revenus ne peuvent qu’être inégaux. Passer outre cette loi naturelle revient à vouloir imposer un prélèvement de points sur les étudiants les plus brillants afin de réduire les inégalités des résultats scolaires. À l’évidence, tout un chacun trouvera cela absurde, alors pourquoi pas dans le cas de la fiscalité ?

Veiller à l’égalité des chances mais pas à l’égalité des résultats

L’Etat doit veiller à l’égalité des chances mais pas à l’égalité des résultats, sinon on tuera l’incitation à l’effort, au travail, à l’innovation et au mérite. En instaurant la progressivité avec des taux de plus en plus élevés, on s’est retrouvé avec un système fortement inéquitable et discriminatoire car pénalisant davantage ceux qui sont dans la formalité, ou qui sont retenus à la source, puisqu’au Maroc 82 % de l’IS est acquitté par seulement 2% des entreprises et 75% de l’IR provient des salaires. De plus, en voulant égaliser les revenus après impôts, par des taux d’imposition fortement progressifs, les législatures successives ont criblé, les unes après les autres, le code fiscal de centaines de niches fiscales (dérogations) qui permettent à certains de ne rien payer. Autant de privilèges, de rentes obtenues via du lobbying. Aujourd’hui, ces niches sont estimées à 36 milliards de dh, soit 4% du PIB. Où est l’équité ? Au nom de l’équité, on a fini par créer un système inéquitable dont l’essentiel de la charge est supportée par une minorité, ce qui rapporte moins de recettes, et oblige l’Etat à taxer davantage, ce qui réduit encore la base d’imposition à cause de l’évasion, un véritable cercle vicieux !

Or, avec l’instauration d’un impôt libératoire réduit, on rend l’évasion et la fraude fiscales non rentables, ce qui fait que plusieurs contribuables réintégreront la base d’imposition (fraudeurs, informel) l’élargissant ainsi pour plus de recettes fiscales pour l’Etat et moins de charges pour les contribuables. Il permet aussi par sa stabilité et sa lisibilité d’éviter le pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale, et donc la corruption, ce qui permettra de réinstaurer la confiance entre les deux parties.

Mais ce système de flat tax ne peut être dissocié d’un Etat à taille limitée. En conséquence, et c’est un autre avantage de la flat tax est d’inciter l’Etat à se réformer en rationalisant ses interventions et donc en limitant les dépenses publiques source de gaspillage et de rente. Cela implique une redéfinition de la division du travail entre les différents échelons de l’Etat selon le principe de la subsidiarité (régionalisation avancée), et une redéfinition des tâches entre le secteur public et privé selon le principe de l’efficacité (démonopolisation). Le ciblage des transferts sociaux est bien évidemment incontournable pour mieux servir l’objectif de justice sociale. Une telle rationalisation des dépenses publiques permettra enfin de réhabiliter la légitimité de l’impôt aux yeux des contribuables marocains.

Jean-Baptiste Colbert, célèbre Ministre des finances de Louis XIV, avait coutume de dire que « L’art de lever l’impôt consiste à plumer l’oie sans la faire criailler ». Il n’y a jamais d’impôts, il n’y a que des dépenses. Cela signifie que moins l’Etat dépense, moins il y aura besoin de lever des impôts et moins l’oie de Colbert ne « criaillera ».

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News