Au Ghana, des hommes d’église et des familles empêchent l’union de deux personnes porteuses du gène de la drépanocytose. Parce qu’avoir cette maladie génétique du sang est une honte et une tare, il n’est pas question de transmettre à un enfant qui « appartiendra » aux deux cercles familiaux. Explications du professeur Kwaku Ohene-Frempong, rencontré lors des états généraux de la drépanocytose de Brazzaville (Congo).
De Brazzaville
Cacher son anomalie génétique ou, en cas de doute, ne pas se faire dépister pour pouvoir se marier sereinement. C’est le choix que font certains drépanocytaires africains, conscients que leur maladie reste honteuse et fortement stigmatisée sur le continent. Au Ghana, des hommes d’église refusent, illégalement, d’unir deux personnes porteuses du gène de la drépanocytose. Des familles se renseignent quant à elles pour savoir si le sang d’un prétendant est « normal ». De quoi rappeler la façon dont sont parfois traités les sidéens. Précisions du professeur ghanéen Kwaku Ohene-Frempong exerçant à l’Hôpital pour enfants de Philadelphie (Etats-Unis) et rencontré lors des états généraux de la drépanocytose de Brazzaville (Congo, du 14 au 17 juin 2005).
Afrik.com : Le dépistage de la drépanocytose est-il pratiqué avant le mariage en Afrique ?
Kwaku Ohene-Frempong : Pour ceux qui veulent se marier ou qui sont mariés et songent à avoir des enfants, il n’y a pas vraiment de dépistage organisé. Au Ghana, certaines églises demandent aux jeunes qui veulent se marier de montrer des résultats de dépistage de la drépanocytose. Cela peut sembler être une bonne initiative, mais des églises refusent d’unir des jeunes gens s’ils sont AS (porteurs du gène malade, mais ne développant aucun symptôme clinique, ndlr). C’est terrible, à mon avis, mais les églises ont instauré cette règle.
Afrik.com : Que fait le gouvernement ghanéen concernant cette action ?
Kwaku Ohene-Frempong : Le gouvernement leur a dit que c’est illégal, mais elles le font quand même. Et quelques églises appliquent si bien leur règle que le pasteur se rend au laboratoire avec le couple pour s’assurer que c’est bien leur sang qui a été testé, parce qu’il ne leur fait pas confiance. Il se dit qu’ils ont peut-être trouvé quelqu’un qui est AA (non porteur du gène, ndlr) pour faire l’examen à leur place. Cela fait du couple un criminel. Et les gens n’ont pas le choix dans cette affaire parce que l’Homme de Dieu de l’église à laquelle ils se rendent a dit : « Je ne vous marie pas si vous êtes tous les deux AS ».
Afrik.com : Les couples acceptent donc de se séparer ?
Kwaku Ohene-Frempong : Beaucoup décident de ne pas se marier parce qu’ils suivent l’église. La plupart se dit : « L’église dit qu’on ne peut pas me marier. OK. Nous voulons servir Dieu dans cette église, alors… ». C’est vraiment horrible, mais la plupart des églises chrétiennes deviennent très puissantes en Afrique et elles contrôlent la vie de beaucoup de gens. Surtout les jeunes âgés entre vingt et trente ans. Beaucoup vont à l’église trois ou quatre fois par semaine, la nuit. Ils y passent tout leur temps. L’unité sociale dépend donc d’elle, ce qui explique pourquoi les gens sont effrayés de faire quelque chose qui va lui déplaire. Toutefois, dans les trois études menées à Koumassi (Ghana) dans le cadre de la future construction de centres de dépistage et de conseil, près de 75% des gens disent que la décision d’avoir un bébé, si les deux membres du couple sont AS, doit être faite par le couple. Pas par les médecins, l’église ou le gouvernement. Quelques couples comprennent d’ailleurs que ce si l’église leur demande de se séparer parce qu’ils sont tous deux porteurs du gène, ce n’est pas bon. Ils la quittent donc et se marient de façon traditionnelle.
Afrik.com : La religion prend donc le pas sur la science ?
Kwaku Ohene-Frempong : Cela vient d’un problème d’éducation car, même s’ils savent que c’est génétique, beaucoup de gens qui vivent avec la maladie se disent qu’ils sont drépanocytaires parce que Dieu les a puni ou qu’un sort a été jeté sur leur famille. Ils se disent : « J’avais une chance d’avoir un enfant AA, AS ou SS (la forme la plus grave de la maladie, ndlr), mais il est SS. Donc, c’est que quelque chose de mauvais s’est passé et que j’ai été puni ». L’un de nos plus grands défis, en tant que scientifiques, est d’expliquer aux gens l’histoire génétique de la drépanocytose d’une telle manière que les croyants ne pensent pas que la science et Dieu sont antinomiques. Si un croyant pense que Dieu a créé les humains, il a doit comprendre qu’il a aussi créé ses gènes. Il doit également savoir que si un gène est défectueux, c’est parce qu’il en a hérité. C’est parce que les gens ont peu d’éducation scientifique, ils rendent tout spirituel.
Afrik.com : La stigmatisation de la drépanocytose par l’église rappelle un peu celle du sida…
Kwaku Ohene-Frempong : C’est tout à fait vrai. L’église fait la même chose avec le sida. Elle refuse de marier des personnes qui en sont malades. J’ai par ailleurs appris en mars, lorsque j’étais au Ghana, que lorsqu’un couple veut se marier et que l’église l’envoie faire un dépistage, si l’un des deux membres est séropositif, le couple explique qu’ils sont drépanocytaires et que c’est pour ça que l’église n’a pas voulu les marier. Pour eux, c’est plus acceptable de dire qu’ils sont drépanocytaires que de dire qu’ils sont séropositifs. La drépanocytose est devenue une couverture pour le sida.
Afrik.com : En plus de l’église, certaines familles cherchent à « démasquer » les « drépanocytaires », notamment lorsqu’il est question de mariage…
Kwaku Ohene-Frempong : Au Ghana, dans le mariage traditionnel, si un jeune homme et une femme veulent se marier, l’homme ou sa famille doit d’abord aller chez la famille de la femme pour obtenir la permission de demander la main de la fille. Les parents de cette dernière se donnent alors un temps de réflexion, pendant lequel ils essayent de trouver autant d’informations qu’ils peuvent sur la famille de l’homme : « Y a-t-il des criminels ? Des antécédents de maladie mentale ou d’autres maladies ? » Donc s’ils découvrent, par exemple, que la drépanocytose est courante dans la famille de l’homme, ils renverront un message à ses proches expliquant qu’ils le remercient de sa requête mais qu’ils ne sont pas intéressés. Et qu’il n’a donc pas leur permission pour venir demander la main de leur fille.
Afrik.com : Le dépistage peut donc faire des drépanocytaire des parias de l’amour ?
Kwaku Ohene-Frempong : En dépistant, il faut s’assurer de protéger la femme parce que, pour un homme, c’est facile : il ira chercher une autre femme. Mais les choses sont différentes pour une femme une fois qu’elle est stigmatisée. Si elle se mettait à chercher un homme qui n’a pas la drépanocytose, elle se vendrait comme quelqu’un qui a été rejetée et qui pense qu’elle n’est pas bonne à marier. La situation est vraiment plus difficile à gérer pour les femmes. Il faut faire attention à ne pas en faire des victimes de l’information génétique. C’est pourquoi nous garderons les informations très confidentiellement lorsque nous établirons au Ghana des centres de dépistage et de conseil. L’église, le gouvernement et même les docteurs ne pourront pas y accéder, sauf si la personne dépistée donne son accord. Sinon, les femmes refuseront de se faire dépister.
Afrik.com : Pensez-vous que des femmes refusent déjà de le faire ?
Kwaku Ohene-Frempong : Oh oui, parce qu’elles ont peur. C’est pourquoi quand elles ont un bébé malade, elles gardent le secret. Dans notre clinique de Koumassi, nous avons 40% de cas où, dans un couple où le père et la mère sont porteurs du gène malade et ont eu un enfant drépanocytaire, le père est parti en disant : « Tu m’a donné des enfants malades, alors je vais trouver une autre femme ». Mais la femme qu’ils ont laissé avec un enfant drépanocytaire, qui va-t-elle trouver pour l’épouser ? Parce que maintenant elle porte le label. Certains pères trouvent de leur côté une autre femme AS et reviennent à la clinique avec un autre enfant SS et ce n’est qu’à ce moment qu’ils commencent à croire qu’ils y sont peut-être pour quelque chose. La première fois ils pensent que non. Ils pensent : « C’est la faute de la femme, qui a porté l’enfant pendant neuf mois. Moi, je ne suis pas malade ».
Afrik.com : La famille peut-elle jouer un rôle pour soutenir les drépanocytaires, en couple ou en âge de se marier ?
Kwaku Ohene-Frempong : Nous devons nous assurer de la protection des femmes et que leur famille les supporte. Lorsque nous avons fait l’étude à Koumassi, nous avons trouvé que la plupart des gens voulaient, en plus de recevoir de l’information concernant leur maladie, que leur famille soit au courant. Parce qu’au Ghana, le mariage concerne le couple, mais aussi les familles, qui doivent donner leur permission et sont témoins de l’événement. S’il y a un problème, les parents des mariés se rencontrent et en discutent. Les familles doivent être au courant de ce qu’est la maladie pour soutenir le couple dans les moments difficiles. C’est pourquoi dans les centres, si les couples souhaitent que nous informions leurs proches, nous leur demanderons de les faire venir à une autre session. Ce procédé nous permettra d’aider les couples à rester ensemble.
Afrik.com : Ne pas se faire dépister peut avoir de graves conséquences, tout comme le fait de faire les examens nécessaires. Au final, est-ce bon de dépister ?
Kwaku Ohene-Frempong : En tant que scientifique médical, je dirai que chaque fois que l’on peut obtenir une information qui peut donner la santé à quelqu’un, c’est le plus important. C’est à cause de l’ignorance que les gens veulent cacher les informations. Le dépistage est nécessaire pour que les gens soient informés et décident de ce qu’ils doivent faire. C’est terrible quand une femme a un bébé et que vous lui apprenez qu’il a la drépanocytose et qu’elle vous répond : « Qu’est-ce que c’est ? Je ne savais pas que j’avais cette maladie ! ». C’est beaucoup mieux pour la femme de savoir la vérité et de juger de si elle peut avoir un enfant. Si elle en a un et qu’il est malade, alors nous avons des traitements médicaux. La drépanocytose n’est pas une maladie où il n’y a pas de traitement.