Le royaume chérifien fera-t-il exception aux mouvements révolutionnaires qui secouent les pays arabes ? Quelques jours après le départ de Ben Ali, un appel à manifester contre le gouvernement, lancé sur Facebook par de jeunes marocains, suscite la nervosité des dirigeants.
La fièvre révolutionnaire agite nombre de nations arabes depuis le mois de décembre. Elle s’est traduite par la fuite de Ben Ali et la chute du régime Moubarak, en Tunisie et en Egypte. Les officiels marocains affirment que la situation, chez eux, n’a rien à voir avec celle de ces pays. Une bataille sans merci se livre entre partisans et opposants de la manifestation qui doit avoir lieu dimanche, dans plusieurs villes du pays. Insultes, accusations et menacent de tout genre fusent sur la toile !
Des revendications clairement exprimées
Un groupe Facebook baptisé Tous pour une monarchie parlementaire au Maroc appelle à participer à la manifestation. Ses principales revendications : que le Maroc se dirige vers une «monarchie parlementaire démocratique, une libéralisation totale de la presse et un gouvernement représentatif du peuple». Toutefois, ces Marocains qui protestent sur Internet ne souhaitent pas voir leur roi abandonner son poste, bien au contraire : ils veulent «allier monarchie et démocratie» ! Le Maroc a pour régime politique une monarchie constitutionnelle, et la dynastie Alaouite est l’une des plus anciennes du monde.
Vidéo : la « campagne du 20 février », qui n’est pas officielle et ne circule que sur Internet
Les jeunes contestataires entendent manifester de manière «pacifique». Ils déclarent vouloir exprimer leur «mécontentement face à certains fléaux qui règnent dans le royaume tels que la pauvreté, le chômage ou encore la corruption». L’élite financière, politique et administrative du royaume a bon nombre d’avantages, comme celui d’être «intouchable» en cas de problème avec la justice par exemple… Et de cet état de fait, les classes moyenne et modeste « en ont marre! », selon les commentaires que l’on peut lire sur leur page…
D’après le site internet Yabiladi, pas moins d’une vingtaine d’associations de défense des droits de l’homme, dont, entre autres, la Ligue marocaine pour la défense des droits de l’homme et Amnesty International – Maroc, apporteront leur soutien aux organisateurs de la marche. Dans le communiqué, elles appellent le gouvernement à respecter la volonté des citoyens de vouloir manifester et de leur garantir le droit d’exprimer leurs aspirations. Les associations signataires du communiqué, envoyé à Yabiladi, demandent aussi la réforme de la constitution marocaine qui, selon elles, doit évoluer vers une «constitution démocratique» consacrant la «fondation d’un Etat de droit» dans le royaume.
Vidéo: une conférence de presse regroupant membres d’associations et étudiants le 17 février 2011 à Rabat
« Les Anti 20 février »
L’appel pour la marche du 20 février a suscité de nombreuses réactions hostiles. Parmi elles, le groupe Facebook La marche d’amour créé par de jeunes étudiants, informaticiens et producteurs. A l’origine, cette page servait à informer pour une première marche qui devait être organisée le 14 février 2011, jour de la Saint Valentin, dont le principal message n’était ni plus ni moins que : «J’aime mon roi et mon pays». Mais la période étant sensible et «pour ne pas permettre aux ennemies de notre pays de s’infiltrer dans la foule pour créer des perturbations», l’évènement a été annulé, déclarent les créateurs du groupe. «La marche d’amour» est devenue virtuelle et a été célébrée sur Facebook. Le principe était que, ce jour-là, tous les adhérents du groupe troquent la photo de leur profil contre celle du Roi du Maroc.
L’opinion des ministres Sur sa page officielle Facebook, Moncef Belkhayat, ministre de la Jeunesse et des Sports, affiche clairement sa position concernant cette marche du 20 février, et voilà ce qu’on peut y lire : «Ma position personnelle, en tant que citoyen marocain qui habite à Casablanca et non pas à Paris ou Barcelone, est que cette marche est aujourd’hui manipulée par le Polisario qui a comme objectif de l’instrumentaliser pour créer des affrontements dans le but de fragiliser la position de notre pays aux Nations Unies concernant la problématique des Droits de l’Homme au Sahara.» Khalid Naciri, Ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, plus serein, tente de minimiser la situation en affirmant que le Maroc «est engagé depuis longtemps dans un processus irréversible de démocratie et d’ouverture de l’espace des libertés». D’après Maghreb Emergent, il a aussi indiqué que «Les citoyens peuvent s’exprimer librement (…) tant que cela se déroule dans le plein respect des intérêts vitaux». Dans le quotidien Le Monde, M. Naciri soutient que le Maroc est une démocratie qui respecte les droits de l’Homme, les libertés publiques et individuelles, la liberté d’expression, ainsi que les droits des minorités ethniques, sexuelles et religieuses. |
Ces derniers jours, les Marocains ont envahi Facebook. Selon Check Facebook, spécialisé en mesure d’audience, 130 380 Marocains auraient adhéré au réseau social américain en une semaine. Le royaume comptait 2,5 millions d’abonnés fin 2010, aujourd’hui il sont 3 millions.
Point faible de la politique gouvernementale
Le porte-parole du gouvernement a annoncé des rounds de négociations avec les centrales syndicales, notamment autour des questions salariales et des statuts particuliers de certaines professions. Mais un point faible du gouvernement reste le dossier des « diplômés-chômeurs » : 20% des diplômés sont sans emploi. Cela fait plus de cinq ans maintenant que l’association des diplômés-chômeurs organise en moyenne une manifestation par jour. Le phénomène « Mohamed Bouazizi », auquel le royaume n’a pas échappé (quelques tentatives d’immolation ont eu lieu ces dernières semaines), inquiète. Et la question du chômage préoccupe désormais le gouvernement qui, d’ailleurs, a interdit aux stations services de vendre de l’essence à toute personne non véhiculée.
D’après un rapport de la CIA, cité par le quotidien londonien Al Hayat, le Maroc fait partie des pays arabes qui ne connaîtront pas de révolutions sociales. Le royaume a été classé dans la même catégorie que les monarchies pétrolières du Golfe. Mais il prend néanmoins au sérieux l’appel à manifester.
Les protestataires arriveront-ils à mobiliser? Parviendront-ils à mener à bien leur cette marche sans se heurter aux contre-révolutionnaires? Seront-ils entendus par le pouvoir ? L’idée d’une monarchie évoluant vers le modèle britannique est-elle envisageable? Autant de questions qui demeurent en suspens.