La violence à l’école est devenue chose quotidienne au Maroc. Les raisons sont multiples. Comment comprendre pour mieux agir ?
Dans son article, Asmaâ Bassouri, tente d’expliquer en 3 points l’origine des violences à l’école au Maroc : les frustrations familiales et personnelles ; les addictions aux drogues et matières illicites ; ainsi que la désapprobation des enseignants. L’auteure, marocaine elle-même, fait alors des propositions pour réduire le fléau croissant.
Pour le grand malheur de l’Humanité, la violence est une constante de celle-ci, un phénomène aussi ancien qu’universel, réprimé tant par la loi que la morale. De nature multiforme, cette violence prend un relief particulier et extrêmement inquiétant en milieu scolaire, étant donné que sa propagation pourrait, sans jeu de mots, témoigner de la faillite du système éducatif en question. Au Maroc, cette violence prend des proportions alarmantes avec les tas d’incidents régulièrement médiatisés. Pourquoi ce fléau continue-t-il à ronger l’école marocaine et comment y remédier ?
Se situant du point de vue des élèves, ces derniers peuvent schématiquement développer une attitude violente à l’école pour trois raisons principales : frustrations familiales et personnelles ; addictions aux drogues et matières illicites ; ainsi que leur désapprobation, et du contenu dispensé, et de l’attitude ou manque de pédagogie des enseignants.
Désistement des familles
Dans le premier cas de figure, quand les élèves utilisent la violence comme défouloir pour leurs frustrations, la responsabilité incombe essentiellement aux familles pour avoir « raté » l’éducation de leur progéniture. Il faut le dire, aujourd’hui une grande part des parents ne s’impliquant pas suffisamment dans l’éducation de leurs enfants croient qu’il suffit de les « expédier » à l’école. De même, qu’une autre partie ne possède pas le bagage nécessaire afin d’éduquer leurs enfants. Dans les deux cas, l’enseignant ne peut à lui seul redresser une génération en perte de repères. A force de vouloir imposer la discipline en classe, il peut finir par se désintéresser de sa mission (ce qui signifie mal enseigner ou ne pas enseigner grand-chose), sinon par donner des coups, en vue de restaurer l’ordre, option que nous défendons nullement mais dont on peut du moins disséquer l’origine. Face à cela, il faudrait tacler d’urgence le mal à la racine, en comblant cette carence au niveau de l’éducation en famille par la sensibilisation d’abord sur l’importance de la planification familiale, puis, prévoir des structures pour former à la parentalité (qui n’est pas innée, contrairement à toutes les idées reçues) et offrir des thérapies de famille en cas de crises. Le rôle de la société civile n’est assurément pas à négliger pour mener à bien cette politique, soit en tant que partenaire de l’Etat sinon en tant que palliatif à son inertie. La démission des parents par rapport à l’éducation de leurs enfants se trouve par ailleurs aggravée par le chômage et la pauvreté. D’où la nécessité aussi, de réformes économiques, la misère étant en elle-même une forme de violence pouvant à son tour en produire d’autres, une sorte de cercle vicieux.
Défaillance de l’appareil sécuritaire
Pour ce qui est des addictions, prolongement direct de la défaillance de l’éducation familiale, on reprocherait (en plus des familles) aux services de sécurité de ne pas faire dûment leur job consistant à lutter efficacement contre le commerce des stupéfiants, puis l’Etat et la société civile pour ne pas prendre en main ces jeunes en difficulté : cures de désintoxication et prise en charge psychologique doivent leur bénéficier. Bien sûr, il serait utopique de s’attendre à ce que ces élèves toxicomanes intègrent leurs écoles ou s’adaptent au système sans cette étape thérapeutique préalable. Dans la même lignée, une prise en charge des élèves éprouvant des difficultés d’assimilation, ce qui les laisse en proie à l’échec scolaire, est une autre facette souvent négligée. L’école ayant cessé depuis longtemps d’être un ascenseur social et on vient bizarrement s’étonner du fait qu’elle ne produit désormais que des chômeurs, des extrémistes et des personnes manquant cruellement de civisme !
Défaillance de la gouvernance étatique
Dans le même ordre d’idées, les maux de l’école marocaine seraient tellement innombrables que l’on conclurait in fine à sa faillite. Une faillite aussi de toutes les tentatives de pseudo réformes qui, à la longue, finissent par laisser penser au manque d’une vraie volonté politique de résoudre le problème. L’État se contente de « réformettes » ne faisant que consolider le statu quo. Il y a eu une accumulation de déficits structurels en raison de la politisation de l’enseignement et de sa centralisation. Depuis l’arabisation de l’enseignement, au lendemain de l’indépendance, une suite de politiques improvisées ont conduit au surpeuplement des écoles qui n’est ni à même d’offrir un climat adéquat d’enseignement/apprentissage, ni favorable à ce que l’administration de l’école surveille et contrôle tout ce qui se passe. A cela s’ajoute un déficit du nombre d’enseignants, accentué par un départ massif à la retraite depuis 2015. Il s’en suivra le recrutement de contractuels qu’on va former à la sauvette. L’urgence a pris le dessus sur la qualité de la formation et la logique politicienne a occulté le bon sens. Cette mauvaise formation (d’un point de vue académique et d’un point de vue psychopédagogique) explique amplement l’inaptitude des professeurs à gérer leurs classes et maîtriser les élèves indisciplinés, ainsi qu’à enseigner un contenu de qualité. Par rapport à ce dernier point, le curriculum scolaire actuellement dispensé appelle une refonte pour en extraire tout ce qui incite à la violence d’abord (une pensée particulière pour les contenus confessionnels). Ensuite, il est besoin d’y inclure un module transversal de droits humains et d’éducation civique, et enfin le mettre au diapason des progrès scientifiques. Il convient surtout d’adapter le programme aux besoins du marché du travail, et de développer la culture de l’entreprenariat.
Par ailleurs, nous pensons aussi à la nécessité de la programmation d’activités parascolaires permettant aux adolescents de canaliser leur énergie et de développer leur créativité. Et enfin, la mise en place d’un cadre institutionnel approprié est impérative pour traiter la violence avant qu’elle ne s’inscrive sur un registre criminel, et ce par le biais de cellules d’écoute et de médiation au sein des établissements scolaires pour recevoir les plaintes des élèves et des enseignants, et constituer un canal de communication permettant l’intervention de l’administration et des parents.
A l’image (un peu) d’un Etat de droit où la construction démocratique implique que personne n’impose sa propre logique et que c’est le droit qui prône, l’école devrait cesser d’être une zone de non droit où la porte serait ouverte à tous les abus. Des institutions (au sein de l’institution éducative) doivent permettre la bonne marche des relations interpersonnelles dans son enceinte.
Asmaâ Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc).