Mara Kanté n’a que 20 ans lorsqu’il est arrêté par la police suite aux émeutes de Villiers-le-Bel en novembre 2005 pour tentative de meurtre sur les forces de l’ordre. Il a passé deux ans et demi en prison avant d’être finalement acquitté en octobre 2011. Agé aujourd’hui de 25 ans, le jeune homme qui rêvait d’une carrière de footballeur, tente de se reconstruire. Il en veut à la justice qui a détruit ses rêves alors qu’il a toujours clamé son innocence. Il raconte son histoire dans un livre, Préjugé coupable, sortie début novembre aux éditions François Bourin. Entretien.
Mara Kanté n’a pas peur. Regard déterminé. Bien dans ses baskets. Il reste confiant malgré son passé carcéral ombrageux. Ses rêves ont été brisés. Sa carrière de footballeur anéantie. Lui, qui était fougueux, est devenu plus posé. Ses gestes sont plus précis. En prison, sa musculature s’est développée. Son mental s’est affermi. Et lorsqu’il prend la parole, il ne choisit aucun mot au hasard. Ses phrases sont courtes, rythmées de silence. En effet, il n’est pas du genre à parler pour ne rien dire. L’homme a changé. La prison la transformé. « Quand j’y suis entré, j’avais 20 ans. J’étais jeune. En y sortant, je suis devenu un homme. ». « La cicatrice judiciaire », comme il aime dire, restera à tout jamais enfouie dans son être. Malgré ces épreuves, il est debout. « C’est l’essentiel », assure-t-il. « Le plus important ce n’est pas la chute mais l’atterrissage », dit-il en esquissant un sourire. Père polygame originaire du Mali. Mère sénégalaise. Mara est fière de ses origines. Fier d’être français. Fier d’avoir grandit à Villiers-le-bel. « Tout cela fait parti de moi et constitue ma force ! ». Quand d’autres craquent, après une telle épreuve, lui décide de se battre. « Je veux avancer ! ».
Afrik.com : Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
Mara Kanté : Je voulais raconter mon histoire avec mes propres mots et non ceux des médias. Il fallait que je l’immortalise dans un livre. Ce qui m’est arrivé est comme un film. J’ai commencé à écrire lorsque j’étais en détention. Je notais tous mes ressentiments. Je voulais parler de mes humeurs, de mes joies, de mes peines, de mes craintes. Je voulais parler de tout ce que j’ai emmagasiné derrière les barreaux. Une fois sortie de prison, je me suis remis à écrire. Au départ, c’était difficile car j’avais trop d’émotions en moi. J’ai demandé à la journaliste du Parisien Aurélie Foulon, avec qui j’avais déjà travaillé, si elle connaissait des personnes qui pouvaient m’aider à écrire. Elle m’a dit qu’elle même pouvait m’aider à le faire.
Afrik.com : Que retenez-vous de votre expérience en prison ?
Mara Kanté : Beaucoup de choses. La justice est aveugle. Elle a des qualités mais aussi des défauts. Il y a des failles dans le système judiciaire. La justice a du mal à reconnaitre ses erreurs. Elle te broie. Elle n’est pas toujours équitable en fonction du milieu d’où t’es issu. J’ai aussi retenu que dans les prisons françaises, ce n’est pas du tout le luxe. Il y a beaucoup de choses à revoir. La prison est un endroit difficile. Sois tu craques. Sois tu t’accroches et tu avances. Moi j’ai opté pour le combat.
Afrik.com : Que s’est-il passé ce jour où les policiers sont venus vous cherchez ?
Mara Kanté : Ils sont venus me chercher chez moi. Ce jour-là je n’y étais même pas. C’est finalement mon grand-frère qu’ils ont embarqué. Je me suis rendu deux jours après au commissariat. Ils m’ont mis en garde à vue. Lors des interrogations, j’ai subi une torture morale. Ils te mettent la pression pour te faire avouer ce dont tu n’es même pas coupable. Si tu es une personne faible, tu craques très vite. Mais j’ai réussi à surmonter cette pression. J’ai rien lâché ! Je suis resté sur mes positions. J’ai toujours clamé mon innocence. Je ne pensais pas que ça irait aussi loin. Au début, j’étais convaincu que j’allais très vite recouvrer la liberté. Ils cherchaient le coupable idéal. Mon père est polygame. Je suis noir. J’ai grandi à Villiers-le-Bel. Mais les jurés populaires m’ont reconnu innocent. Malheureusement, d’autres ont été condamnés à des peines très lourdes.
Afrik.com : Dans le livre, vous parlez d’une « cicatrice judiciaire » qui vous marquera à tout jamais. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Mara Kanté : Peu importe ce qui se passe. Cette cicatrice sera marquée à tout jamais. Quand ont te met des gros points de sutures, tu n’oublies pas cette douleur comme ça ! Même si on me donnait 10 millions d’euros d’indemnisation, ça ne remplacera pas ce que j’ai vécu. Ces années de souffrances seront gravées en moi à tout jamais. La vie n’a pas de prix. J’aurais pu mourir en prison.
Afrik.com : A votre sortie de prison, vous étiez amer contre la justice que vous accusez d’avoir volé vos rêves. Est-ce toujours le cas ?
Mara Kanté : Je suis obligé d’être amer envers la justice. Comment ne pas l’être ? C’est impossible ! Je ne peux pas tourner la page du jour au lendemain ! Il y a eu tellement de choses, lorsqu’on passait à la barre, la façon dont on nous traitait, le manque d’égard à notre encontre, les humiliations… Chaque seconde, chaque minute, chaque heure, chaque année passée en prison était un moment de piétinement moral. J’ai bien aimé cette phrase des acteurs du film La Haine qui disent : « Le plus important ce n’est pas la chute mais l’atterrissage ». Dès lors que tu viens d’une banlieue ou d’un quartier populaire, quoi que tu fasses, tu es préjugé coupable. D’où le titre du livre qui résume très bien cette vérité. L’essentiel, c’est de savoir rebondir. Je n’ai pas le choix. Je suis obligé d’avancer.
Afrik.com : Dans le livre vous évoquez beaucoup les préjugés concernant la banlieue. Vous les cassez en parlant de la solidarité des habitants en banlieue…
Mara Kanté : Oui, il y a une grande solidarité en banlieue. Tout le monde se serrent les coudes quand ça ne va pas. Les voisins, les amis, les proches nous ont beaucoup épaulés dans cette épreuve. Lorsque j’étais en prison, mes frères ont créé avec de nombreux bénévoles l’association Respect, justice et vérité pour me soutenir et aider tous ceux qui étaient accusés à tort dans cette affaire. Cette association vit toujours.
Afrik.com : Vous aviez également envoyé une lettre à Nicolas Sarkozy, qui était à la tête du pays. Il ne vous a jamais proposé de le rencontrer. Une attitude qui vous a beaucoup déçu…
Mara Kanté : Nicolas Sarkozy disait être le président de tous les Français. Je lui ai donc envoyé cette lettre pour voir si c’était bien le cas, en lui expliquant mon histoire. Je voulais voir quelles mesures il allait prendre pour toutes les personnes qui sont dans mon cas. Mais j’ai été déçu en effet. Déjà, il n’a pas répondu directement. Ensuite, il ne m’a pas proposé de rendez-vous. L’ex-garde des sceaux Philippe Mercier a répondu en promettant de s’occuper de mon cas. J’attends toujours.
Afrik.com : Votre carrière de footballeur professionnel est brisée. Comment voyez-vous l’avenir ?
Mara Kanté : J’essaie de me reconstruire et d’avancer. Ce livre est déjà un bon début pour redémarrer. C’est le résultat de toutes les lectures en prison. Ceux qui m’ont le plus marqué sont Les Damnés de Frantz Fanon, Le chemin de la liberté de Nelson Mandela, le recueil de poèmes d’Aimé Césaire, l’histoire des Black Panthers, Indigènes. Tous ces livres m’ont beaucoup apporté. Ils m’ont aidé, dans les moments difficiles, à voir les choses autrement. Dans ma cellule, je ne pouvais pas voyager, mais ces livres m’ont permis de voyager dans l’esprit.
Afrik.com : Que conseillez-vous aux jeunes en banlieue qui ont perdu espoir en leur avenir ?
Mara Kanté : D’acheter Préjugé coupable (sourire). Ils pourront s’inspirer de mon expérience. Il faut se battre ! Je n’ai que trois mots à dire. Détermination. Travail. Discipline.