Percussionniste mais tellement plus encore, Manuel Wandji est un créateur de musiques amateur de rencontres. L’artiste franco-camerounais, dont le dernier album, Planet Groove, est tout juste dans les bacs, revient sur l’esprit de sa musique et déplore l’image stéréotypée que la France a de la musique africaine. Interview.
Si Manuel Wandji a déjà joué, entre autres avec Ray Lema, Papa Wemba, Geoffrey Oryema, Régis Gizavo ou Pierre Akendengue, on se saurait réduire l’artiste franco-camerounais à ses seuls talents de percussionniste. Celui qui compose également pour des troupes de danse contemporaine africaine et travaille même dans le hip-hop, est par ailleurs, et c’est là son actualité du moment, un auteur, compositeur et interprète reconnu de Douala à Paris et de Yaoundé à New York. Son dernier opus, Planet Groove, très percussif, prend un peu à revers ceux qui l’ont connu à travers Wambo, sa production afro-reggae, mais reste un régal rythmique. Très engagé culturellement, Manuel Wandji revendique ses racines et sa modernité et refuse l’image caricaturale dans laquelle on veut, en France, enfermer la musique africaine.
Afrik.com : Certains vous connaissent sous l’étiquette afro-reggae. Or votre dernier opus est tourné vers la percussion. Comme définirez-vous votre style ?
Manuel Wandji : Je ne peux pas me définir par rapport à un style précis. Je peux passer de l’acoustique à l’électronique, de quelque chose de très percussif à quelque chose de très mélodique. Je travaille également avec des compagnies de danse africaine contemporaine et des groupes de hip-hop. Je me sens un peu comme un ovni en France où les gens aiment bien mettre les artistes dans des cases. J’essaie de faire une musique proche de ce que je suis : quelqu’un de métisse. Je suis née en France, mais j’ai vécu 12 ans au Cameroun. J’ai véritablement grandi dans les deux cultures.
Afrik.com : Vous ne rencontrez pas ce problème d’étiquettes au Cameroun ?
Manuel Wandji : Le Cameroun a été baigné par nombreuses influences musicales. Quand nous étions jeunes, nous jouions toutes sortes de musiques. Du bikoutsi et du makossa bien sûr, mais aussi du jazz rock ou du reggae. Ce n’est pas comme en Afrique de l’Ouest où les gens sont plus proches de leurs traditions. Cette palette de styles nous semblait tout à fait naturel, on faisait juste de la musique et on faisait tout simplement ce qu’on avait envie de faire. Les Camerounais se reconnaissent complètement dans ce que je fais.
Afrik.com : Quels types de fusion vous intéressent-ils ?
Manuel Wandji : J’essaie de développer un axe panafricain dans ma musique. Par le passé, même si c’est un peu moins vrai maintenant, il n’y avait pas vraiment de métissage musical sud-sud. C’était surtout un métissage avec l’Europe ou les Etats-Unis. On a rarement vu un Salif Keita produit par des Sud-Africains. Pour ma part, je trouve plus facile de faire ma sauce avec des ingrédients du Sud. Simplement parce que je trouve qu’un pays comme l’Inde par exemple a une plus forte culture du rythme et du chant. La France bénéficie d’une culture plus intellectuelle. C’est à mon sens ce qui paralyse un peu le pays quant à son ouverture d’esprit par rapport aux musiques d’ailleurs. Quelqu’un comme Richard Bona (artiste camerounais, ndlr) a été obligé d’aller aux Etats-Unis pour que l’on reconnaisse et apprécie tout son talent et sa richesse artistique.
Afrik.com : La France a un problème avec la musique africaine ?
Manuel Wandji : En France, les décideurs musicaux ne font aucun effort pour nous sortir de la case où ils nous ont mis. Ils ne nous acceptent pas comme nous sommes. Nous ne sommes pas tous nés au village, ce qui n’est d’ailleurs pas péjoratif. Nous avons le droit d’être modernes. J’estime qu’il y a là une sorte de néocolonialisme qui entretient des clichés qui nous empêchent d’avancer. Ils veulent que la musique ressemble à l’imaginaire qu’ils ont de l’Afrique. Et il est de notre responsabilité, en tant qu’artiste, de dépasser ces clivages. Si mon travail de percussion s’inspire de la tradition, je fais non pas une musique traditionnelle mais plutôt urbaine. Je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas le droit de le faire.
Afrik.com : C’est conscient de ces difficultés que vous avez décidé de monter votre propre studio…
Manuel Wandji : Comme il était impossible de trouver des financements pour faire nos productions, je me suis dit qu’il fallait qu’on se produise nous-mêmes. Alors j’ai monté mon studio et j’ai produit quelqu’un comme Henri Dikongué, sur lequel personne n’aurait parié en France. Alors que le succès que nous avons connu à travers le monde et notamment aux Etats-Unis prouve toute la valeur de l’artiste. Quand nous étions allés voir les maisons de disques pour présenter le projet, une major nous a demandé pourquoi Henri « ne faisait pas plutôt de la kora au lieu de jouer de la guitare ». Alors que la kora n’est même pas un instrument camerounais… En fait, il y a deux pays qui m’ont donné la force de continuer : les Etats-Unis et le Cameroun.
Afrik.com : Vous parlez des Etats-Unis comme d’un eldorado pour la musique africaine contemporaine. Vous n’avez connu aucune désillusion là-bas ?
Manuel Wandji : Je m’attendais à ce que les grands artistes afro-américains, des gens comme Steevie Wonder, fassent plus le lien avec l’Afrique, mais ils sont restés renfermés sur eux-mêmes. J’aurais aimé qu’ils dépassent le lavage de cerveau qu’ils ont subi. J’aurais aimé voir, pourquoi pas, Usher et Lokua Kanza en duo, des artistes qui sont pour moi de valeur égale… Mais ces ponts là ne se sont pas fait. Ou ont été fait uniquement par des Blancs comme Paul Simon.
Afrik.com : Beaucoup de gens vous connaissent par rapport à vos productions reggae. Qu’est ce qui vous a attiré dans cette musique ?
Manuel Wandji : J’ai été très influencé par le reggae. C’est la première fois que le Tiers-monde arrivait avec sa propre musique. Ils ont inventé leur son et ils ne sont pas contentés de faire leur musique, ils l’ont aussi produite. Je pense notamment à un studio comme Tuff Gong…
Afrik.com : Vous qui avez une solide carrière au Cameroun et qui côtoyez de nombreux artistes du continent, quel regard portez-vous sur la piraterie qui gangrène l’industrie du disque partout en Afrique ?
Manuel Wandji : Nous avons créé, au Cameroun, un collectif pour se réapproprier le marché et vendre nous- même nos propres CD. La piraterie est très organisée et bénéficie souvent d’appuis haut placés. Il existe un véritable marché de la musique en Afrique, les Africains consomment 10 fois plus de musique que les Français. On pourrait vendre 10 millions d’albums si le marché était structuré. Et cela procède d’une véritable volonté politique. Il est inconcevable que les artistes maliens ne puissent pas vivre de leur musique chez eux par exemple.
Afrik.com : Quelles sont vos grandes ambitions artistiques ?
Manuel Wandji : Je peux vivre de ma musique et je remercie Dieu tous les jours pour cela. Mes ambitions sont de créer de la musique. J’adore composer et rencontrer d’autres artistes, chercher de nouvelles voix et travailler avec le spectacle vivant. Car cela m’amène à chercher des associations auxquelles je n’aurais pas pensé autrement. Comme des mariages avec le Brésil ou l’Inde par exemple. Je trouve cela extrêmement enrichissant. Tout en sachant qu’il y a deux choses centrales dans mon travail : la notion de percussion, au sens large, et les voix.