De nombreux observateurs louent la bonne santé de l’économie ivoirienne dont la croissance est d’environ 8%.? Mais le pays, dont la Présidentielle s’est tenue dimanche, est toujours très fragile sur le plan politique d’autant que les plaies de la crise post-électorale ivoirienne de 2010 2011 sont toujours béantes. Tous ces problèmes non résolus ne remettent-ils pas en cause la bonne santé de l’économie ivoirienne ? Marc Wabi, associé responsable, du cabinet de conseil Deloitte Côte d’Ivoire, nous éclaire sur la question.
Marc Wabi est responsable associé de Deloitte Côte d’Ivoire d’Ivoire depuis juillet 2015. Agé de 39 ans, l’expert-comptable ivoirien, diplômé de l’Ecole des arts et métiers de Paris et de l’Ecole de gestion de l’université de Toulouse, est l’un des principaux observateurs de l’économie ivoirienne. Les comptes de la Banque nationale d’investissement (BNI), ainsi que les flux financiers des secteurs du café et du cacao, ou encore les engagements du projet d’assistance post-conflit financé par la Banque mondiale sont passés sous sa loupe. C’est aussi son équipe qui a procédé dernièrement au recrutement des dirigeants de de la Radio Télévision ivoirienne (RTI), de la Société nationale de développement informatique (SNDI), et du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI).
AFRIK.COM : Quels? sont les indicateurs qui vous permettent d’affirmer ?que l’économie ivoirienne est en ?bonne santé? ??
Marc Wabi : ?Pour répondre à cette question, il faut analyser la situation macro-économique de la Côte d’Ivoire, dont l’évolution du PIB a connu un accroissement de plus de 9% en moyenne durant les trois dernières années. Le PIB s’accroît chaque année dans un environnement très peu inflationniste (moins de 2%) ; ce qui est très bien. D’autant plus que le taux de croissance démographique est autour de moins de 3%. Tout cela montre que les agrégats économiques de la Côte d’Ivoire sont au beau fixe. Toutefois, si on constate que la situation économique est bonne, ce n’est pas le cas de la situation politique qui reste encore fragile. Les différents acteurs politiques qui s’opposaient n’ont pas encore réellement fait la paix. La recherche de la cohésion sociale reste encore un objectif majeur des prochaines années.
Les investisseurs semblent très enclin à investir en Côte d’Ivoire. Ne craignent-ils pas que la situation dégénère et fasse tomber tous leurs plans à l’eau ?
?Pour mesurer l’engouement des investisseurs en Côte d’Ivoire, il faut analyser l’évolution des investissements directs étrangers. On constate que depuis ces trois dernières années, les investissements directs étrangers n’ont cessé de croître en Côte d’Ivoire. Cet engouement ne signifie pas que les investisseurs ne sont pas conscients des risques dans le pays, mais leur propre analyse de la situation leur permet d’estimer les avantages qu’ils ont à y investir. ?La persistance des aléas politiques dans le pays, comme dans bon nombre de pays africains, n’a en tous cas pas démotivé les investisseurs. Ils analysent la pertinence de leur décision également en fonction de la concrétisation des projets et promesses faites par les acteurs politiques et premièrement par le Gouvernement. D’autant qu’ils estiment que le dialogue politique est quelque chose de primordial pour la protection de leurs investissements. Le Gouvernement et les acteurs politiques doivent donner l’assurance aux investisseurs que leurs actions dans les prochaines années ne vont pas mettre en péril leurs investissements. C’est à cette condition qu’ils continueront d’investir en Côte d’Ivoire, aussi fortement qu’ils l’ont fait ces trois dernières années.
?Quels sont les secteurs les plus porteurs en Côte d’Ivoire ??
?Les investissements sont majoritairement effectués dans le secteur des infrastructures où plusieurs milliards de dollars ont été et devront encore être investis pour finaliser la réhabilitation des infrastructures économiques du pays, lourdement amputées par la dernière crise. Le secteur minier est aussi très actif au regard du nombre important de permis d’exploitation qui ont été délivrés, ces trois dernières années, alors que pendant très longtemps, la Côte d’Ivoire avait fait le choix de ne pas exploiter ses richesses minières. Le secteur tertiaire reste aussi très dynamique, notamment celui de la distribution où plusieurs entreprises françaises investissent, sans oublier le secteur des télécoms et de l’agriculture. Les investissements dans le secteur agricole ont toujours constitué une part importante des investissements réalisés en Côte d’Ivoire et devraient continuer de s’accroître. La modernisation des pratiques agricoles cumulée avec la transformation des matières premières représentent des opportunités intéressantes pour les investisseurs étrangers.
Selon-vous, quelles sont les failles de l’économie ivoirienne ?
?Je dirai plutôt quels sont les secteurs qui évoluent moins bien que ceux dont je viens de vous parler. Mieux, quelles sont les attentes qui n’ont pas encore été couvertes par cette évolution favorable de l’économie ivoirienne, observée ces trois dernières années. Il faut en effet observer que les populations attendent, et cela de façon urgente, une réduction du coût de la vie ou du moins une baisse du coût du panier de la ménagère et des frais de transport (surtout que le prix du carburant ne cesse de baisser en ce moment). Maintenant, que le gouvernement a bien pris en compte l’urgence de la réhabilitation des infrastructures, il faudra s’attaquer aux urgences sociales et notamment au problème de l’insertion des jeunes qui représentent plus de la moitié de la population. Il faut faire en sorte que la croissance soit plus inclusive et se ressente dans le quotidien des Ivoiriens, notamment de plus démunis.