Entre musiques, sculptures, arts de la parole et photos, débats, le festival Mangroove ouvre ses portes mardi soir en plein cœur de Paris pour une semaine de concerts, d’expositions et de rencontres. Le rendez-vous orchestré par le tout jeune label éponyme offre de découvrir une image plus vraie des Afro-européens et de la façon dont ils vivent et expriment leur métissage. Interview de Calixte Tayoro, l’un des pères de l’événement.
Les Afro-européens ont leur festival. Lever de rideau, mardi 21 juin, du festival Mangroove. C’est à Châtelet, en plein cœur de Paris que l’évènement s’installe pendant une semaine. Au programme, concerts (avec de très belles affiches), expositions, débats et slam (art de la parole). Témoin d’un métissage assumé et artistiquement exprimé, le rendez-vous présentera un visage plus authentique des Afro-européens. Calixte Tayoro, du label éponyme à la base de l’initiative, nous explique le concept Mangroove et nous présente le programme des réjouissances.
Qui est derrière ce festival ?
Mangroove : Le label Mangroove et ses partenaires médias : Afrik.com, la chaîne de télévision France Ô, le magazine Citéblack, et Radio Nova. Le Mangroove festival a été rendu possible également par le concours de nombreux professionnels, connus ou anonymes qui se sont enthousiasmés pour le projet.
Quel est l’objectif du Mangroove Festival?
Mangroove : Le festival veut présenter la nouvelle génération des créateurs afro-européens – ceux qui se sont libérés des carcans et des clichés habituels. Il y a des créateurs d’entreprise, des plasticiens, des poètes, des slameurs, et bien sûr des musiciens. Mais des musiciens qui naviguent entre musique du africaine, musique antillaise, jazz, hip-hop et électro. Le festival a lieu du mardi 21 au samedi 25 juin à l’Espace Châtelet-Victoria, une galerie d’art contemporain située au centre de Paris à Châtelet.
Quel est le contenu de la programmation ?
Mangroove : Tout d’abord, il y a une exposition qui réunit deux artistes: Sid Sané, un photographe sénégalais travaillant pour le magazine Clam, et Urban Roots – un plasticien antillais dont les sculptures sur bois sont inspirées autant des statues africaines que du graffiti hip-hop. Ensuite, sur trois matins de suite (mercredi 22, jeudi 23 et vendredi 24) ont lieu des débats destinés aux professionnels des médias, de la culture et des affaires : le premier porte sur les médias afro-eurpéens. Les deux autres ont pour thème « le marketing identitaire » et « la beauté noire aujourd’hui ». Ces débats seront animés par Vanessa Dolmen (Canal +) ou Ayden (Telesud). A l’heure du déjeuner, la galerie se transforme en maquis ivoirien. En fin d’après-midi, on donne la parole aux slammeurs et aux conteurs. Les concerts commencent à 20h et la soirée se termine par des mixes de djs.
Pouvez-vous nous parler un peu du maquis?
Mangroove : Nous avions envie de montrer qu’en dépit de la guerre, Abidjan reste le carrefour ouest-africain de la musique, du rire et de la fête. On le voit avec le succès du coupé-décalé, et la diffusion des codes culturels ivoirien dans la culture française et en Afrique francophone. La guerre cessera. La vie reprendra. Abidjan restera Abidjan. Un maquis permanent.
Au niveau musical, quels seront les moments forts du festival ?
Mangroove : L’ouverture du festival mardi soir, jour de la fête de la musique est évidemment un moment important: après le vernissage, Mike Ibrahim, qu’on présente comme la révélation de l’année, donnera un concert qui risque de faire mal. Sa prestation sera suivie d’un mix de Freddy Jay qui jouera une sélection de hip-hop, de funk et de broken beat. Le concert de Shäy Mané est également très attendu mercredi 22. Le lendemain, il ne faudra absolument pas manquer la venue pour la première fois à Paris du New Yorkais Guillermo E. Brown. Mais le concert le plus bondé sera sans doute celui que donneront Bams et Spleen, les deux enfants terribles de l’axe Douala-Paris. Le lendemain, le clash entre les deux djs Sweet Dick Willy et Freddy Jay accompagné du Heatshkok Project devrait tenir tout le monde éveillé jusqu’au petit matin. La clôture du festival, avec le Mangroove All Stars sera également un moment fort réunissant l’ensemble des musiciens dans une jam qui promet d’être mémorable.
Sur quels critères est basée la programmation ?
Mangroove : Le point commun entre tous les invités, c’est le métissage artistique et culturel. Tous les artistes ont au moins deux cultures qu’ils fusionnent dans leur art. C’est la même chose pour les créateurs d’entreprise qui développent des stratégies marketing pour toucher aussi bien la nouvelle classe moyenne afro-européenne que le reste de la clientèle européenne. Mais le critère fondamental reste la qualité des invités.
Quel lien établissez-vous entre l’émergence d’une classe moyenne afro-européenne et ce qu’on appelle désormais « la nouvelle vague créole »?
Mangroove : Il faut préciser qu’il ne faut pas entendre le mot « créole » comme caribéen, mais plutôt comme un métissage culturel que l’on peut retrouver aux Antilles ou ailleurs. La nouvelle vague créole correspond aux désirs de certains écrivains et musiciens de s’adresser au monde avec tout ce qu’ils sont – notamment leurs langues: qu’il s’agisse du nouchi abidjanais, du créole antillais ou du pidgin de Lagos, il y a une volonté chez beaucoup d’Afro-européens de créer une synthèse très personnelle entre leurs multiples influences. Le développement de ce mouvement repose en grande partie sur l’existence d’une nouvelle classe moyenne afro-européenne décomplexée et désireuse de consommer des produits culturels qui lui ressemblent.
Mangroove est un jeune label, mais qui a déjà son festival. Comment expliquez-vous ce dynamisme et cette médiatisation ?
Mangroove : La vérité, c’est que Mangroove n’existerait pas sans les individus qui se sont investis pour nous l’aider à aller de l’avant. Or beaucoup de ces personnes travaillent dans les médias. C’est le cas de l’équipe d’Afrik.com, ainsi que d’Ayden de Telesud, Flyy de France Ô, Aline de Radio Nova, Steve de Média Tropical, Tatiana de la City Radio ou Stephane Pocrain. Les autres se reconnaîtront. Toutes ces personnes constituent autant de membres de cette classe moyenne afro-européenne dont je parlais précédemment. Les artistes eux-mêmes se sont investis pour parler du festival et le faire connaître. Des personnes comme Delphine II, Bams ou Spleen nous ont beaucoup aidé et nous les en remercions. Il s’agit d’un mouvement qui va bien au-delà de la musique ou de notre petit label indépendant.
Mangroove serait dont un mouvement ?
Mangroove : S’il s’agit d’un mouvement, nous ne l’avons pas créé. Nous nous sommes contentés de le cartographier et d’identifier les réseaux qui relient ses membres.
Qu’attendez-vous d’un tel événement ?
Mangroove : Faire bouger les catégories et les étiquettes que les médias ont pris l’habitude de plaquer sur la réalité de la création afro-européenne. Et ce faisant, briser l’isolement d’artistes qui travaillent hors des sentiers battus, à la croisée de plusieurs chemins. Enfin, montrer que ces créateurs afro-européens consitutent l’une des franges les plus dynamiques de la population européenne.
Quelle est la prochaine étape ?
Mangroove : Je propose qu’on en reparle après le festival (rires).