Le point de vue sur Doba d’une députée française qui fut, il y a un an, le rapporteur de la mission d’information parlementaire sur le rôle des compagnies pétrolières dans les relations internationale.
Une administration exsangue qui va à vau-l’eau est incapable de suivre l’exécution correcte et transparente du projet pétrolier au Tchad. C’est la position de Marie-Hélène Aubert, députée française (Verts, Eure-et-Loir) membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et ancien rapporteur de la mission d’information parlementaire sur le » rôle des compagnies pétrolières dans les relations internationales « . Dans l’entretien qu’elle a accordé à Afrik.com, la députée affirme, sans ambages, que les revenus du pétrole ne doivent pas enrichir le clan au pouvoir. Elle insiste beaucoup sur la vigilance des Ong pour que le pétrole tchadien soit géré autrement.
afrik : Comment expliquez-vous la décision de la Banque mondiale, malgré les insuffisances techniques du projet ayant suscité des contestations de la société civile et des Ong ?
Marie-Hélène Aubert : Au regard des dispositions prises par les Etats tchadien et camerounais en faisant adopter des lois par les parlements des deux pays, la Banque mondiale a estimé qu’il était temps de financer le projet pétrolier. De son côté, la Banque a aussi pris des précautions. Mais je pense qu’elles sont très insuffisantes. Aujourd’hui, en dépit des garde-fous, les populations s’inquiètent de l’application effective de ces lois. Sans un Etat de droit, je crois que les revenus du pétrole ne profiteront pas aux populations.
afrik : En clair, vous ne croyez pas à cette loi votée par le parlement tchadien pour garantir la gestion transparente des fonds issus de l’or noir ?
M.-H. A : Là n’est pas la question. Concrètement, il n’existe pas au Tchad une administration capable de suivre le dossier et de s’assurer que cette loi sur le contrôle financier va s’appliquer correctement. Franchement, je ne doute pas du bien fondé de la loi mais de la capacité de l’Etat tchadien à la mettre en oeuvre.
afrik : Les Ong exigent le placement des fonds sous contrôle international alors que le président Idriss Déby, lui, pense que cette question relève de la souveraineté nationale.
M.-H. A : Le président tchadien est un chef d’Etat absent ; son pays est soutenu à bout de bras par la France alors de quelle souveraineté parle t- on ? L’ingérence est permanente au Tchad puisque les représentants de Déby passent beaucoup de temps au Quai d’Orsay (siège de ministère français des Affaires étrangères, NDLR) afin de pouvoir boucler leurs budgets. Ceci dit, si Idriss Déby pouvait mettre en place, de façon démocratique, des moyens de contrôle financiers, la société civile ne trouverait peut-être rien à lui reprocher. Par ailleurs, vous savez, au Tchad, l’administration est exsangue, elle va à vau-l’eau donc incapable de s’occuper de ce projet pétrolier qui est censé apporter des revenus à ce pays. Il est évident, l’exploitation du pétrole va procurer une part importante de recettes au gouvernement tchadien, mais ce sont des ressources susceptibles de détournement. Et il ne faudrait pas que cet argent serve à consolider un pouvoir militaire, ou enrichisse l’entourage du chef de l’Etat.
afrik : Pensez-vous, comme les opposants, qu’il y ait une sorte de « deal » conclu entre la Banque mondiale et les compagnies pétrolières sur le dos du Tchad ?
M.-H. A : L’Etat tchadien est autant victime que coupable dans cette affaire. Lorsqu’un Etat est faible comme celui du Tchad, on peut lui faire n’importe quoi. En clair, les autorités tchadiennes n’ont pas les moyens de résister face à ces compagnies et la Banque mondiale. Or, le Tchad aurait pu négocier ce projet dans des conditions plus favorables, pouvant lui permettre de générer des ressources importantes pour le pays. Ce n’est donc pas le cas, et il se trouve que, dans cette opération, les compagnies pétrolières et la Banque mondiale sont les grands bénéficiaires.
afrik : Vous qui êtes allée sur le site pétrolier de Doba, dites-nous comment les paysans ont jugé leur dédommagement ?
M.-H. A : Des représentants des paysans estiment que l’indemnisation est insuffisante. Au Tchad et au Cameroun, je vous assure que le montant de l’indemnisation est dérisoire. Mais, du côté du groupe pétrolier, on nous dit c’est la première fois qu’il indemnise les gens. Nous leur avons fait comprendre que ce n’est pas la charité, c’est un droit. En plus, il faut souligner que dans cette zone, les Ong éprouvent de réelles difficultés pour travailler et surtout communiquer.
afrik : Les exigences de la société civile et celles du gouvernement tchadien sont-elles irréconciliables ?
M.-H. A : On est dans un conflit d’idées, un débat éminemment politique…Personne ne m’a dit qu’il ne faut pas exploiter le pétrole. Le problème n’est pas à ce niveau. La société civile et les Ong demandent que certaines conditions soient remplies au plan social, environnemental et surtout qu’il y ait une bonne gouvernance. Cela dit, c’est la façon de faire dans ce projet qui est contestée. Nous avons encore des exemples éloquents : du fait de la mal gouvernance ; l’Angola, le Gabon et le Nigeria sont des grands pays pétroliers mais ils ne connaissent pas de bonheur ni de prospérité. Les Ong veillent pour qu’il n’en soit pas ainsi au Tchad.
afrik : Pourtant, l’ancien premier ministre Michel Rocard soutient que, même dans les conditions actuelles, l’exploitation du pétrole constitue une chance pour l’Afrique ?
M.-H. A : Oser prétendre que l’exploitation pétrolière est une chance pour l’Afrique est une erreur grave. En plus de la mal gouvernance qui caractérise ces pays pétroliers, ils sont endettés jusqu’au cou ; les politiques publiques sont contestées et il y a une caste dirigeante qui s’enrichit au détriment de la population. Je me demande si le pétrole est une chance pour le Nigeria ? Je ne crois pas, puisqu’il y a pénurie de carburant et que les gens sont obligées d’aller chercher de l’essence ailleurs. Et comme par miracle, tout se passera autrement au Tchad.