Abdelilah Benkirane, le Premier ministre marocain, qui avait récemment remis en cause le Makhzen, l’entourage du roi, est revenu sur ses propos. Par ailleurs, le nouveau cahier des charges de la télévision publique présenté par le ministre de la Communication, Mustapha El Khalfi, et qui avait conduit aux sorties médiatiques des responsables de la chaîne 2M, est en cours de révision. Parti vainqueur, le PJD de Benkirane ne digère pas la défaite de Mustapha El Khalfi. Florilège.
Mea culpa. Après avoir critiqué le Makhzen, le cabinet occulte du roi Mohammed VI, Abdelilah Benkirane est revenu sur ses déclarations. Il a affirmé, selon Reuters, que ses propos ont été « sortis de leur contexte ». Au cours d’un rassemblement de son parti, Justice et développement (PJD), organisé dimanche 22 avril à Rabat, celui que certains surnomment l’« islamiste de Sa Majesté » avait dénoncé l’existence, au sein même de l’Etat, de « bastions de contrôle sous la domination de personnes dépourvues de titre politique (allusion au Makhzen, ndlr) ». Il avait ajouté que « les rois ne sont pas forcément entourés des bonnes personnes, ils peuvent être entourés d’ennemis qui seront les premiers à les lâcher ».
Abdelilah Benkirane est coutumier de ce genre d’accusations. Mais c’est la première fois qu’il le fait en tant que chef du gouvernement. Du jamais vu dans la monarchie alaouite. Ces « conseillers » du roi qui composent le Makhzen ont été partiellement écartés lors des manifestations au Maroc durant le Printemps arabe, mais ils sont rapidement revenus aux affaires après l’adoption de la nouvelle Constitution. Telle une menace, Benkirane a prévenu que « le Printemps arabe n’est pas encore terminé », qu’ « il est encore là et pourrait bien revenir ».
2M dans le collimateur du PJD
Les récentes déclarations du Premier ministre, qui ont produit l’effet d’une bombe pour le Maroc, intervient suite au vacarme provoqué autour du cahier des charges de l’audiovisuel du ministre « PJDiste » de la Communication, Mustapha El Khalfi. Un véritable tollé médiatique. Une crise sans précédent a alors éclaté entre le ministre et Samira Sitaïl, directrice de l’Information, et le directeur-général de la chaîne, Salim Cheikh, qui ont refusé publiquement de se soumettre aux instructions d’El Khalfi.
Salim Cheikh a dénoncé une atteinte à l’identité de la deuxième chaîne et une tentative de mise sous tutelle du gouvernement. Les professionnels de la chaîne craignent pour leur indépendance éditoriale. Dans une interview accordée à L’économiste, le patron de 2M a stigmatisé une décision politique qui aura un impact « financier, logistique et organisationnel, voire une baisse d’audience. Une hausse du coût de la grille des programmes, de la masse salariale et des investissements. Dans une logique de bonne gouvernance, ces points auraient dû être évalués avant l’adoption du cahier des charges ». Ce qui déplaît dans ces nouveaux cahiers des charges, c’est leurs côtés « dirigistes et interventionnistes », a affirmé Salim Cheikh. « Ce n’est pas un cahier des charges mais une grille de programmes », dénonce-t-il.
Le coup de grâce est tombé dimanche 22 avril. Mohammed VI a reçu en audience royale Benkirane et El Khalfi pour une réunion qui portait sur ces nouveaux cahiers des charges. Des journaux ont annoncé le retrait des documents à l’origine de la polémique. Mustapaha El Khalfi aurait donc été invité à revoir ses copies.
Les arguments du ministère
Côté PJD, on estime que les chaînes nationales se sont quelque peu éloignées du « droit chemin ». Mustapha El Khalfi entendait remettre de l’ordre avec deux réformes : l’interdiction programmée des publicités pour les jeux de hasard, une manne financière de 27 millions de dirham (2,5 millions d’euros) dont serait privée 2M, et l’arabisation des chaînes marocaines. Les programmes de la première chaîne doivent être à 80% en arabe. Quant à 2M, plus francophone, son journal de 20 heures 45, présenté en langue française, doit être reporté à une heure plus tardive, selon le ministre.
Autre chose, l’obligation pour les deux chaînes de diffuser quotidiennement les cinq appels à la prière et d’augmenter de 52 minutes les programmes religieux hebdomadaires. Le ministre des Sports, Mohamed Ouzzine, a rappelé à Mustapha El Khalfi qu’il était « un ministre de la Communication et non un mufti ou un fqih (spécialiste de la religion, ndlr) qui interdit et autorise », rapporte Al Massae. Le roi aurait signifié aux dirigeants islamistes que les réformes ne devaient pas porter atteinte à la pluralité linguistique du royaume.
La boucle est bouclée
Après quinze jours de ténacité, les directeurs du pôle public ont vraisemblablement remporté la bataille. « C’est une défaite cinglante que vient de subir le gouvernement d’Abdelilah Benkirane », se délecte un ancien ministre de l’USFP (Union socialiste des forces populaires), rapporte Maghreb Intelligence. Abdelilah Benkirane accuse le coup. C’est justement au cours de cette journée d’étude du 22 avril que le Premier ministre s’en est pris à l’entourage du roi. Il pense que le Makhzen est derrière tout ce tapage médiatique. Les attaques de Benkirane contre le Makhzen ont sérieusement agacé le palais, explique cette même source de l’USFP. Alors qu’il n’avait pas l’intention de s’immiscer dans un débat entre les professionnels du secteur audiovisuel et leur ministre de tutelle, Mohammed VI a été contraint de convoquer cette audience royale en présence de Benkirane, d’El Khalfi et du ministre d’Etat, Abdallah Baha, éminence grise du Premier ministre.
A la sortie de l’audience, le chef du gouvernement s’était alors empressé de faire son mea culpa. Il avait également pris le contre-pied de ce qu’avait déclaré Abdelali Hamieddine, membre influent du PJD. Celui-ci avait affirmé que Abdelilah Benkirane a « pressenti derrière les sorties médiatiques des responsables du pôle public, le feu vert de cercles influents (allusion au Makhzen, ndlr) ». Le Premier ministre a fini par indiquer que le nouveau cahier des charges allait être revu. De toute manière, le communiqué publié mardi dernier à l’issue du Conseil d’administration de la SOREAD 2M a été on ne peut plus clair sur le résultat de la confrontation. Rédigé en français et non en arabe, le ton donné dans le communiqué a démontré que le pugilat a tourné en faveur de la direction de 2M : « il a été pris note des dispositions prises par SOREAD 2M pour la mise en œuvre des cahiers des charges ». « Une formule lapidaire qui sonne comme un désaveu pour El Khalfi », selon Maghreb Intelligence.
Aujourd’hui, le PJD menace de descendre dans la rue pour « défendre la constitution ». Quant à Mustapha El Khalfi, il ne démissionnera pas. C’est ce qu’il a déclaré ce vendredi à la chambre basse du Parlement marocain. Pourtant, il y a encore quelques jours, celui-ci criait haut et fort son intention de quitter le gouvernement si 2M n’appliquait pas son cahier des charges.
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