Les résultats du recensement 2024 au Maroc révèlent une situation préoccupante pour la langue amazighe : seuls 24,8% des Marocains la pratiquent, avec un taux encore plus faible en milieu urbain. Ces chiffres, contestés par l’Assemblée Mondiale Amazighe qui dénonce des « falsifications », soulèvent un débat sur l’efficacité des politiques linguistiques depuis la reconnaissance officielle de l’amazigh en 2011. Face à cette situation, l’exemple de l’Algérie voisine, où des mesures concrètes ont été mises en place, pourrait offrir des pistes de solutions.
Le Haut-Commissaire au Plan, Chakib Benmoussa, a récemment présenté les résultats du recensement général de la population et de l’habitat pour l’année 2024. Parmi les chiffres dévoilés, l’état des lieux de la langue amazighe au Maroc suscite une vive polémique.
Seulement 24,8 % des Marocains parleraient une des trois variantes de l’amazigh : 14,2 % le « Tachelhit », 7,4 % le « Tamazight » et 3,2 % le « Tarifit ». En milieu urbain, le taux chute à 19,9 % contre 33,3 % en milieu rural. Plus alarmant encore, seuls 1,5 % des Marocains savent lire et écrire en alphabet tifinagh.
Ces chiffres officiels ont été fermement contestés par l’Assemblée Mondiale Amazighe (AMA), dirigée par Rachid Raha. L’organisation dénonce des « falsifications » qui auraient déjà été pratiquées lors des recensements de 2004 et 2014. Elle pointe du doigt une « marginalisation et une exclusion systématiques » de la langue amazighe dans le processus même du recensement, décrivant un questionnaire partial qui ne tient pas compte des langues maternelles.
Un historique de la marginalisation linguistique
La langue amazighe, reconnue comme langue officielle par la Constitution marocaine en 2011, a longtemps été reléguée au second plan. Avant cette reconnaissance, l’enseignement et l’administration n’accordaient qu’une place très restreinte aux langues berbères, les confinant souvent à la sphère familiale et rurale.
L’école marocaine, censée jouer un rôle dans la préservation de cette langue, peine à remplir cette mission. Depuis l’annonce en 2003 de l’introduction de l’enseignement de l’amazigh, les initiatives se sont multipliées sans réels résultats. Le manque de formateurs qualifiés, le déficit de matériels didactiques et une volonté politique jugée insuffisante expliquent ce retard.
Une comparaison éclairante avec l’Algérie
La situation contraste avec celle de l’Algérie voisine, où des avancées significatives ont été réalisées. Depuis la reconnaissance de l’amazigh comme langue officielle en 2016, l’Algérie a mis en place des structures institutionnelles concrètes. Le Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA), créé dès 1995, joue un rôle actif dans la promotion de la langue. L’enseignement du tamazight est devenu obligatoire dans les régions amazighophones, et une chaîne de télévision publique en tamazight diffuse depuis 2009. Cette approche plus structurée, bien qu’imparfaite, offre des pistes de réflexion pour le Maroc.
L’Assemblée Mondiale Amazighe critique vivement le processus de recensement 2024, soulignant des « irrégularités notables ». Selon l’AMA, le questionnaire court utilisé (20 % de l’échantillon) écarte les langues maternelles, tandis que le questionnaire long (80 %) les marginalise complètement. Cette méthode est en contradiction avec les recommandations des Nations Unies, qui préconisent une étude approfondie des langues maternelles et des compétences linguistiques.
Un déclin préoccupant
Les résultats du recensement de 2024 mettent en évidence une tendance à la baisse de l’usage de la langue amazighe, particulièrement en milieu urbain. Cette réalité soulève des questions sur l’efficacité des politiques éducatives et culturelles. Malgré son statut de langue officielle, l’amazigh continue de lutter pour trouver sa place dans l’enseignement, les médias et l’administration.
Rachid Raha et l’Assemblée Mondiale Amazighe demandent le retrait des chiffres avancés par le Haut-Commissariat au Plan et plaident pour une politique linguistique claire et volontariste. Ils réclament un engagement fort pour la promotion et la protection de la langue amazighe, à égalité avec l’arabe.
« La langue amazighe est un patrimoine commun à tous les Marocains. Son déclin est le signe d’un échec collectif que l’État se doit de rectifier », conclut Rachid Raha.
Le débat autour du recensement de 2024 révèle une fois de plus les fractures linguistiques et culturelles au Maroc. Une prise de conscience politique semble plus que jamais nécessaire pour sauvegarder l’héritage amazigh, et l’exemple algérien pourrait servir de source d’inspiration pour certaines initiatives institutionnelles.