Marie-Madeleine Mbourantsuo : « Le Gabon a encore beaucoup à faire dans la formation de son élite »


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Présidente de la Cour constitutionnelle depuis 1991, Marie-Madeleine
Mbourantsuo est à l’initiative de l’introduction de la technique biométrique dans le processus électoral gabonais. Elle est connue pour son intransigeance dans l’application de loi. Après moult tractations, elle a accepté d’accorder une interview exclusive à Afrik.com pour évoquer l’évolution du système électoral de son pays grâce à l’introduction de la biométrie. Rencontre avec une femme qui n’a pas froid aux yeux.

C’est dans un tailleur rose et noir que la présidente de la Cour constitutionnelle s’est présentée à nous au siège de l’institution , à Libreville. Poignée de mains ferme. Mais celle qui a été une ex-miss de sa province d’origine (Haut-Ogooué) a conservé une démarche très raffinée du haut de ses escarpins noirs. Bientôt sexagénaire, arborant toujours un brushing impeccable, elle en parait beaucoup moins. Et lorsqu’elle commence à raconter ses ambitions pour le renforcement de l’Etat de droit au Gabon, elle peut en parler durant des heures. Sans se lasser. Comme elle aime dire :  » L’amour de la nation passe avant tout ». L’un de ses objectif est de voir son pays devenir un modèle de démocratie dans la sous-région d’Afrique centrale. Elle rappelle d’ailleurs que l’institution qu’elle dirige vient d’annuler, suite aux nombreux recours, les résultats des élections municipales du 14 décembre 2013 dans quatre localités où le parti au pouvoir était en tête. Une manière pour celle qu’on surnomme aussi la  »dame de fer » de prouver aux yeux du monde qu’au Gabon la loi s’impose à tous, y compris aux responsables politiques du parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir).

Afrik.com : Le Gabon vient d’expérimenter l’utilisation de la biométrie dans le processus électoral. Un pari osé qui était loin d’être gagné au début. En quoi cette nouvelle technologie a changé le système électoral gabonais?

Marie-Madeline Mbourantsuo :
Les textes organisant les élections au Gabon sont performants. Depuis l’avènement du multipartisme, le Gabon essaye à chaque consultation électorale de corriger les insuffisances à l’occasion des élections. La Cour constitutionnelle en place depuis 1991 essaie d’accompagner les pouvoirs publics mais également les politiques dans la consolidation de tout ce qui concerne les procédures électorales. D’année en année, la Cour a toujours attiré l’attention des politiques pour renforcer la démocratie dans notre pays. L’un des points forts de la démocratie, c’est le respect de la souveraineté nationale qui appartient au peuple, qui s’exprime par le vote pour la faire valoir. La Cour constitutionnelle a apporté des outils au système électoral gabonais pour parvenir à des élections dont les résultats sont les moins contestés possibles.

Afrik.com : Ces contentieux vous ont-ils poussée à mettre en place le système biométrique ?

Marie-Mmadeleine Mbourantsuo :
On avait constaté que chaque contestation donnait lieu à des contentieux que les hommes politiques appelaient : « la manipulation de la liste électorale ». Sur une cinquantaine de recours, une trentaine était basée sur la manipulation électorale. Donc
la fiabilité de la liste électorale était en jeu à chaque élection. Il fallait trouver un moyen de réduire ces contentieux sur l’amorce de la liste électorale qui est un élément fondamentale par rapport à la sincérité du scrutin. Les acteurs politiques, en 2006, s’étaient convenus autour du Président Omar Bongo Ondimba d’utiliser la technique de la biométrie pour fiabiliser la liste électorale. Ils avaient retenu l’application de la biométrie dans le processus électoral. Mais cette décision prise de manière collégiale par les acteurs politiques n’avait pas été mise en œuvre. Il y avait quelques
freins ici et là. Nous avons emmené les pouvoirs publics à ne pas reculer et à aller de l’avant.

Afrik.com : concrètement en combien de temps avez-vous mis en place le
système de la biométrie dans le processus électoral?

Marie-Madeleine Mbourantsuo :
L’introduction de la biométrie dans le processus électoral a été faite en moins de deux ans au Gabon. Je dirai même en un an. Le gouvernement, par l’action du ministère de l’Intérieur, a réussi à recenser et enrôler les électeurs et mis en place des fichiers
électoraux fiables en un laps de temps, alors que sur d’autres cieux, on attend cinq ans pour réaliser la même opération, voir 10 ans. La Cour
constitutionnelle qui, après chaque élection se charge d’examiner le contentieux électoral, avait elle aussi estimé qu’il fallait soutenir cette décision du Président Ali Bongo Ondimba pour aboutir au mécanisme de l’utilisation de la biométrie dans le processus électoral. Nous avons mis à la disposition des instances habilitées à organiser les élections et à mettre en œuvre les listes électorales des moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre de la biométrie dans le processus électoral. Résultat : sur une centaine de recours examinés par la Cour suite au scrutin du 14 décembre 2013, à peine deux ont été examinés pour cause de non fiabilité de la liste électorale, contrairement au passé où de nombreux recours étaient liés à la non-fiabilité de la liste électorale.

Afrik.com : Malgré l’utilisation de la biométrie, il y a toujours des
contentieux, des personnes qui crient à la fraude. Quels sont les défis que le Gabon doit relever pour améliorer l’organisation des élections ?

Marie-Madeleine Mbourantsuo :
Il y a nécessité pour les pouvoirs publics à emmener les acteurs politiques à former les électeurs, leurs sympathisants et leurs représentants. C’est le grand challenge. Les contentieux, il y en
aura toujours. Il n’y pas d’élections au monde sans contentieux électoral. Même dans les grandes démocraties on a constaté que tout n’était pas facile. Mais cela n’entraîne pas des conséquences fâcheuses, car l’amour pour la patrie et l’amour pour la nation sont déjà ancrés. Dans ces pays-là, celui qui veut saisir la justice pour faire des réclamations renonce finalement à le faire et félicite son adversaire, car la notion est ancrée et existe déjà. Dans nos pays, on n’est pas encore arrivé au niveau de laisser ses préoccupations personnelles pour l’intérêt de la nation. C’est pourquoi nous estimons qu’il est
nécessaire que dans les prochains mois, les pouvoirs publics mettent tout en œuvre pour que les citoyens reçoivent une éducation civique. Même si les textes sont adoptés, ils ne valent rien s’il n’y a pas des personnes pour en faire l’application. Mais pour appliquer les textes encore faut-il connaître les dispositions qui encadrent ces textes-là. Si vous n’avez pas le temps de lire ces textes ou si vous n’avez pas les compétences et dispositions pour les comprendre vous ne pourrez rien en faire ! Voilà pourquoi l’éducation est si importante pour réduire le contentieux électoral.

Afrik.com : Vous venez de vider le contentieux électoral. On sait que le PDG a était mis en cause dans certaines localités. Vous avez pris des décisions fermes. Est ce que vous n’avez pas été mis sous pression dans votre volonté de faire appliquer la loi en âme et conscience ?

Marie-Madeleine Mbourantsuo :
La Cour constitutionnelle rend ses décisions en toute âme et conscience. (Elle semble agacée). Il n y a pas de pression. Les décisions de la Cour s’imposent à tous les pouvoirs à toutes les personnes publiques, et à toutes les autorités administratives ou civiles. Pourquoi la Cour va-t-elle avoir peur d’annuler dans telle ou telle circonscription électorale ?
Nous avons annulé dans des communes où le Parti démocratique gabonais
(PDG) était largement vainqueur. Même les responsables du PDG étaient
surpris. Ils ont appris en direct que la Cour avait annulé les résultats dans les communes où ils étaient largement en tête. Alors où est la différence ? Il n’y a pas de différence ! J’ai toujours rappelé à mes collègues membres de la Cour que nous devons déposer devant la porte de la Cour tout ce qui pourrait nous emmener à rendre des décisions subjectives. Nous prenons tout notre temps. La Cour fonctionne de façon collégiale à la différence des autres juridictions où il n’y a que deux juges ou parfois un qui décide. A la Cour, la décision est prise par neuf juges quand il s’agit de constitutionnalité et par huit juges pour le contentieux électoral. A aucun moment nous avons été gênés par telle ou telle situation. Donc la Cour n’a subi aucune pression.

Afrik.com : Vous êtes reconnue pour votre rigueur et votre
intransigeance dans l’application de la loi. Pouvez-vous nous décrire la méthode Mbourantsuo ?

Marie-Madeleine Mbourantsuo :
Il n’y a pas de méthode Mbourantsuo. Je crois tout simplement qu’il faut de la rigueur dans le travail, savoir organiser sa vie, savoir tenir un chronogramme. A chaque chose son temps. Il n’est pas question de courir dans tous les sens. Il faut savoir se discipliner.
Donc la méthode Mbourantsuo, non. Il y a tout simplement Mbourantsuo
Marie-Madeleine qui est née dans une famille très pieuse. Mon père catéchiste, presque diacre, nous a élevé selon les principes de la religion catholique. Il fallait être debout à 6 heures du matin du, lundi au vendredi. Les samedis, je devais accompagner mes parents en brousse pour travailler aux champs et le dimanche aller à la messe. J’ai donc reçu une éducation très stricte. Il n’y avait pas de temps à perdre. Il fallait absolument avoir quelque chose à faire. Il y avait des tâches ménagères à faire. Il fallait aussi aller à l’école pour s’instruire et il y avait aussi Dieu, parce que notre père et notre mère nous ont toujours enseigné qu’il n’y avait pas d’autres êtres plus forts et puissants que Dieu. Gérer son temps, c’était la devise à la maison. J’avais très peu de temps pour faire autre chose. J’ai été donc élevée selon les principes du travail dans la rigueur.

Afrik.com : Vous avez été élevée selon la manière forte ?

Marie Madeleine Mbourantsuo :
J’ai été élevée à la manière forte. Mes sœurs ont eu l’éducation de ma mère. Moi, celle de mon père. Ce n’est pas parce que mon père et ma mère étaient séparés. Non ! Mon père voulait que j’aie l’éducation d’un homme. Bien que je sois une femme, je devais dépasser les préjugés. Je ne devais pas me contenter de laver les assiettes ou faire les tâches ménagères à la maison. Mon père m’a demandé aussi bien de laver les assiettes à la maison, de savoir faire mon lit, que de savoir bâtir une maison.
Donc j’ai eu une éducation polyvalente de femme et un peu d’homme.
J’ai essayé d’appliquer ces principes dans ma vie de tous les jours. Je sais à quel moment il faut se lever très tôt le matin pour pouvoir disposer de toute la journée. Et quand je traite un dossier je ne compte pas mon temps. Je ne peux pas compter mon temps, car la Cour constitutionnelle, comme j’ai coutume de le dire, c’est le garde du corps de la maison Gabon et les décisions prises ici s’imposent à tous. Quand il s’agit de dossier qui engage la nation entière, nous nous devons de ne pas regarder nos montres.

Afrik.com : Quand on sait que le Gabon veut se positionner comme un
exemple de démocratie dans la sous-région que reste-t-il à améliorer
dans le corpus législatif du pays?

Marie-Madeleine Mbourantsuo :
Les textes de loi gabonais font partie des meilleurs textes au monde. Tout y est. Au Gabon, l’élection est organisée par tout le monde : l’administration et les acteurs politiques et ce de l’établissement des listes électorales jusqu’aux actions dans les bureaux de vote. Tous les acteurs politiques de la majorité comme de l’opposition sont associés à parité. Or dans les cieux des plus longues traditions démocratiques, l’élection est organisée uniquement par l’administration. Là où le Gabon a encore beaucoup à faire c’est dans la formation des hommes et la formation de son élite. Les acteurs politiques doivent se former. Comment pouvez-vous comprendre que des députés, quelques députés Dieu merci, ce n’est pas la majorité, ignorent comment leur dossier de candidature doit être composé. Et quand ils ont un contentieux électoral ils ne savent même pas comment l’arrêté doit être rédigé. Certains acteurs politiques oublient d’envoyer leur représentant électoral dans les bureaux de vote. Or, si vous n’envoyez pas vos représentants dans les bureaux de vote vous ne pourrez pas avoir assez d’éléments pour vous présenter devant le juge constitutionnel pour défendre votre droit ! Vous venez devant le juge sans aucun élément pour venir dire : « On m’a dit », « J’ai appris », alors que devant le juge, vous devez apporter des preuves ! Donc la formation de l’élite constitue la base de développement de notre pays. C’est la base de la consolidation de l’Etat de droit dans notre pays, qui passe par des élections organisées avec le concours des personnes consciencieuses, sachant exactement quel est leur rôle dans les commissions électorales. Il n’y pas seulement la formation de l’élite politique, mais aussi de l’élite dans le domaine financier, dans le domaine agricole. Dans tout domaine, il faut passer par l’éducation. Et puis, il y a un deuxième élément : c’est l’amour pour le Gabon. Nous les Gabonais nous ne sommes jamais fiers de notre pays.

Afrik.com : c’est-à-dire?

Marie-Madeleine Mbourantsuo :
Il faudrait aussi que le Gabonais sache d’abord aimer son pays. Il faut qu’il laisse d’abord les préoccupations personnelles pour défendre son pays. A l’extérieur, on va vous dire que la Cour doit suivre le procureur de la République, mais on ne vous dira pas que les audiences se sont tenues en direct ! On ne vous dira pas que les avocats sont appelés à défendre leur cause ! On ne vous dira pas que la Cour est ouverte à toute personne physique ou morale ! Au Gabon, même un étranger peut saisir la Cour constitutionnelle. Ce n’est pas le cas ailleurs. Dans certains pays de longue tradition démocratique, les citoyens ne savent même pas où se trouve la porte de leur Conseil constitutionnel ! L’éducation est très importante. D’ailleurs, je suis fondateur d’un établissement scolaire parque je sais que la base de l’homme c’est l’éducation. Il faut aussi consolider la formation universitaire. Ma contribution au développement de ce pays, c’est l’éducation. Je suis d’ailleurs enseignante. Pendant dix ans,
j’ai enseigné à l’université Omar Bongo (UOB). Plusieurs de mes étudiants gèrent aujourd’hui les finances de notre pays. Ma fonction à la Cour qui n’existait pas et qu’il fallait bâtir de toute pièce m’avait ainsi obligée à suspendre l’enseignement.

Afrik.com : Après le décès de l’ancien Président Omar Bongo, il y a eu
comme un flottement au niveau des institutions. Comment avez-vous
permis le respect de la Constitution pour aboutir à des élections qui se sont déroulées dans le calme?

Marie-Madeleine Mbourantsuo :
Après le décès du Président Omar Bongo Odimba, il n’y a pas eu de flottement au niveau des instituions de notre pays. Lorsque le Président est décédé le 8 juin 2009, dès le lendemain, le 9 juin 2009, il y eu un Président par intérim, installé le surlendemain, donc le 10 juin 2009. La Cour constitutionnelle a pris ses responsabilités.
C’est la Cour constitutionnelle qui doit veiller au respect de la Constitution. Juste après le décès du Président, il fallait prendre les choses en main. C’est ce que nous avons fait en organisant la vacance, en complétant les dispositifs de la Constitution qui n’avaient jamais été confrontée à une telle situation. Nous avons fait ce travail parce qu’il fallait éviter au Gabon justement un flottement. Il fallait éviter qu’il y ait un vide à la tête de la
République. C’est une question qui relève de la conscience professionnelle ou plutôt de l’amour de la Nation. Pour veiller à la sécurité de la Nation, nous n’avons pas fait passer nos intérêts personnels ou notre souffrance personnelle devant l’intérêt de notre pays. Nous avons mis tout cela de côté. Nous avons estimé que nous avions un rôle et il fallait le jouer. Nous avons pensé qu’il fallait que le peuple gabonais puisse vivre en paix avec des institutions qui fonctionnent réellement et qu’il fallait que le Gabon soit un pays démocratique avec des institutions fortes et ce rôle, il fallait que
quelqu’un le joue. Nous l’avons joué. Et c’est ainsi que le Gabon, contre toute attente, à la surprise générale, était debout. On n’arrive pas à l’Etat de droit, on chemine vers l’Etat de droit, car le chemin est long.

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