L’appel à manifester contre Paul Biya lancé par l’opposition camerounaise a été diversement suivi ce mercredi à Yaoundé et Douala, les deux principales villes du pays. Dans la capitale, le mouvement n’a pas été suivi. A Douala, les tentatives de rassemblement ont été brutalement dispersées par les forces de sécurité. Plusieurs personnes ont été blessées. Des opposants sont sous les verrous. Les gendarmes ont été mis en état d’alerte maximale.
Bien que peu suivi dans l’ensemble du pays, l’appel à manifester contre Paul Biya lancé mercredi par l’opposition camerounaise et des organisations non gouvernementales a généré des troubles. Des violences policières ont eu lieu à Douala, la capitale économique et principale ville du pays où plusieurs manifestants ont été blessés.
Mboua Massock, opposant et président de la Nouvelle dynamique nationaliste (Nodyna), et une organisation de la diaspora camerounaise avaient appelé à entrer « en révolution » à partir de mercredi contre le régime de Paul Biya, âgé de 78 ans, et au pouvoir depuis 29 ans. Par ailleurs, d’autres partis de l’opposition, dont le Front social démocratique (SDF), avaient annoncé, vendredi, une « semaine des martyrs » à Douala, en mémoire des victimes de la révolte de la jeunesse de février 2008. Laquelle avait fait 40 morts, selon un bilan officiel, et près de 200, selon certaines ONG. Plusieurs meetings étaient dans ce cadre prévus à Douala.
Douala entame la fronde
A Yaoundé, aucun mouvement de foule n’a été observé. « Ce qu’on redoutait n’a pas eu lieu. Les gendarmes qui étaient descendus dans les rues en prévision des manifestations sont repartis peu après midi », a déclaré Faustin Njikam, Directeur de publication de l’hebdomadaire Tribune d’Afrique paraissant dans la capitale camerounaise.
A Douala en revanche, quelques dizaines de personnes ont tenté de manifester avant d’être dispersés par les forces de sécurité. Selon des témoins, quatre rassemblements ont eu lieu dans des quartiers de la ville : Akwa, Bonandjo, Bessenguè et Nkonmondo. Plusieurs personnes auraient été blessées lors de l’intervention de la police. « Le député du SDF, Jean Michel Nintcheu, l’opposant Anicet Ekanè et certains manifestants ont été brutalisés à coups de matraque et de jet d’eau du camion anti-émeute de la police», a indiqué un journaliste du quotidien Le Messager. Selon ce témoin, plusieurs blessés ont dû être transportés dans les hôpitaux de la ville pour y recevoir des soins. Il cite notamment le cas de Kah Walla, candidate déclarée à la prochaine élection présidentielle qui avait appelé les camerounais à se mettre « tous en rouge » mercredi pour dire à Paul Biya que « ça suffit ». « Trop d’élections truquées! Trop de jeunes au chômage! Trop de tracasseries pour les débrouillards! Trop de promesses non tenues ! », martelait-elle dans son appel. « Elle a sévèrement été battue et a été transportée d’urgence dans un hôpital. Elle présentait plusieurs blessures ». D’autres manifestants auraient été interpellés puis conduits à une dizaine de kilomètres de la ville avant d’être relâchés.
Arrestations à Yaoundé
L’annonce des manifestations de ce mercredi avait plongé le pouvoir de Yaoundé dans une grande nervosité. Lundi, des policiers ont été postés devant l’école du Centre en plein cœur de Yaoundé, où des inconnus avaient inscrit « chassons Biya » sur le mur d’entrée. Selon le quotidien Le Jour, des responsables du ministère de l’Education de base se sont employés pendant deux heures le même jour, à effacer l’énorme graffiti en le recouvrant de chaux.
La veille, dans la capitale camerounaise, indique le même quotidien, Abba Aboubakar, le président de la Révolution camerounaise du peuple uni (RCPU), un parti d’opposition, avait été interpellé en même temps qu’une dizaine de responsables politiques et de la société civile. Abba Aboubakar serait toujours en détention. Lors d’une conférence de presse donnée samedi 12 février à son domicile, il avait appelé le pouvoir à entamer un dialogue pour résoudre les « carences notoires » observées dans le fonctionnement des institutions du pays. Faute de quoi, menaçait-il, le peuple organisera « à partir du 23 février 2011, des mouvements de récupération de son pouvoir ».
Vendredi, Mboua Massock et Salim Ombassa l’un de ses partisans ont été également interpellés à Douala alors qu’ils distribuaient des tracts appelant à manifester dans la ville. Ils avaient été relâchés après dix heures de garde à vue.
Campagne de communication du pouvoir
A ces arrestations, le pouvoir de Yaoundé a ajouté une campagne de communication et de vigilance policière. Mardi, lors d’une conférence de presse à Yaoundé, Issa Tchiroma Bakary, ancien opposant devenu ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, a fustigé les « illuminés » qui veulent apporter le « désordre » dans le pays. « Les amoureux de cette nation sont beaucoup plus nombreux, déterminés et plus fort que ceux qui font de l’agitation », a-t-il déclaré, ajoutant, au sujet de Paul Biya, que «lorsque cet homme aura 92 ans, ce pays sera un grand pays».
De son côté, lit-on sur Le jour, Jean-Baptiste Bokam, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Défense chargé de la Gendarmerie nationale, a invité ses administrés à se tenir en alerte. « C’est maintenant que la gendarmerie doit se tenir prête. Prête à faire face aux appels de troubles à l’ordre public et au soulèvement, véhiculés ici et là. Dans ce cadre, comme dans la lutte contre l’insécurité, la recherche du renseignement occupe une place centrale. Vous devez suivre à la trace les auteurs de ces appels à la sédition. Vous devez aussi infiltrer leurs différents groupes cibles pour déceler leurs intentions et prévenir leurs actes», leur a-t-il dit, mardi.
Paul Biya qui avait fait modifier la constitution pour pouvoir se représenter n’a pas encore fait acte de candidature à la présidentielle qui doit se tenir cette année. Aucune date n’a par ailleurs été fixée pour le scrutin.