« J’étais marié, mais là, je ne le suis plus. Ma femme est décédée, il y a deux ans ». Et silence. La question posée au maroquinier Mansour Sèye, dont l’atelier se trouve à la Chambre des Métiers de Thiès, au Sénégal, a failli gâcher l’entretien. Il était juste question de connaître sa situation matrimoniale. L’homme était replongé dans un passé douloureux, qui continue de le ronger. Cela ne l’empêche pas de réaliser de belles choses, notamment des chaussures, des sacoches, des sacs et autres ceintures. Au crépuscule de ce samedi, il travaillait sur les sacoches lorsque l’équipe d’AFRIK.COM lui a rendu visite.
Nous sommes le samedi 18 septembre 2021, à Thiès, ville située à 70 km de Dakar, au Sénégal. Il est 19H18, lorsque nous nous trouvons en face d’un homme, la trentaine, moustache, petite barbe, teint noir, un regard imposant, calme tout de même. Son nom, Mansour Sèye, il travaille le cuir. « Importé et local », il utilise les deux types de matières premières. « J’utilise aussi du tissu dans mes conceptions. Cela peut être le Wax, le pagne tissé, le Bogolan », nous confie l’homme debout sur 1,77m. Nous sommes bien dans son atelier de maroquinerie, situé dans le village artisanal de Thiès.
Des chaussures nu-pied, des sacs, des sacoches sont en effet accrochés au mur. Mansour travaille en solitaire. Il vient à peine d’achever de réaliser une collection de chaussures, les unes plus belles que les autres, et voilà qu’il s’attaque aux sacoches pour dames. « Je travaille en série. Là, je viens de boucler la réalisation des chaussures, je suis sur les sacoches. Comme vous le voyez, je suis en train de teindre le cuir. Une fois qu’il sera sec, je poursuis le travail de confection de la série de sacoches », confie l’homme âgé de 35 ans.
Cela fait 24 ans que Mansour Sèye fricote avec cette profession. « J’ai commencé ce travail depuis 1997. C’est mon oncle qui m’a fait aimer ce métier de maroquinier. Je venais chaque jour, ici au village (artisanal) même, pour apporter le repas, et je le voyais à l’œuvre. Parfois, il m’arrivait de rester un peu et regarder comment se faisait ce travail. Je trouvais que c’était merveilleux, que c’était de l’art. J’ai vraiment adoré. J’ai alors commencé à réaliser de petites choses, avec du cuir que m’offrait mon oncle », se rappelle Mansour.
« Au tout début, je confectionnais des portefeuilles, des ceintures et autres bracelets, dans un coin de l’atelier de mon oncle. A l’époque, j’avais 10-11 ans et je fréquentais l’école coranique. Au fur et à mesure, je plongeais dans le métier que je maîtrisais de mieux en mieux », lance-t-il, confiant au passage qu’il n’a jamais fait l’école française. La mort de son oncle le fixe alors dans le métier, car il lui fallait assurer la dépense quotidienne de sa famille d’adoption, qui reposait sur la vente d’objets confectionnés.
« Donc officiellement, c’est en 1997 que j’ai commencé ce métier. J’ai eu quelques séances de formation avec Emmanuel Ciss, un talentueux maroquinier, qui a formé beaucoup de créateurs », confie celui qui est père de deux enfants. « Un garçon et une fille. Leur mère est décédé le 13 octobre 2019, alors qu’elle donnait naissance à notre troisième enfant. Elle est partie avec l’enfant. Aucun d’eux n’a survécu », raconte-t-il, la mine triste. Le regard lointain.
Une séquence de sa vie, qui revient tout le temps. « J’étais marié, mais là, je ne le suis plus. Ma femme est décédée, il y a deux ans, comme je vous l’ai dit. Quand j’y repense, je suis dégoûté ! Car elle aurait pu être sauvée. Il y a eu une négligence à l’hôpital et cela lui a été fatal », se souvient le maroquinier, qui a vu sa vie basculer. A part ses enfants, son travail est devenu son passe-temps. A la chambre des métiers, ce samedi, la plupart avaient fermé boutique et étaient rentrés chez eux, mais Mansour, lui, en avait encore pour une bonne heure.
« J’attends un peu, le temps que le cuir que j’avais mis à sécher dehors soit prêt. Je l’avais teint toute à l’heure », confie l’homme qui se plaint tout de même de la rareté des clients. « Les ventes auraient pu être meilleures, si nous avions plus de visibilité. Nous sommes souvent obligés de travailler avec des revendeurs, qui nous prennent nos produits bien en dessous de leur prix normal, pour ensuite aller les revendre dans des milieux plus huppés. Nous n’avons pas le choix, si nous voulons survivre et faire face aux dépenses », justifie-t-il.
Mansour Sèye compte tout de même développer son entreprise, en faisant notamment l’acquisition de machines pour améliorer son travail et accélérer l’exécution des taches. Il souhaite aussi participer à des foires, à l’échelle nationale comme internationale. « Cela me permettra d’avoir plus de contacts et d’échanger avec d’autres professionnels du milieu », conclut-il.