Le médiateur et président burkinabè Blaise Compaoré a tenté lundi à Abidjan de trouver une issue à la crise politique ivoirienne. Depuis une semaine, la Côte d’Ivoire est secouée par de violentes manifestations.
Blaise Compaoré serait-il la dernière chance de sortie de crise ? Le président burkinabé a rendu visite lundi à son homologue Laurent Gbagbo afin d’aider à la mise en place du nouveau cabinet. Il devait s’entretenir aussi avec le Premier ministre Guillaume Soro, chef de l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) et les chefs de l’opposition Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara. Dimanche déjà, Blaise Compaoré avait échoué à réconcilier les différents partis politiques, en froid depuis l’annonce de la dissolution du gouvernement et de la Commission électorale indépendante (CEI) décidée vendredi par le président Laurent Gbgabo. Pendant que du côté des autorités ivoiriennes, on peine à trouver un consensus, la pression monte en Côte d’Ivoire. Lundi encore, plusieurs quartiers d’Abidjan ont été le théâtre d’affrontements entre les forces de l’ordre et les jeunes manifestants, de pillages, de saccages. Michel Galy, politologue et sociologue, chercheur au Centre d’Etudes sur les conflits (CEtC) revient sur cette situation et nous explique les raisons de la dissolution du gouvernement et de la CEI voulue par Laurent Gbagbo.
Afrik.com : Le sommet d’urgence est organisé par le président burkinabé Blaise Compaoré. Est-il le mieux placé pour régler la crise qui frappe la Côte d’Ivoire ?
Miche Galy : Longtemps j’ai cru qu’il était mal placé, parce-que les relations entre les deux pays étaient autrefois plus tendues. Mais depuis les accords de paix signés en mars 2007, il a prouvé qu’il était capable de jouer son rôle de faiseur de paix. Il a donc toute son importance dans la résolution de la crise politique actuelle.
Afrik.com : Pourquoi le chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo a-t-il décidé de dissoudre la Commission électorale indépendante et le gouvernement ? Etait ce une manœuvre pour reporter une énième fois les présidentielles ?
Michel Galy : J’ai beaucoup entendu dire que Laurent Gbagbo cherchait à reporter les élections présidentielles en décidant de dissoudre la CEI et le gouvernement, mais à mon sens, cela est faux. On est dans la dernière ligne droite des présidentielles et, d’après les derniers sondages effectuées en Côte d’Ivoire, le président Gbagbo est donné vainqueur. Il n’aurait donc aucun intérêt à repousser les élections. Maintenant, ce qu’il ne veut pas, c’est que la CEI, dont Robert Beugré Mambé est le président, truque la liste des votants. Il faut savoir que la CEI est accusée d’avoir enregistré 430 000 faux électeurs sur les listes électorales. Pour ce qui est du gouvernement, il a décidé de le dissoudre pour se débarrasser des ministres compromis dans des affaires de détournement et de malversations.
Afrik.com : Guillaume Soro a été le seul ministre à être reconduit, et il est en charge de mener les consultations en vu de créer un nouveau cabinet. Certains médias africains pensent que l’ex chef des Forces nouvelles serait pris en otage par Laurent Gbagbo ?
Michel Galy : Je pense que le terme est assez fort. Je crois que Guillaume Soro a sa carte à jouer dans ce gouvernement. Le Premier ministre cherche actuellement à gouverner à égalité avec le président et peut-être aussi à lui succéder. Et puis, il ne peut pas démissionner de son poste comme cela, il a signé l’accord de paix en 2007 qui a ouvert la voie à la réconciliation nationale, avec la formation d’un gouvernement d’union dirigé par Guillaume Soro. S’il quittait le gouvernement, cela pourrait lui être préjudiciable.
Afrik.com : Depuis lundi dernier, le Premier ministre ivoirien retarde la diffusion de la liste des noms des ministres du nouveau gouvernement. A votre avis, pourquoi ?
Michel Galy : En ce moment, il ya des tractations entre les différents partis politiques ivoiriens. Alassane Ouattara, le président du Rassemblement des républicains (RDR) et Henri Konan Bédié, le président du parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), les deux opposants les plus sérieux de Laurent Gbagbo essayent de tirer leur épingle du jeu. Ils souhaitent que des membres de leurs partis intègrent le gouvernement, pour cela ils utilisent la rue pour faire entendre leur voix. Pour la commission électorale indépendante, l’évêque de Bouaké est pressenti pour le poste de président car c’est quelqu’un de neutre, de non marqué. Avant l’opposition avait la majorité à la CEI. Ce n’est pas la première fois qu’on choisit un homme d’Eglise pour faire consensus. Par exemple, La Conférence nationale souveraine (1990, ndlr), qui visait à analyser et à trouver des solutions pour améliorer la situation politique a été dirigé au Bénin par Monseigneur de Souza.
Afrik.com : Plusieurs manifestations se sont déroulées un peu partout dans le pays faisant plusieurs morts. Ces événements laissent-ils présager d’une guerre civile ?
Michel Galy : Il ne faut pas être alarmiste. Ce n’est pas le Rwanda. Par contre, ce qui est inquiétant, c’est que les manifestants s’en prennent aux symboles de l’Etat. Mais je pense et j’espère que cette tension va redescendre comme un soufflet après l’annonce de la liste du nouveau cabinet. Ce qui se passe, c’est qu’en Côte d’Ivoire, les forces de l’ordre n’ont pas de formation et ne disposent pas de matériels appropriés pour contenir les manifestations, ils tirent malheureusement à balles réelles. Un dirigeant de la police que j’avais rencontré m’avait expliqué qu’ « il cherchait à réprimer sans tuer ». Si les jeunes de l’opposition manifestent aujourd’hui, c’est parce qu’ils prennent au pied de la lettre les déclarations des membres du Rassemblement des Houphouétistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) qui disent ne plus reconnaître Laurent Gbagbo comme le président ivoirien. Pourtant, ces paroles ne seront pas valables très longtemps. Une fois que l’un des leurs sera accepté dans le gouvernement, ces déclarations n’auront plus cours. C’est juste un moyen de pression.